Prologue

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Je n'y croyais pas, mais c'est arrivé. Et à mon âge (soixante-dix neuf ans dans l'année), c'est une drôle d'aventure, je vous assure.

Peut-être faut-il d'abord que je vous résume les épisodes précédents.

Jeanne et moi avons été mariés de 1942 à 1996, mais nous nous étions connus auparavant, en 1936, durant les premiers congés payés. Autrement dit, nous avons vécu pendant cinquante-quatre ans, côte à côte, main dans la main. Ce n'est pas rien.

Elle est partie sans crier gare, d'une septicémie foudroyante, au cours d'une banale opération de prothèse de hanche, il y a deux ans, et cet été-là, en mémoire d'elle, j'avais décidé de retourner sur tous les lieux de vacances où nous avions été si heureux, elle, moi et notre fils Paul, aujourd'hui disparu lui aussi.

J'ai raconté cela dans un carnet de voyage, intitulé "Voyage en Nostalgie", que mon éditeur a finalement décidé de titrer : "Le Vieux qui ne voulait pas oublier". C'était plus porteur, disait-il.

Cela s'est concrétisé un peu malgré moi. C'est ce que je vais vous raconter maintenant avec ce qui s'est ensuivi.

Je venais de déjeuner d'une entrecôte charolaise, accompagnée de légumes de saison, à la terrasse d'un restaurant sobrement nommé Le Charolles, dans la ville du même nom. Et, après moult hésitations et un examen de conscience approfondi, j'avais décidé de faire étape à Saint-Julien l'Ars, à une quinzaine de kilomètres de Poitiers.

Pourquoi cet arrêt, au milieu de nulle part, me direz-vous ?

Eh bien, il se trouve qu'à l'aller, une panne mécanique mineure m'avait immobilisé quarante-huit heures dans cette bourgade sans hôtel et que je m'étais retrouvé logé chez l'habitant. Plus précisément chez une ancienne bouchère, veuve comme moi et de douze ans ma cadette. Nous avions sympathisé (cf. "Voyage en Nostalgie" pour les détails) et elle m'avait invité à m'arrêter à nouveau chez elle, lors de ma remontée vers le Nord. Réflexion faite, je venais de trancher positivement.

C'est donc un peu euphorique et peut-être alourdi par mon repas, je ne sais, que j'avais repris ma route vers l'Ouest. Mais en pleine ligne droite, un peu avant Montmorillon, sur la D54, j'ai percuté un malencontreux platane, exécutant un vol plané qui s'est achevé contre un round-baller de paille, heureusement pour moi.

Enfin, c'est ce qu'on m'a raconté bien plus tard. La police, les médecins et "elle".

Sur le siège avant, lors de l'accident, se trouvait mon carnet de route, avec le nom, l'adresse et le numéro de téléphone d'une certaine Jacqueline Dupontel. C'est elle que les gendarmes ont prévenue, en l'absence d'autres indications.

Sans sa présence de presque tous les instants à mon chevet, serais-je revenu à la vie, avec un poumon perforé et trois fractures ?

J'en doute.

J'étais prêt à rejoindre Jeanne, mais un fil ténu m'a retenu.

Déjà, merci pour ça, Jackie.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, mars 2020, 1er jour du confinement.

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