XXVIII
Au cours de l’hiver, nous avions rendu visite à plusieurs vide-maisons prévus dans le canton. C’était notre sortie du week-end. Cela nous avait permis de nous mettre au fait des tarifs pratiqués, souvent ridiculement bas à mon sens, mais il paraît que c’est la clé du succès…
Le principal défi logistique dans cette affaire était d’avoir la surface d’exposition nécessaire. Lorsque toutes les tables (sauf celle de la cuisine, quand même) furent encombrées de verres, couverts, vaisselle, bibelots, linge, objets de décoration, etc., je dégondai deux portes isoplanes que je montai dans le garage sur des tréteaux pliants, ainsi que la table à tapisser, inemployée depuis les derniers travaux que j’avais effectués, peu après notre installation dans cette maison. Cela remontait à plus de trente ans ! Ils étaient bien poussiéreux et couverts de toiles d’araignées, mais encore vaillants, en dépit de quelques vermoulures !
Toutes ces surfaces furent recouvertes de nos nappes et toiles cirées. Les armoires exhibaient leurs entrailles vides, les tiroirs bâillaient, les lits avaient le ventre à l’air. La maison avait l’air d’un chantier de déménagement. Ce n’était pas engageant du tout.
Mais Jackie veillait au grain.
— Bon, d’abord, on referme les armoires et les tiroirs, on remet les dessus-de-lit et courtepointes, on laisse les lampes, les tableaux et les bibelots en place. Je coupe des fleurs au jardin et je les installe dans les vases.
— Tu ne crois pas qu’il faudrait aussi créer un sens de visite, dans la mesure du possible ?
— Oui, tu as raison. Ce pourrait être : arrivée par l’entrée, couloir salon, salle à manger, chambre, cabinet de toilette, cuisine, réserve, montée à l’étage, chambres, salle de bain, w.c., grenier, descente au sous-sol et sortie par le garage. Qu’est-ce que tu en dis ?
— Je crois qu’il faudrait réserver la partie grenier pour stocker ce qu’on veut garder et descendre au sous-sol les vieilleries dont on souhaite se défaire.
— Oui, tu as raison.
La nuit, je continuais de réfléchir aux multiples défis à relever : flécher au mieux l’itinéraire à suivre depuis le centre bourg pour que les pancartes ne soient pas inversées par des plaisantins ou carrément enlevées avant le jour J, prévoir du papier journal, des cartons et des cageots pour les acheteurs, trouver deux boîtes à gâteaux en fer pour servir de caisses, aller à la banque retirer pièces et billets pour les alimenter, vérifier le stock d’étiquettes, au cas où il faudrait baisser les prix affichés… Je m’endormais sur le matin et me levais fatigué.
Jackie, elle, d’un tempérament plus placide, dormait toujours comme un sonneur, mais me confiait rêver une nuit sur deux d’un aspect ou l’autre de cette vente extraordinaire.
Il était temps que cela finisse et que le grand jour vienne.
(à suivre)
©Pierre-Alain GASSE, 7 mai 2020, 51e jour du confinement.
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