Masques et métamorphoses I
Le plus grand soleil d’Æriban dardait ses rayons pourpres sur la végétation, faisant s’ouvrir les fleurs mauves et bleues qui peuplaient le jardin. Nul trace de vert sur la planète de l’initiation : les rayons ultra-violets des trois soleils teignaient la végétation d’une gamme chromatique allant du pourpre à l’indigo. Debout sur la terrasse du palais en ruine où elle avait pris ses quartiers avec ses sœurs, Lalaith observait le spectacle du retour à la vie. Depuis peu, les nuits étaient devenues étrangement glaciales, laissant présager un nouveau cycle d’instabilité. Et, dès le lendemain de son entrevue nocturne avec le barde Amryliw, les quatre perædhellith avaient découvert un daurilim fraichement tué devant leur campement. Comme l’avait conseillé le filidh, elles étaient donc restées.
Leur enquête progressait lentement. Shelwë, munie de tout un tas d’instruments d’analyse empruntés à Dea, avait réussi à mettre en évidence de nombreuses traces de sang frais : un affrontement avait eu lieu ici, et dans un temps relativement proche. Heureusement, il ne s’agissait pas du sang de leur frère. Shelwë avait décelé quatre signatures biométriques différentes, dont trois étaient humaines.
— La quatrième est ældienne, avait-elle conclut, mais il ne s’agit pas de notre frère. C’était le sang d’un sang pur, peut être l’un de leurs agresseurs.
Cette seule information les avait un petit peu rassurés.
Shëol, quant à elle, les avait aidées à identifier la nature du bâtiment dans lequel ils se trouvaient :
— Il ne s’agit pas d’une habitation. C’est un temple.
— Un temple ? Dédié à quelle sældar ?
— Avachel, le semi-wyrm, avait répondu Shëol en mâchonnant un petit bout de daurilim séché. Patron des cír et des voyages en espace profond. Les murs sont ornés d’images le représentant. Un livre ouvert à sa gloire.
Là-dessus, la jeune semi-ældienne avait montré les sculptures peintes à ses sœurs. Certaines étaient si abimées qu’il devenait difficile de discerner le moindre élément, mais d’autres présentaient des scènes d’une grande précision. Ci et là, on pouvait lire l’histoire et les exploits du semi-wyrm Avachel : sous sa forme ældienne, offrant une fleur de cristal à une jeune elleth, puis lui contant la ritournelle sur un lit de fleurs violettes. Dans toute sa gloire au firmament, ses longs cheveux d’argent au vent, en train d’embraser un château ou de dévorer un ennemi. Sur un autre, on le voyait en train de chasser un autre ældien, qui, en dépit de son armure d’or resplendissante et de sa superbe chevelure de nuit, se cachait le visage derrière sa main, ébloui par la puissance de feu du dragon. Sur l’une des gravures, on pouvait voir Avachel, sous sa forme draconide, en train de féconder une elleth – celle là même qu’il avait séduite sur un autre panneau – son long corps serpentin enroulé en anneaux autour de la malheureuse qui se débattait. C’était l’une des seules images qui représentaient le sældar sous sa forme ultime, celle du wyrm. Les traits fins du visage ældien qui apparaissait sur le masque, affichait une expression d’une cruauté inouïe, avec leur sclère rouge sang et leur pupille minuscule.
— C’est horrible, grimaça Shelwë. Ces cultistes d’Avachel devaient être des gens peu recommandables !
— Ceux qui suivaient la voie d’Avachel cherchaient à s’accoupler à des wyrms, expliqua Shëol. Pour mettre au monde des draconides, des semi-wyrms. Après tout, c’est également quelque chose qui est pratiqué chez les fidèles de la Dame Noire, avec les araignées khari.
La Dame Noire. Une belle épiclèse pour désigner la sældar Lethë, Mère des Araignées, ensemencée, pour sa part, par un démon arachnide de l’outre-espace.
Cette mention parut déstabiliser Shelwë. Lalaith n’ignorait pas que ses sœurs, à l’instar de leur tante et de leur demi-sœur aînée, se réclamaient de Lethë.
— Et à quoi ça nous sert, de revenir sur toute cette mythologie, pour retrouver nos frères et notre sœur ? s’enquit-elle, défiante, en croisant ses bras.
Shëol eut un petit reniflement dramatique.
— Il est possible que ces images aient influencé notre frère. Tu as dit hier qu’une énergie immense avait été libérée ici, Lalaith… Probablement celle qu’un perædhel libère le Jour du Choix. On dit que la dernière configuration accomplie par un perædhel peut l’influencer, en lui faisant faire un choix définitif… Un mauvais choix, qui plus est. C’est à cause de cela que, ce jour approchant, on les pousse à la méditation dans une pièce vierge de toute représentation qui pourrait agir sur la nature de leurs configurations. Les cultistes d’Avachel, au contraire, enfermaient les perædhil de leurs cercles dans des salles comme celles-là, remplies d’images de celui à qui ils voulaient ressembler… Tout ce que j’espère, c’est que ces scènes horribles n’auront eu aucune influence sur Caëlurín.
— Pourquoi ? demanda abruptement Shelwë.
Shëol posa son regard assuré sur sa jumelle.
— Si c’est le cas, alors, nous avons perdu notre frère. Avachel est un sældar d’une méchanceté inouïe, plus malveillant encore que tout ce qu’on peut dire de Lethë. Elle, elle ne cherchait qu’à survivre et se venger… Mais Avachel est un concentré de toute la mégalomanie et la froide cruauté des wyrms. Ainsi que les images le montrent, il porte un masque. Un masque qui dissimule ses véritables intentions, son vrai visage. Et comme toute vérité dissimulée sous un masque, elle est loin d’être belle. Mais plutôt effroyable !
Shelwë grimaça de concert avec sa sœur. Mais la plus troublée était Lalaith. Une effroyable vérité se dissimulait sûrement sous le masque d’Amryliw, le troubadour qui les escortait dans l’ombre.
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