XV

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Autant que je vous raconte la fête maintenant, pendant que j’y suis. Je reviendrai sur ce qui s’est passé dans l’intervalle ensuite.

C’était pour la Saint-Jean. Mariage le samedi, retour le lendemain pour les proches venus de loin. Beau temps annoncé.

Finalement, Jackie ne portait pas de chapeau et c’était heureux, on nous aurait crus de la famille, sinon !

Elle était assez fière de sa robe de crêpe de soie à fond bleu ciel et grosses fleurs multicolores, de ses sandales assorties, de sa pochette paille et de son étole à franges. Personnellement, j’aurais préféré un ensemble plus discret, mais avec Jackie, je crois qu’il faut que j’abandonne ce genre d’idées ! Son coiffeur lui avait confectionné un chignon haut avec une frange effilée, du meilleur effet.

Pour ma part, sur ses conseils, j’avais fait l’emplette d’un costume trois-pièces entre beige et gris argenté, avec un petit gilet à l’ancienne qui m’avait permis de ressortir ma vieille montre de gousset et sa chaîne en or. Chemise blanche et cravate rayée assortie au complet. Et une paire de mocassins tressés marron en chevreau, pas très mode, mais fort confortables par temps chaud, ce qui m’importait le plus.

Je dois avouer que lorsque je nous avais vus dans la glace de l’armoire de notre chambre pour l’essayage final, j’étais resté estomaqué. Et encore, la coiffure de Jackie n’était pas réalisée, bien entendu. Pour ma part, il y avait des années que je n’avais été aussi bien habillé ! (je ne parle pas des obsèques de Jeanne, je ne sais même plus ce que j’avais bien pu porter).

Bref, nous n’avons pas déparé lors de ce mariage, loin de là, je crois même que pas mal de regards se sont attardés sur nous, ce que je n’aime pas particulièrement d’ordinaire, mais en la circonstance, j’éprouvai un net sentiment de fierté.

La cérémonie fut simple et émouvante, comme elles le sont en général. Rapide aussi, car l’adjoint au maire qui officiait en avait trois à son planning. L’assistance atteignait une petite centaine de personnes, mais la mairie ne put accueillir tout le monde et certains restèrent sur le perron. Le marié n’était plus dans la prime jeunesse et souffrait d’un peu d’embonpoint ; la mariée, plus jeune de plusieurs années, affichait une jolie silhouette et des traits d’une beauté classique. Jaquette gris perle et pantalon rayé pour lui, robe écrue simple à décolleté pigeonnant pour elle.

Comme souvent, au moment de l’échange des alliances, le témoin du marié fouilla en hâte toutes ses poches avant de trouver le coffret qui les contenait, mais ce fut là le seul incident.

Après une promenade au parc le plus proche pour des photos et pour ne pas arriver trop tôt sur place, nous fîmes route vers la propriété de la famille, sur les bords de Rance. Devant, les mariés dans « ma » décapotable et le reste du cortège, tous klaxons en marche, à suivre. Debout à l’arrière, moi au volant, ils saluaient les passants qui applaudissaient. Jackie paradait aussi, le bras à la portière et je dus lui rappeler que la vedette, ce n’était pas elle !

La gentilhommière avait vue sur la rivière et le parc y descendait en pente douce. Des petits barnums avaient été dressés ici et là, et sur la terrasse différents buffets attendaient les invités. La salle et les deux salons avaient été prévus en cas de repli nécessaire.

Je dois dire que la famille n’avait pas lésiné sur le budget : le cocktail dînatoire était copieux et de qualité ; après la razzia habituelle du début, une fois que chacun eut bu une coupe de champagne et englouti une dizaine de pièces en hâte, l’accès aux tables devint plus aisé. Canapés salés de divers poissons fumés, foie gras, crevettes, buisson de langoustines, coquilles Saint-Jacques à la plancha, huîtres chaudes et froides, saladiers de guacamole et diverses salades (piémontaise, taboulé, périgourdine), assortiment de charcuterie : jambons blanc et sec, andouille, saucissons, pâtés, rien ne manquait. Je vous fais grâce des chips et de la salade verte !

Un plat chaud au choix pouvait même être servi : jambon à l’os ou cochon de lait rôti, pommes grenailles. Et chacun de rejoindre, sous les barnums disséminés dans le parc, les mange-debout qui y étaient dressés. Les quelques dames en robe longue se retrouvèrent dans l’obligation de rester au pied, à moins de se retrousser outre mesure.

Jackie ne savait plus où donner de la tête et ne voulait surtout rien rater et goûter à tout. Je tentais en vain de la freiner. Nous avions trouvé des commensaux en un couple d’amis des parents du marié, de même configuration que le nôtre : lui plus âge qu’elle, d’une bonne dizaine d’années, ce qui nous rapprocha d’instinct. La conversation allait bon train, souvent sans Jackie, qui ne cessait d’opérer des allers-retours entre les buffets et notre point d’attache.

Vint la ronde des fromages que je zappai et enfin arriva l’heure du clou final : les petits fours sucrés et la pièce montée. Apportée sur un bard, tous feux d’artifice allumés, par deux employés du traiteur, cette dernière faillit choir avant de parvenir à destination, lorsque l’un des deux hommes fit un faux pas. Une onde de crainte parcourut la foule assemblée. Mais il reprit son équilibre en précipitant quelque peu sa marche. Ouf !

Le pâtissier, toque en tête, procéda au découpage, trois par trois, des choux au caramel garnis de crème mousseline pralinée (une tuerie), et commença par servir les mariés. Puis, chacun défila avec son assiette à dessert pour se faire servir sa portion. Sage précaution, parce qu’en libre-service, à coup sûr certains gourmands n’auraient laissé aux derniers que leurs yeux pour pleurer ! Suivez mon regard !

Pour l’heure, un ciel étoilé avait succédé au chaud soleil de la journée et les invités commençaient à gagner le parquet installé sur la terrasse, pendant que la formation de jazz qui avait animé le cocktail modifiait son répertoire pour proposer des airs plus dansants.

Jackie trouva encore l’énergie pour se trémousser sur la piste et je dus m’exécuter.

Quelques slows, pasodobles et valses plus tard, il était une heure du matin passée, lorsque nous allâmes féliciter les mariés avant de nous éclipser jusqu’à notre chambre d’hôtel toute proche.

Mes chaussures neuves, pas assez faites à mes pieds, me serraient affreusement et ce fut un immense soulagement de les retirer enfin.

Ce soir-là, alors que je me tournai et retournai pendant un long moment dans un lit trop mou, Jackie, qui avait quelque peu abusé, s’endormit comme une pierre jusqu’au matin. Heureuse nature !

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, 9 avril 2020, 24e jour du confinement.

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