De jour jamais tu ne chemineras : II
Monter la tente de leur mère fut moins simple que les jeunes perædhellith ne l’auraient cru. Non que l’objet soit compliqué en soi – il suffisait de sortir un arc télescopique d’une boîte pas plus grande que l’avant-bras d’Elarya, de le déplier, de le poser au sol et d’appuyer sur un bouton pour voir apparaître un film biomoléculaire protecteur et transparent – mais ses sœurs n’arrivaient pas à se mettre d’accord, et elles ne l’écoutaient pas. À l’exception d’Elarya qui comme d’habitude ne disait rien, personne n’était d’accord sur l’endroit où poser la fameuse tente.
— Maman dit qu’il fait la poser contre un support, comme un mur, soutint Shelwë. Comme ça, le film protecteur se cale dessus, comme une toile d’araignée.
— Alors, je pense qu’il faut plutôt trouver un endroit bien abrité, comme un tunnel ou une grotte par exemple, pour poser notre toile ! proposa Shëol.
Lalaith crut bon d’intervenir.
— Ce n’est pas une toile. C’est une tente, conçue spécialement pour le coucher à la belle étoile. A quoi servirait-elle si on trouve un bivouac déjà abrité ? Ne soyez pas stupides.
Shëol, échauffée par la petite prise de bec préalable, vissa ses yeux rubis sur sa sœur.
— C’est une toile. Arda me l’a dit. C’est comme une toile, une toile d’araignée.
— De toute façon, si on la perdait, nous serions capables d’en configurer une dans la minute, ajouta Shelwë.
— Une vraie toile d’araignée, compléta Shëol.
Lalaith croisa les bras. Puis elle posa ses poings sur ses hanches, comme elle avait souvent vu Lathelennil le faire. Cela la faisait paraître plus large, et impressionnait ses sœurs qui utilisaient la même ruse, en levant leurs petits bras noirs.
— Arrêtez de dire des bêtises. Pourquoi maman aurait-elle une toile d’araignée dans ses affaires ? Elle les déteste !
— Ce n’est pas vrai, se défendit Shelwë. Elle les aime. Sinon, elle ne serait pas avec Premier-Père.
— Elle ne savait pas, pour les partielles origines arachnides de Premier-Père, avant de se mettre avec lui.
— Si ! Elle l’a toujours su !
Lalaith éprouva une vicieuse envie de continuer sur le sujet, et de dire à ses petites sœurs qu’elle avait un jour surpris leur mère en train d’écraser une grosse et grasse araignée avec sa botte tactique renforcée, en poussant un juron dégoûté. Une satisfaction froide l’envahit à l’idée de voir les visages noirs et pointus se plisser, et peut-être même pleurer… mais ni Shëol ni Shelwë n’en étaient capables. C’était de petits esprits primaires et sauvages, qui ne pensaient qu’à manger, satisfaire leurs pulsions immédiates et voir leurs envies du moment contentées.
Lalaith finit par prendre la tente, et s’éloigna pour trouver un coin elle-même.
— Hé ! l’apostropha Shelwë. Ne monte pas la tente sans nous demander notre avis ! Il faut que tout le monde soit d’accord sur l’emplacement.
Elles répétaient un précepte appris de leur mère, lors des jeux en famille. Il faut que tout le monde soit d’accord.
— Vous êtes trop stupides, leur lança Lalaith. Si on vous écoutait, on ne dormirait pas de la nuit !
— Non ! C’est toi qui es stupide !
Lalaith se retourna d’un coup, et montra ses crocs. Un léger grondement monta du fond de sa gorge. Shelwë se figea sur place, et comme Shëol, elle battit en retraite.
— Nous ne sommes pas là pour nous amuser, leur rappela-t-elle. Ce n’est pas un jeu. Notre sœur aînée, notre frère aîné, puis notre petit frère ont disparu, attaqués par des gens méchants. Nous devrons sans doute faire face à de nombreux dangers, ici, sur Æriban, avant de les retrouver. Depuis des générations, les fils de Neaheicnë viennent ici pour affronter les épreuves de l’initiation et faire leur cair… Et vous, vous vous disputez pour savoir où planter la tente ! Vous êtes ridicules.
Shelwë baissa le nez. Shëol l’imita.
— Nous avions oublié, murmurèrent-elles.
— C’est pour cela que je dis que vous êtes stupides. Vous ne voyez pas plus long que le bout de votre nez ! Grandissez, un peu. C’est l’occasion ou jamais.
Ses sœurs ne dirent rien à cela.
Lalaith retourna à son travail, puis fit signe à Elarya d’amener ses affaires. La tente était prête.
Annotations