Une leçon d'autorité : II

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Unila l’attendait au garde-à-vous, ses longues jambes graciles martialement écartées, les mains croisées derrière son dos. Elle n’affichait pas l’attitude soumise et repentante que Lathelennil espérait. Derrière elle se tenait le reste de la troupe : Soveh, Dunizel, Nemdur, Elsheved, Raziel et Nazhdru. Visenn se cachait un peu, les oreilles basses, ses yeux d’un noir abyssal fixés sur son chef d’une manière qu’on aurait pu dire craintive. Le peu de lumière que renvoyaient ses prunelles les faisait ressembler à un puits sans fond, irrémédiablement brute et bête. Contrairement à ce que ses traits délicats et la pointe racée de ses oreilles pouvaient laisser penser, Visenn était aussi brutal et violent que le plus barbare des chef orcanides. En voyant ses créatures longilignes bardées de métal, de tatouages glyphiques et autres symboles claniques sur leurs faces blêmes et leurs capes en peau, Lathelennil ne put retenir une grimace. Pour la première fois de sa longue vie, il trouvait que ses congénères exsudaient la laideur.

— Bon. Vous êtes tous là, ronronna-t-il pourtant, dans un souci d’apaisement.

Immédiatement, les huit guerriers dégainèrent leurs épées et posèrent un genou à terre. Lathelennil les contempla de l’air hautain qu’ils attendaient, avant de les enjoindre à se relever.

— Ça va, grogna-t-il avec un geste agacé. Faites-moi plutôt un topo sur la situation.

Unila s’avança aussitôt.

— On a réussi à passer, mais la racaille adannath est en approche, Seigneur. Grâce aux dispositions que vous avez prises, nous pouvons tenir un siège ici même. Mais même si ce n’est pas un cair, notre croiseur est rapide, et il serait peut-être souhaitable de partir avec les otages…

Lathelennil releva les yeux vers elle.

— Et les otages, justement, où sont-ils ?

— On les a enfermés dans l’astronef.

— Il est amarré juste derrière, ajouta Raziel de sa voix grave de jeune mâle.

Lathelennil suivit son capitaine dans le couloir qu’il indiquait. Satisfait, il inspecta le croiseur adannath qu’il avait volé autrefois à un ancien chef de guerre humain – depuis longtemps oublié – et rafistolé selon ses goûts. Dès le début, il avait aimé les lignes effilées de ce speeder spatial datant de la guerre de Fondation, sa coque d’un noir mat, ses renforcements rutilants : qu’il soit sur terre en vol, en train de déployer ses ailes sur l’horizon infini de l’Autremer, le Sovian ressemblait à un magnifique oiseau de proie. Aujourd’hui, il servait de deuxième maison à une bande de jeunes pirates avides, qu’il avait recruté parmi les puinés des clans les plus décadents et désoeuvrés de sa race, mais il avait conservé sa splendeur létale. Par delà la peine qu’il éprouvait pour la perte de Rhaenya, Lathelennil était content d’en reprendre le commandement. Le Sovian ne remplacerait jamais son cair, bien sûr, mais ferait un compromis plus qu’acceptable en attendant de retrouver un corps à sa wyrm.

Lathelennil ignora les explications empressées de son jeune capitaine sur les améliorations apportées pour se diriger d’office vers le cockpit. Sur la baie tactique – encore une brillante invention adannath, il fallait bien le reconnaître – apparut un chapelet de croiseurs de guerre. C’était encore ces foutus moines-soldats, revenus avec du renfort.

— On peut faire une percée, lui assura Dunizel, son conseiller tactique. Et ramener les prisonniers à Dorśa.

— Ça nous coûtera cher, fit observer Unila sombrement. Rien ne dit qu’on arrivera tous à Dorśa. Il faudra que l’un de nous, au moins, reste sur place pour faire diversion.

Lathelennil porta ses griffes laquées d’iridium à ses lèvres, qu’il effleura d’un air songeur.

— Dorśa… Hum, oui. Visiblement, il y a un très ancien portail qui y mène : je l’ai découvert accidentellement en venant ici.

— Alors, nul besoin de tenter une percée ! se réjouit Unila.

— Sauf que c’est une attaque de mon propre frère qui m’a fait tomber dedans, et atterrir ici, précisa Lathelennil. Fornost-Aran veut ma mort, et donc, celle de vous tous.

Les huit ældiens se regardèrent. Lathelennil prit bonne note de leurs mines consternées. Ils devaient déjà être en train d’imaginer les ignobles tortures que leur réservait le roi de Dorśa dans ses geôles, s’ils avaient le malheur de remettre les pieds dans son royaume.

Il tenta un ricanement crâne pour prendre la température.

— Ne me dites pas que vous avez peur !

La troupe se hâta de démentir.

— Bien sûr que non, Seigneur !

— Alors pourquoi vous faites cette tête de poules édentées ? rugit Lathelennil. On dirait qu’un fantôme vous tient par les couilles !

— On ne fait que s’inquiéter pour toi, Ennil, précisa Unila d’un air sombre.

Lathelennil lui glissa une œillade contrariée, mais il laissa couler. Pour cette fois.

— Aran ne conservera pas le trône bien longtemps. C’est moi qui vous le dis !

Les huit ældiens gardèrent un silence religieux. Même ici, loin des yeux et des oreilles du maître d’Ymmaril, ils n’osaient pas comploter contre lui. Et ils ne pensaient sans doute pas leur chef assez puissant encore pour constituer une réelle menace à son pouvoir : cela, Lathelennil le constata amèrement.

— Le plus préoccupant, pour l’instant, continua-t-il, ce n’est pas mon frère, mais ces fichus moines. Je m’attendais à leur venue. Avec Yolen, j’avais préparé nos défenses… on va leur tenir tête, ici même.

— Ils sont trop nombreux, Ennil ! protesta Unila. On peut prendre l’avantage de la surprise et de la vitesse, mais on ne pourra pas tenir face à leurs armements lourds. Ils vont nous pilonner comme une pluie de météorite sur un caillou non protégé.

Lathelennil mit fin à ses protestations d’un claquement de langue. Cette foutue femelle… il savait que Dunizel pensait comme elle – c’était normal, vu sa fonction dans la troupe – mais jamais son tacticien ne se serait permis de contredire son commandant ainsi. D’ailleurs, comme les autres, il gardait les yeux baissés et les sourcils froncés de réprobation. Seule Unila se permettait tout cela, parce qu’elle était la seule femelle de la troupe.

— Si on s’y prend bien, on le pourra. Ce monastère orbital est une forteresse. On va y prendre nos quartiers… se battre et gagner. On avisera après pour la suite.

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