Chapitre unique
Markus monta les trois étages. A chaque palier, l’escalier devenait moins large, la moquette plus élimée. L’hôtel avait assez belle allure vu de la rue, mais la réception passée, on devinait un confort précaire. La chambre 11 était au fond du couloir. Il la trouva sans difficulté malgré le faible éclairage. A cette heure avancée, il ne craignait pas trop de rencontrer d’autres clients, mais se sentait malgré tout un peu mal à l’aise.
La porte de la chambre n’était pas verrouillée. Il entra sans frapper. La pièce était dans l’obscurité, mais une faible lueur bleutée provenant de l’enseigne de l’hôtel par la fenêtre ouverte créait une ambiance irréelle. Markus referma discrètement et mit la chaîne de sûreté. Il resta quelques instants appuyé au panneau, ses yeux s’habituant progressivement à la pénombre.
Le taxi avait déposé Marie quelques heures plus tôt. Comme à son habitude, elle avait choisi un quartier peu fréquenté. Elle ne connaissait pas cet établissement mais l’avait choisi pour son prix modique. Elle avait passé une partie de la journée à se promener dans les rues de Paris. En cette journée d’été, sa tenue n’avait pas manqué d’attirer les regards de nombre de parisiens pourtant blasés, quant aux nombreux touristes étrangers, beaucoup n’en croyaient pas leurs yeux. Hommes et femmes se retournaient sur son passage et lorsqu’elle s’installa à la terrasse d’un café près du Palais Royal, elle devint rapidement le centre de l’attention des autres clients et des serveurs. C’est ainsi qu’elle avait fait la connaissance de Markus.
Le jeune homme lisait, assis seul à la table voisine. Marie ne put s’empêcher de jeter un œil à la couverture du livre. Elle ne reconnaissait pas le titre mais la collection lui était familière. L’illustration était tout à fait explicite et Marie connaissait très bien ces romans à l’érotisme raffiné, dont elle était elle-même très friande.
Quelques minutes plus tard, voyant que le jeune homme ne semblait attendre personne, Marie lui avait proposé avec un grand sourire de partager sa table. Markus avait eu un instant de trouble, visible à la brusque coloration de ses joues, mais avait accepté immédiatement. Il essaya maladroitement de masquer sa lecture mais d’autorité, Marie prit l’ouvrage sur la table et l’ouvrit au hasard. Après avoir lu quelques lignes elle se tourna vers celui qui n’était encore qu’un inconnu et lui demanda où il avait acheté le livre.
« A la Musardine répondit-il, c’est la meilleure librairie de Paris pour ce genre d’ouvrages.»
Marie avait entendu parler de l’endroit, mais ne s’y était jamais rendue.
« C’est vraiment aussi bien qu’on le dit ? »
L’inconnu se présenta. Il s’appelait Markus, il était allemand, étudiant la littérature française à la Sorbonne. Il préparait une thèse sur la littérature érotique française du XVIIIème siècle. Il s’intéressait également aux ouvrages chinois et japonais, qu’il considérait comme les maîtres de l’art de l’amour, mais il regrettait de ne pouvoir les étudier qu’à travers les rares traductions disponibles.
Marie le considéra avec attention. Il avait le style caractéristique des européens du nord, blond, large d’épaules mais avec un visage juvénile. Sa timidité initiale avait rapidement disparu lorsqu’il avait commencé à parler de ses recherches. Marie l’écoutait avec un plaisir non dissimulé. Lorsqu’elle lui avait expliqué qu’elle-même collectionnait les ouvrages érotiques anciens, il avait entrepris de lui présenter ses travaux, portant sur les différentes approches de la pratique amoureuse et leur relation dans les courants libertins de l’Europe de l’ancien régime.
Le soleil commençait à décliner lorsque Markus dût prendre congé.
« J’aimerais pouvoir vous revoir, dit-il, très vite. »
« Donnez-moi votre numéro de portable, je vous rappelle dans la soirée, répondit Marie. »
Il était près de minuit lorsque Marie l’avait contacté depuis sa chambre d’hôtel. Elle lui avait donné l’adresse et le numéro de la chambre, lui recommandant d’être discret. Markus n’attendait plus son appel, pensant que la belle inconnue l’avait déjà oublié. Il était rentré chez lui en banlieue et lui avait demandé au moins une heure pour se préparer et venir la rejoindre. Marie lui avait répondu que cela n’avait pas d’importance et qu’elle l’attendrait.
Marie aimait ce genre d’aventures, soudaines et un peu mystérieuses. Le jeune homme avait provoqué chez elle un trouble délicieux qu’elle souhaitait maintenant prolonger dans l’intimité et l’anonymat. L’immense culture de Markus avait réveillé en elle les fantasmes issus de ses lectures secrètes et jusqu’à présent soigneusement refoulés. Elle avait eu de nombreux amants de passage, mais n’avait jamais voulu se lier durablement. Elle aimait les hommes, mais appréciait presque autant les caresses saphiques et cette dualité avait eu pour effet de provoquer chez elle une insatisfaction permanente. Elle ne pouvait se satisfaire d’une relation unique et cela l’avait amenée à cette pratique curieuse qui consistait en des rendez-vous sans lendemain, dans des lieux inconnus, des hôtels le plus souvent. Elle n’avait jamais été attirée par la fréquentation des milieux interlopes aux pratiques dangereuses. Elle préférait choisir ses partenaires, hommes ou femmes, au hasard de ses sorties, se fiant à son intuition, en espérant qu’ils lui procureraient à chaque fois un plaisir nouveau. Markus faisait partie de ces proies dont elle attendait beaucoup. Elle souhaitait vivement ne pas être déçue.
Elle était arrivée à l’hôtel vers 23h00. Elle savait que Markus viendrait la rejoindre. Elle prit le temps de s’y préparer, savourant à l’avance le moment où elle l’appellerait, puis celui où elle le conduirait au plaisir. Ces instants constituaient pour elle une part importante de son accomplissement sexuel. Forte de son pouvoir de séduction, elle faisait monter l’intensité de ses émotions par paliers, jusqu’à la soumission ultime. La visite de la chambre fut rapide. Le mobilier était réduit au strict minimum, le lit, une petite table et deux chaises constituant les seuls éléments. La salle de bain attenante était petite mais propre. La fenêtre donnait sur la rue mais cela ne la gênait pas particulièrement. Elle se déshabilla presque aussitôt, ce qui ne lui prit qu’un instant. Elle fit glisser sa robe sur ses épaules et ses hanches et la laissa tomber sur le sol. Ne conservant que son string et ses chaussures à talons hauts, elle retourna dans la salle de bain. Une longue douche gommerait les effets de la chaleur et de la poussière. En attendant que l’eau soit à la bonne température, elle ne put résister au plaisir d’admirer sa silhouette dans la glace. De profil, elle examina la forme et la bonne tenue de ses seins, son ventre plat et ses fesses rondes. Satisfaite, elle se débarrassa de son ultime vêtement et pénétra dans la cabine dont s’échappait un peu de vapeur. Elle adorait sentir l’eau très chaude couler sur son corps. Elle dirigea le jet sur sa poitrine, massant doucement ses seins, faisant saillir les pointes sous l’effet de la caresse. Elle connaissait son corps et savait créer de délicieux frissons par de subtils attouchements. Ses mains quittèrent assez vite les seins pour descendre entre ses cuisses. Elle pouvait faire durer le jeu assez longtemps, mais pour ce soir, elle attendait autre chose.
Ignorant les traces humides qu’elle laissait derrière elle, elle sortit de la salle de bain sans s’essuyer. L’évaporation des gouttes luisant sur son corps lui apporterait de la fraîcheur. Toujours nue, elle prit son portable et le petit papier sur lequel était griffonné le numéro de Markus. Elle se dirigea vers la fenêtre qu’elle ouvrit en grand, ignorant les voyeurs éventuels. C’est assise sur le bord qu’elle appela le bel allemand, après quoi elle ouvrit le lit et s’allongea, ne gardant sur elle que le drap. Elle s’assoupit rapidement.
Markus remarqua rapidement la forme du corps de Marie. La jeune femme était allongée sur le côté, une jambe repliée, lui tournant le dos. Ses mains avaient attiré le drap sur sa poitrine, mais, en bougeant sans doute, ses hanches s’étaient trouvées dévoilées, offrant à Markus le spectacle charmant de son dos et de ses fesses nues. Il posa doucement son petit sac à dos à ses pieds, jeta sa veste sur une chaise et s’approcha sans bruit. Marie sentit la présence dans la chambre. Emergeant rapidement de son sommeil, elle se retourna et se redressa sur le lit, le drap toujours tiré sur sa poitrine, cherchant instinctivement à voiler sa nudité. Ce réflexe la fit sourire, elle qui ignorait toute pudeur physique. Sans un mot, elle tendit la main signifiant ainsi à Markus son désir. La présence du jeune homme avait déclenché en elle une intense émotion que son corps maintenant tendu ressentait avec jouissance.
Mais la réaction de Markus ne fut pas celle qu’elle attendait. Au lieu de se pencher vers elle comme elle l’espérait, il prit sa main et l’incita à se lever. Il la prit délicatement par les épaules et la fit pivoter, face au mur. Puis, avec un geste étonnant vif, il plaça autour de son cou un collier de cuir, tel ceux que l’on utilise pour tenir les chiens en laisse. Marie, surprise, voulut protester mais le jeune homme plaça une main ferme sur sa bouche, la contraignant ainsi au silence. Marie repensant alors aux propos de l’après-midi comprit qu’elle s’était délibérément offerte aux caprices d’un maître initié aux raffinements des pratiques du divin marquis et de ses successeurs. Ainsi équipée, Markus la fit à nouveau se retourner. Elle lui faisait face maintenant, ses bras le long du corps, les genoux serrés. La lumière était toujours très faible mais Markus l’examina longuement, son regard détaillant chaque partie de son corps, ses seins, son ventre, puis s’attardant sur le triangle de duvet fin. Naturellement blonde, Marie n’avait jamais eu besoin d’épiler une toison très légère, qui ne dissimulait presque rien de son anatomie la plus intime.
A voix basse, mais d’un ton ferme, Markus lui ordonna de se placer à genoux, face à lui sur le lit, les mains dans le dos. Il prit alors dans son sac une fine chaîne chromée, qu’il fixa sur un anneau du collier et avec laquelle il lia les mains de la jeune femme. La longueur de la chaîne obligea Marie à se cambrer au maximum, rejetant la tête en arrière. Satisfait, Markus prit un petit appareil et entreprit de photographier sa captive sous tous les angles. Marie était surprise par ses manœuvres. Elle s’attendait à des gestes plus brutaux, des attouchements prononcés, mais il n’en était rien. Markus cherchait à éviter le contact avec les parties sensibles de son corps, ignorant ses seins et son sexe. Il ne touchait que ses mains, ses épaules, presque avec gène. Quel jeu jouait-il ? Il changea la pose, accrochant la chaîne au-dessus de sa tête, suspendue par les poignets, il forçait Marie à tendre le buste en avant. Il fit une nouvelle série de clichés. Il n’utilisait pas de flash. Pour varier les effets, il prit dans son sac deux bougies qu’il posa sur la table, derrière Marie, avant de les allumer. Il lui demanda de se tourner, de profil par rapport à lui, les bougies projetant sur sa peau une lumière vacillante.
Il la libéra enfin, elle se laissa tomber sur le lit, attendant avec une pointe d’angoisse la suite des évènements. Il s’assit à côté d’elle. Toute trace de domination avait maintenant disparu de son visage. Il était redevenu celui qu’elle avait voulu séduire quelques heures plus tôt. Elle s’approcha de lui, glissant sa main dans l’ouverture de sa chemise. Il la laissa faire quelques instants avant de la repousser délicatement. « Non, dit-il, je ne suis pas venu pour cela, j’avais besoin d’image pour illustrer mes travaux. Je te remercie sincèrement, tu es très belle mais je n’aime que les garçons. »
La laissant ainsi, il ramassa rapidement ses accessoires et sortit.
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