Nouvelles recrues II
— Y a personne. Tu peux y aller.
Étrangement, le bâtiment semblait vide. Lathelennil trouvait que les moines avaient abandonné bien facilement… Tout cela cachait quelque entourloupe.
Yolen avait réussi à passer dans l’autre pièce – celle par laquelle les humains l’avaient espionné – sans encombre.
— Il nous faut des armes et des vêtements, décida Lathelennil. À propos, qu’ont-ils fait de mon armure, de mes effets personnels et de la carcasse de mon vaisseau ?
— Votre combinaison et ce qu’on a trouvé sur vous a été stocké dans les coffres de l’armurerie centrale, répondit Yolen. Vous pourrez les récupérer à partir de n’importe quel dispositif équipementier.
— Parfait. Trouve moi ça.
— Il y a une armurerie juste là.
Yolen montra une encoche dans le mur lisse, devant laquelle elle vint se planter. Un rayon infra-rouge sortit du mur, et la sœur le laissa scanner son iris. Juste avant qu’il ne passe du vert au rouge, Lathelennil la poussa sur le côté. Là où s’était tenue la femme, se trouvait désormais un trou fumant.
— Le rayon ne t’as pas reconnue, constata l’ældien. Ils ont dû effacer ton numéro. Tu es une hérétique : c’est officiel !
Yolen n’ajouta rien. Elle devait être sous le choc, ou secrètement contente. Désormais, il n’y aurait plus de retour en arrière possible.
— Pousse-toi.
Lathelennil passa devant elle et se mordit férocement le poignet. Puis, lorsque le sang coula – un ichor sombre et épais, chargé des fluides qu’il avait pris à la sœur – il s’en barbouilla les doigts et en éclaboussa le glyphe encré sur sa poitrine. Yolen le regarda faire du coin de l’œil, l’air grave.
— Des codes de translation, comprit-elle.
— Rien de bien complexe ou spectaculaire, précisa Lathelennil.
Pourtant, une petite créature ailée aux yeux noirs apparut dans une avalanche d’étincelles vertes. Elle tenait dans ses petites mains griffues une clé, qu’elle déposa dans celles de Lathelennil.
— Qu’est-ce que c’est ? s’enquit Yolen.
— Une eyslyn d’Ymmaril. Ils font office de serviteurs.
— Je ne parlais pas du lutin ailé, mais de cette clé.
Lathelennil posa ses yeux noirs sur l’humaine.
— Ça ? C’est un passe-partout à rayon thermique.
Il s’approcha du mur, et se collant dos à la paroi pour éviter le système défensif, entreprit de dessiner le contour d’une porte avec la clé. Partout où elle passait, le rayon à haute température faisait fondre le titanium.
— Je ne savais pas que les ældiens utilisaient de tels gadgets, observa Yolen en croisant les bras.
— Les ældiens ? J’en sais rien. Moi, en tout cas, j’adore les gadgets. Ah ! Ça y est.
La paroi tomba dans un fracas sourd, dévoilant une véritable caverne d’Ali Baba. Lathelennil afficha un sourire féroce à la vue des nombreux collisionneurs portatifs et autres épées-tronçonneuses qui s’alignaient sur les portants.
— Prends une combinaison et une arme, lui ordonna Lathelennil.
— Je croyais que les esclaves devaient rester nus ?
Lathelennil lui jeta un regard rapide, l’incrédulité apparaissant quelques secondes sur son visage.
— Dans les Cours Sombres, c’est le cas… Mais moi, je veux que tu sois habillée.
— Est-ce que cela vous empêchera d’user de moi ?
— Absolument pas.
— Bon.
Yolen entra dans le syntoniseur équipementier, après avoir tapé les coordonnées d’une combinaison de Grande Inquisitrice sur la console de commande. Lorsqu’elle en ressortit vingt secondes plus tard, son corps aux formes généreuses était moulé dans une tenue en polymère aussi noire et brillante qu’un lac de carburant fossile. Lathelennil ne put s’empêcher de couler un regard appréciateur sur sa taille sanglée et ses cuisses harnachées d’armes de gros calibre, deux éléments conjoints qu’il appréciait fortement.
— Je vais vous chercher ce que vous avez demandé, Maître Lathelennil, fit la sœur en se dirigeant vers une paroi dissimulant une série de placards tactiques.
Mais le susnommé la tira vers lui.
— Attends.
Yolen se laissa plaquer contre le corps de l’ældien, tandis qu’il promenait ses longues mains griffues sur le polymère.
— Je veux que tu portes cette tenue sur mon bord, et ce tant que tu seras à mon service, murmura-t-il à son oreille d’une voix rendue rauque par le désir. C’est compris ?
— Compris, Maître.
Avec une petite tape sur sa croupe, il la relâcha.
Les deux fuyards traversèrent des couloirs déserts, des enfilades de cellules anonymes et vitrées, dont les larges baies donnaient sur un espace vide et silencieux.
— Je comprends que t’ai eu envie de voir autre chose, grinça Lathelennil à la vue de ces murs nus et stériles. Tu devais bien te faire chier dans une telle cage à lapins, dans cette portion perdue de l’univers !
Mais il était bien conscient que c’était en grande partie à cause du luith que Yolen avait succombé aux tentations de l’hérésie.
La sœur défroquée insista pour pouvoir récupérer quelques affaires personnelles. Lathelennil ne pouvait pas lui en tenir rigueur : il avait lui-même tenu à retrouver ce qui restait de son armure, de sa grande épée de guerre et de la clé dans laquelle il conservait la mémoire individuelle de Rhaenya. Aussi fut-il étonné en constatant que les effets que l’humaine voulait récupérer étaient en réalité des artefacts qui appartenaient au monastère.
— Qu’est-ce que c’est ? s’enquit Lathelennil, méfiant, en la voyant désactiver le champ énergétique qui protégeait un coffre en bois antique.
— C’est un manuel de codes de translation, Maître.
— Des codes ? Des codes pour quoi ?
— Des codes permettant d’invoquer certains des vôtres. J’ai pensé que vous voudriez le récupérer.
Lathelennil se hâta de l’y autoriser.
— Oui, prends-le. Ça peut toujours servir.
La femme lui jeta un regard entendu, et s’empara du coffret.
Merde, je vais finir par tomber amoureux de cette salope, moi, s’inquiéta Lathelennil en laissant flotter son regard sur les courbes appétissantes et le regard provoquant de la sœur sanglante. En plus d’être bonne, elle s’avérait être une excellente recrue. Lathelennil avait toujours eu un faible pour les humaines débrouillardes qui se vouaient de leur propre chef à la damnation et à l’hérésie. C’était si excitant de voir ces femelles briser un à un tous les tabous de leur pathétique société !
Il avait ressenti la même chose avec Rika. Mais, quelque part, cette dernière lui avait toujours résisté. Elle ne lui avait cédé qu’à contrecœur, pour sauver sa portée tout d’abord, puis par dette d’honneur. Et, tout récemment, elle lui avait avoué qu’elle ne l’aimait pas.
Bah, de toute façon, Ar-waën Elaig Silivren est son véritable maître. Pas moi. Il était temps que je passe à autre chose.
— Une préoccupation, maître ?
Lathelennil secoua la tête.
— Rien du tout. Je me disais juste que c’était une très bonne idée, ce bouquin de codes. Allez. On continue. Il nous faut nous dégoter un vaisseau pour se tirer d’ici.
Yolen guida Lathelennil vers la zone de dockage des vaisseaux. Sur le chemin, ils passèrent devant une lourde porte blindée, sur laquelle figurait le mot « accès interdit » en Commun et en néo-latin. Pris par une intuition subite, Lathelennil fit un signe à sa nouvelle esclave.
— Attends, lui intima-t-il en lui désignant la porte. Qu’est-ce qu’il y a derrière ce sas ?
Yolen scanna la porte.
— Un quartier de recherche et de détention de basse sécurité, lui apprit-elle. Vous vous trouviez dans la cellule la mieux gardée de la station, de l’autre côté.
— Ouvre-la, lui ordonna Lathelennil.
La sœur s’exécuta. Étrangement, sur cette porte, son code d’identification fonctionnait encore.
Ils n’ont pas cru bon de désactiver son numéro d’identification sur toutes les zones de la station, comprit Lathelennil. Cela veut dire qu’ils se trouvaient dans l’urgence, et que la sécurité n’est pas centralisée. Bon à savoir.
Lorsque Yolen, en bonne esclave dévouée, fit mine de passer devant, Lathelennil l’arrêta d’un geste. Il n’était pas ce genre de maître.
— Laisse-moi passer d’abord. Si tes copains ont laissé cette porte ouverte, ce n’est pas pour rien !
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