Quelque part dans la nuit de l'Océan Atlantique Nord, au milieu d'une zone de débris et de corps, flotte une planche sur laquelle s'agite une silhouette.
"- Jack, s'il te plaît, monte!
- Non, ma douce, je ne peux pas.
- Jack, j'insiste!
- Si je me hissais, mon aimée, cette pièce de bois se retournerait et tu tomberais.
- Jack, tu vas mourir!
- Seule ta vie importe, mon trésor.
- Jack, j'espère que tu ne dis pas cela parce que je suis - j'étais - de la première classe? Tu réalises combien, dans une situation comme celle-ci, les distinctions de classe sont absurde, non?
- ...
- Non?
- Mon adorée, il n'y a de place sur cet esquif de fortune que pour une seule âme.
- Mais enfin, Jack, il y a de l'espace pour au moins trois personnes!
- Mon coeur, je t'en supplie, laisse-moi vivre pleinement ma grande scène de sacrifice. De ma misérable existence de vagabond de troisième zone, cela sera certainement la seule occasion que j'aurai d'accomplir une belle action au nom de l'amour.
- Mais Jack cela n'est pas nécessaire !
- ...
- Jack, arrête de faire l'enfant!
- ...
- Si tu ne grimpes pas à mes cotés le froid me tuera!
- D'accord ma chérie, mais je ne cède que pour sauvegarder ce joyau qu'est ta vie."
Au terme de cet échange, Jack monte sur l'embarcation improvisée et, romantiquement, enveloppe Rose de son corps. Ils dérivent ainsi enlacés quelques temps jusqu'à ce qu'un canot survienne. L'éclat violent d'un projecteur les éblouit.
"- Ohé du radeau! Ici le Carpathia. Vous êtes sauvés. Montez donc! Ha... Vous êtes deux... Je n'avais pas vu... Malheureusement nous avons un petit problème : il n'y a qu'une seule place...
- Adieu ma vénérée, je reste-là. Messieurs, je vous en prie, faites-la-monter en douceur. Mon soleil, souviens-toi toujours de notre amour. Tu as éclairé ma vie, je n'ai aimé que toi...
- Jack, arrête ton cinéma! Si on se serre tous un peu tu pourras t'asseoir. Au pire, je me mettrai sur tes genoux.
- Ma déesse, ne sois pas naïve, c'est impossible, tu le vois bien. Ma dernière heure est venue, c'était inscrit dans mon destin : il me faut mourir pour que tu puisses vivre.
- Mais quel boulet! Mais quelle cruche j'ai été de m'amouracher d'un lourdaud pareil! J'aurais été plus inspirée d'aller jusqu'au bout de mon geste et de sauter du pont, tiens! "
Mortellement vexé, Jack refuse de grimper.
Des mains tentent de le saisir, mais le bougre se débat comme un beau diable. Il s'échappe et prend, à la nage, la direction des restes du navire.
La barque le suit, le responsable et les passagers le hèle mais rien n'y fait.
Soudain Rose, autoritaire, s'exclame : "Si cet imbécile tient tant à mourir, laissons-le! On ne peut forcer aucun homme, qu'il soit idiot ou savant, à vivre et encore moins à survivre!".
La barque de sauvetage fait demi-tour et s'éloigne vers le paquebot, abandonnant Jack au milieu de son cimetière marin.