Chapitre 35
Cela faisait déjà plusieurs jours que j’avais rencontré Leslie. Je n’avais pas dansé avec elle et son groupe depuis la disparition d’Iléna et hésitais à y aller malgré les conseils de Véra et de ma mère. Ce skateparc abandonné, notre salle de danse en plein air avait été le lieu de nombreuse battle entre ma sœur et moi. Avant, c’était Iléna la chef, mais aujourd’hui, c’était Leslie. Finalement, c’était avec beaucoup d’appréhension que je sois partie les retrouver en début de matinée, repas pour tous sous le bras. Parmi ses jeunes, trois d’entre eux étaient orphelins et sans-abris. Majeur, il ne pouvait plus être pris en charge par l’orphelinat.
— Élia ! s’écria Leslie en m’apercevant. Tu es venu en fin de compte.
— J’ai hésité, mais sur bons conseils je suis là. J’ai apporté à manger pour dix.
— Tu n’es pas sérieuse ?
— Si, j’ai les moyens de tous vous nourrir trois fois par jour.
— Élia notre sauveuse !
— Je suis passé à la boulangerie avant de venir, servez-vous.
Cette dépense, Véra l’avait validée. C’était en lui expliquant la situation du groupe et l’importance qu’ils avaient eue pour moi, enfant, qu’elle avait accepté que je les rejoigne avec beaucoup de nourriture.
— Tu es mariée pour avoir de si grand moyen ? Me questionna Aiden.
— Non, mais j’ai un travail bien payé, en quelque sorte.
— Tu travailles où ?
— Cesse de la questionner, Aiden, enchaîna Leslie. Tu viens danser, Élia ? Par contre, on ne danse plus pieds nus ici, il y a trop de verre par terre.
— Je ne danse que pieds nus malheureusement. Ça vous dirait d’aller à l’orphelinat ? J’ai les clés de la salle de danse.
— Une vraie salle de danse ? me questionna Esteban.
— Une vrai, oui.
— C’est vrai que Jordan est le meilleur ami d’Iléna et comme ton grand frère, reprit Leslie. Les gars, si vous voulez danser danse une vraie salle de danse, c’est maintenant ou jamais !
Ma mère, comme Véra, avait eu raison de m’obliger à les rejoindre. Ça faisait du bien de les retrouver. À Glenharm, j’avais Marcus pour danser. Ici, je les avais, eux. Et puis, les jeunes de l’orphelinat pourraient venir nous regarder et je pourrais m’occuper de Lianna en même temps. En moins de cinq minutes, tout le monde avait rassemblé ses affaires et nous marchions joyeusement, jusqu’au lieu du bonheur.
Comme je m’y attendais, notre arrivée se fit remarquer. Jordan nous sourit, Lianna courut dans mes bras et les jeunes nous suivirent jusqu’à la salle de danse. En entrant, les danseurs écarquillèrent les yeux en découvrant la salle. Jordan l’avait fait construire en connaissant nos besoins grâce à Iléna et moi.
— C’est magnifique, commenta Aiden.
— Installez-vous, je vais lancer une musique.
Ils posèrent leurs sacs dans un coin de la salle et se regroupèrent au milieu pour commencer à danser, dès que la musique fut lancée. Petit à petit, remarquant les jeunes et moi-même qui dansions pied nu, ils finirent par enlever, eux aussi, leurs chaussures. En cet instant, mes jeunes étudiants comme mes amis du bon vieux temps étaient réunis. Jordan comme Lianna s’était mis à danser avec nous. Pour que tout soit parfait, il ne manquait plus qu’Iléna et Véra. Avec ces deux femmes, j’aurais eu tout le gens que j’aimais auprès de moi.
— Cette salle est incroyable, ajoute Leslie en s’approchant.
— Jordan savait exactement quoi faire, lui répondis-je.
— Grâce à Iléna et toi. D’ailleurs, je ne t’ai pas demandé, mais ça faisait longtemps qu’on ne t’avait pas vu, qu’est-ce qu’il t’est arrivé ?
Je l’invitai à me suivre et à s’asseoir avant de lui expliquer comment j’étais arrivée au palais et surtout, ce que j’y faisais aujourd’hui. Je ne lui parlais cependant pas de ce qu’il s’était passé avec Margot ni de ma relation avec Véra. Ni même de pourquoi j’étais vraiment de retour.
— Tu travailles pour l’Impératrice du coup ? C’était elle, le repas ?
— Oui. C’est elle qui m’a poussé à vous retrouver. Je lui ai expliqué la situation du groupe, à quel point il avait été important pour moi plus jeune et c’est elle qui a eu l’idée du panier repas.
— C’est gentil, tu la remercieras de ma part ?
— Bien sûr.
— Par contre, tu sais qu’ici, les nouvelles qu’on a d’elle ne sont pas très bonnes ?
— C’est-à-dire ?
— Une rumeur nous est parvenue. Comme quoi l’Impératrice serait tombée amoureuse d’une simple domestique. Tu y crois toi ?
— Je sais quelque chose en effet. Mais ce n’est pas qu’une simple domestique.
— Tu es dans la confidence ?
— Je suis sa dame de chambre, je sais tout, je te rappelle.
— Donc c’est bien une femme ?
— C’est possible, oui, restais-je évasive.
Elle regarda autour d’elle, nerveuse avant de se rapprocher de mon oreille pour chuchoter.
— Ce qui nous trouble, c’est que c’est elle qui a interdit les couples homosexuels sauf qu’elle…
— C’est plus compliqué que ça, la coupais-je. Mais je n’en sais pas plus, je ne peux rien te dire sur sa relation amoureuse, mentis-je.
Pour ne pas avoir à me justifier ni lui mentir plus, je retournais danser sous le regard incrédule de Leslie et celui, inquiet, de Jordan. Avait-il entendu notre conversation pour réagir ainsi ? Si même ici, ils savaient que Véra avait une amante, les habitants de Glenharm savaient-ils que c’était moi ? Était-ce à cause de ma déclaration lors du mariage de Marcus ? Était-ce les domestiques qui en avaient parlé autour d’eux, hors du contrôle de Véra ? Ignorant toutes ses interrogations qui m’envahissaient, je me concentrais sur le rythme de la musique et les battements de mon cœur. La musique remplaçait petit à petit les questions. Quand Leslie a compris que je m’étais calmé, elle s’approcha timidement vers moi.
— Excuse-moi, Élia. J’ai bien vu que ma question t’avait dérangé.
— Ce n’est pas tant ta question le problème, mais c’est le fait que tu sois au courant de cette histoire. Je connais bien l’Impératrice et du coup, celle qu’elle aime et je sais qu’elles n’appréciaient pas que cette information se soit propagée jusqu’ici.
— Elles sont heureuses au moins ensemble ?
— Oui. Même si c’était compliqué au début. Mais si ça peut te rassurer, grâce à cette femme, l’Impératrice à supprimer la loi qui interdisait les couples homosexuels.
— Je ne vais pas te poser plus de questions alors. Merci de m’avoir répondu.
— Tu en sauras sûrement plus, plus tard. Il suffit d’être patient.
Je lui souris avant de retourner danser et de m’occuper un peu de Lianna. Même si j’avais indirectement parlé de ma relation avec Véra, retrouver ce groupe m’avait fait le plus grand bien. Danser avec ceux avec qui j’avais tout appris, c’était revenir aux sources. Ce pour quoi, finalement, j’étais rentré chez moi. Même si l’absence de ma sœur restait un poids dans mon cœur, la présence de ceux qui m’avait vu grandir et évolué en danse allégeait se poids. Tout comme l’avaient fait Véra puis Lianna avant eux. Je saisissais enfin la chance que j’avais d’être aussi entourée alors que la solitude avait longtemps rongé mon être.
Alors que le ciel commençait à devenir orangé, les danseurs rentrèrent chez eux. Comme Lianna bâillait, je la fis manger avant de la coucher et de rentrer chez moi. Seule face à ma mère et mon assiette de légume, mes interrogations de la journée réapparurent. Sans prendre de dessert, je m’enfermais dans la salle de bain et laissait mes larmes couler, couvert par l’écoulement de l’eau. Apprendre que la rumeur concernant ma relation avec Véra était parvenue jusqu’ici m’avait blessée. Je l’aimais, certes, mais je ne voulais pas que tout l’Empire le sache. Je voulais rester anonyme, rester moi-même auprès de cette femme qui m’avait sauvé plus d’une fois et qui faisait, aujourd’hui, battre mon cœur. Je ne voulais pas que mon amour pour elle nuise à sa réputation ni à son autorité. Elle avait un Empire à gérer et je ne voulais pas être le grain de sable qui allait enrayer le mécanisme.
En sortant de la salle de bains, je croisais ma mère qui remarquait mes yeux rouges. Elle posa sa main sur mon épaule et m’invita à m’asseoir sur mon lit. Elle entoura ensuite mes épaules de ses bras et posa ma tête au creux de son cou. Dans ses bras, mes larmes reprirent de plus belle. Elle me laissa pleurer sans me poser la moindre question. C’était que j’aimais chez ma mère. Elle attendait avant de me questionner contrairement à Iléna qui s’inquiétait aussitôt.
— Véra me manque, maman, avouais-je. Elle me manque tellement.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
— Tu savais qu’une rumeur circulait sur l’amante de l’Impératrice ?
— Oui. La rumeur est arrivée ici quelques jours après que tu sois rentrée.
— Pourquoi tu ne m’as rien dit ?
— Qu’est-ce que ça aurait changé ?
— Mais tout ! Toute maman. C’est ma faute si vous le savez. C’est moi qui ai révélé son secret.
— Alors c’est vrai ? Tu sais qui est cette femme ?
— Oui, mais je ne peux rien te dire.
— Je ne veux pas savoir de toute façon. C’est sa vie, pas la mienne. Elle fait bien ce qu’elle veut.
— Je m’en veux tellement, maman. Je l’ai fait souffrir tant de fois sans même m’en rendre compte.
— De qui tu parles chérie ? De l’Impératrice ou de Véra ?
Dans ma colère contre moi-même, je n’avais pas différencié ses deux femmes. Mais était-ce vraiment important ? Je voulais dire la vérité à ma mère. Je voulais savoir si elle allait accepter et me soutenir. Mais je ne pouvais pas. J’étais déjà allé trop loin en avant mon amour pour elle au mariage de son cousin. Je ne pouvais faire deux fois la même erreur.
— Qu’est-ce que tu ne me dis pas, ma grande ?
— Il y a tant de choses que j’aimerais t’expliquer pour que tu comprennes, mais je ne peux pas. Pas sans l’autorisation de l’Impératrice.
— Pourtant c’est ça qui te rend malheureuse. C’est à cause de tous ces secrets que tu es si mal en point. Si ta sœur était là, elle aurait compris bien avant moi et elle aurait pu t’aider. Tu sais quoi, appelle là et passe-la-moi. Je veux lui parler.
— Maman…
— Non, Élia. Je veux qu’elle sache qu’elle te fait souffrir, que tu pleures à cause d’elle. Tu es là pour guérir, mais il a toujours quelque chose pour se mettre en travers. Il faut que ça cesse. Je ne supporte plus de te voir si mal en point, brisée.
— D’accord.
Je séchais mes larmes, récupérais mon téléphone et envoyais un message à Véra pour la prévenir. Elle se dépêcha de se rendre disponible avant de m’appeler elle-même. Je décrochais et passais le téléphone à ma mère. Je baissais alors les yeux sur mes mains et commençais à jouer avec mes doigts, à gratter la peau autour de mes ongles.
— Bonsoir Madame Aubelin, commença Véra dans le haut-parleur. Élia m’as dit que vous vouliez me parler.
— En effet et c’est justement à propos de ma fille. Puis-je vous parler en oubliant votre statut ?
— Faites donc.
— Sachez que vous rendez ma fille malheureuse. Ce soir encore, elle est rentrée en pleure.
— Vous m’en voyez navrée. Ce n’est pourtant pas ce que je cherche à faire.
— À cause de vous, Élia a de multiples secrets qui la ronge et qu’elle ne peut révéler. À cause de vous, elle ne parvient pas à guérir.
— Je croyais que…
— Ne savez-vous toujours pas qu’Élia cache sans cesse son mal-être ?
— Bien sûr que si. Votre fille n’est pas quelqu’un qui se confie facilement.
— Savez-vous qu’une rumeur concernant votre amante circule dans tout l’empire ?
— Pardon ? Je ne savais pas non.
— Élia viens de l’apprendre et c’est à cause de ça qu’elle est rentrée en pleure.
— Est-ce qu’elle m’entend ?
— Oui, Ma dame, répondis-je timidement.
— Excuse-moi Élia. J’aurais dû réagir plus tôt pour empêcher la propagation de cette rumeur. J’aurais dû… qu’est-ce que je suis bête, sérieux ! Je m’en veux tellement, mon ange, je suis désolée.
— Non, vous… vous ne pouvez pas tour contrôler.
— Bien sûr que si et je le dois. Surtout quand ça te concerne. T’a mère a raison, je te rends malheureuse. Tu devrais rester chez toi, rester auprès de ta famille.
— Qu’est-ce que…
— Je te fais trop souffrir, mon ange et je ne le supporte pas. Tu es beaucoup mieux loin de moi. Ne rentre pas.
La colère m’envahit, remplaçant en une fraction de seconde toute ma peine et ma tristesse. Elle ne pouvait me dire ça. Je ne pouvais plus imaginer ma vie sans elle. Je n’en étais plus capable.
— Je suis désolé, Élia, sincèrement.
— Donne-moi mon téléphone.
— Il en est hors de question, reprit ma mère. Je veux tout entendre, me suis-je bien fait comprendre ?
— Très bien, comme tu veux.
— Élia, ajouta Véra, calme-toi s’il te plaît.
— Que je me calme ? m’énervais-je. Alors que tu me rejettes ? Tu sais à quel point j’attends impatiemment d’être prête à rentrer au palais ? Tu fais chier, Véra !
— Élia ! Parle correctement à l’Impératrice.
— J’en ai rien à foutre qu’elle soit Impératrice ! Pourquoi tout le monde m’abandonne ? D’abord Iléna et maintenant toi ? À quoi ça sert que je reste en vie si personne ne m’aime, si tout le monde me fuit ?
— Je t’interdis de dire ça, Élia ! s’énerva Véra à son tour, clouant ma mère sur place. Je t’interdis de penser une seule seconde que je ne t’aime pas où que je te fuie. Je t’interdis de penser à te suicider. Je te l’ai déjà dit, si tu souhaites que j’abdique au profit de ma tante, je le ferais. Mais je t’en supplie, ne m’abandonne pas à toi non plus.
— Pourquoi tu me rejettes alors ?
— Je ne te rejette pas, mon ange. Je veux seulement te protéger. De mon pouvoir, des pressions de la Cour, mais surtout du Conseil. Je veux que tu sois heureuse et si ça doit être loin de moi, je l’accepterais.
— J’ai besoin de savoir, nous coupa ma mère. Est-ce que c’est vous que ma fille aime ? La Véra que j’entends parler depuis son arrivée ? Parce qu’avec ce que je viens d’entendre, je ne peux que conclure que ma fille est votre amante.
— Maman, s’il te plaît…
— La réponse est oui, Madame Aubelin. Écoute-moi, Élia, je veux tout faire pour te rendre heureuse, mais tu ne l’es pas. Tu ne l’es pas et c’est à cause de moi.
— Mais parce que je t’aime ! Je n’en peux plus d’être si loin de toi. Ne plus sentir la rose dans la chambre ni toucher ta peau douce du bout des doigts… tu me manques, mon amour. Tu me manques tellement.
— Toi aussi tu me manques, mon ange. Mais tu n’es pas prête à rentrer. Pas avec ce que ta mère m’a dit ni avec ce que j’entends dans ta voix. Tu n’es pas prête à affronter la Cour et leur regard. Tu as certes déjà conquis Marcus et ma tante, mais tu n’es pas prête à affronter ma mère. Je ne suis pas prête à la voir te briser à nouveau comme elle l’a fait avec moi en abdiquant. Promets-moi d’attendre, mon amour. Permets-moi de rencontre Jordan, Iléna et ta mère avant. Permets-moi de mieux te connaître et de te faire une demande en mariage digne de tout mon amour pour toi.
— D’accord, j’attendrais.
— Merci mon ange. Je t’aime.
— Je t’aime aussi Véra.
Tandis que mes larmes coulaient le long de ma joue, elle raccrocha et je relevais les yeux en direction de la mère. Elle aussi pleurait. Elle s’approcha et me prit dans ses bras. Elle comprenait enfin pourquoi je n’avais rien dit. Elle comprenait enfin le poids de mon secret. J’étais l’amante de l’Impératrice. Celle que de nombreux Eryenniens allaient calomnier parce que Véra avait interdit l’homosexualité quelques années plus tôt. Celle qui voulait et devait garder son identité secrète pour pouvoir vivre le plus normalement possible. Ma mère me poussa délicatement sur le lit et s’allongea à mes côtés, ses bras autour de ma poitrine. Contre ma mère, mes larmes se calmèrent et je finis par m’endormir.
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