XIX
Né juste après la pandémie de grippe espagnole de 1818-1819, j’ai toujours joui d’une robuste constitution et avant mon accident, en soixante-dix-sept ans de vie, je n’avais été malade qu’une petite dizaine de fois, rarement alité et jamais hospitalisé. Hélas, plus on avance en âge, plus il est difficile de récupérer la musculature perdue et l’alitement est destructeur de ce point de vue. Je vous épargne la liste des inconvénients de cette situation, elle est consternante et les escarres en sont presque les moindres.
Au sortir de mon hospitalisation, j’avais perdu dix kilos, beaucoup de forces et toute endurance. Je flottais dans mes chemises et pantalons ; ma ceinture n’avait plus assez de crans pour la serrer, soulever cinq kilos m’était impossible et je pouvais marcher en continu dix minutes à peine. Vous imaginez le chemin qu’il m’a fallu parcourir avant d’être à nouveau valide et apte à une vie autonome !
C’est ce à quoi sont parvenus les soignants du Moulin Vert et je veux ici leur exprimer toute ma gratitude. Bien entendu, j’ai mis toute ma volonté à les aider dans cette tâche, mais je persiste à penser que c’est la présence à mes côtés de Jackie qui a été déterminante. C’est une banalité que de le dire, mais si le corps dispose de fonctions essentielles indépendantes de notre volonté, les pouvoirs de l’esprit sont cependant immenses. Du navigateur perdu en mer pendant des jours et des mois à l’emmurée des années durant, des exemples étonnants nous en sont régulièrement donnés.
Durant les deux mois de mon séjour, Jackie a été ma boussole, mon rayon de soleil, mon espérance. Toujours de bonne humeur, elle a souvent assisté, lorsque c’était permis, aux séances de musculation, natation, qui m’étaient imposées. Elle a été ma supportrice la plus acharnée. Les efforts que l’on me demandait, je les réalisais pour elle et bientôt, je n’ai plus eu qu’un objectif : sortir de là à son bras !
C’est arrivé pour la Noël, comme on dit par chez nous. Avant les fêtes, les bons de sortie se multiplient, pour adapter l’effectif des malades à celui des soignants. J’ai obtenu le mien le samedi 21 décembre 1996, je garde la date à jamais gravée dans ma mémoire avec quelques autres.
J’étais prêt depuis plus d’une heure, impatient de la voir, inquiet d’un possible retard, ma valise à mes pieds, assis dans le hall quand Jackie est apparue. Elle s’est avancée lentement, je me suis levé et nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre. Le temps, soudain, s’est arrêté, j’ai mesuré le caractère extraordinaire de toute cette aventure et je lui ai murmuré : « Merci ! », puis nous nous sommes embrassés.
Sans le moindre doute, ce fut l’un des plus beaux jours de ma vie, le premier véritable, dirais-je, de ma seconde vie !
(à suivre)
©Pierre-Alain GASSE, 18 avril 2020, 33e jour du confinement.
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