Scène 2.

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Le Serviteur arrive en courant sur scène, le visage comme défiguré par la tristesse ; son corps semble trop lourd pour lui, le brisant en des angles étranges ; malgré cela il réussit à courir jusqu’au fauteuil de Dolores, où il s’effondre.

DOLORES

Hé ! Redressez-vous ! De la dignité !

SERVITEUR

Oh, Votre Altesse, Votre Altesse, que suis-je désolé ! Mais me voilà d’une tristesse incurable accablé, tant et si bien que mes jambes ne peuvent plus me supporter !

DOLORES, a parte

Je crains qu’elles ne soient pas les seules.

SERVITEUR

Ah, Votre Altesse, écoutez de votre mari le Serviteur ! Sa souffrance, son désespoir, il va vous les expliquer ! Ah ! Quelle tristesse sur cette maison, quelle tristesse !

DOLORES

Enfin ! Parle donc ! Cherches-tu à m’effrayer ?

SERVITEUR

Oh non, Votre Altesse, veuillez m’excuser ! Seulement, prononcer ces mots ne ferait que les transformer en cruelle vérité !

DOLORES

Allons, exprime-toi !

SERVITEUR

Ah, Votre Altesse, c’est le roi !

DOLORES

Ah, cet homme-là ! Que t’a-t-il refusé ?

SERVITEUR

Si seulement ce n’était que cela ! Votre Altesse, je ne crains que ce mari, notre roi, mon maître… nous ait quitté !

DOLORES

Est-il parti en guerre ?

SERVITEUR

Votre Altesse, je crains que la guerre ne soit déjà perdue ! C’était une bataille pour la vie, et le poison l’a remportée.

DOLORES, se levant

Que m’annoncez-vous, monsieur ? La mort de l’homme que j’ai épousé voilà vingt ans ?

SERVITEUR, sanglotant

Ah oui, j’annonce la mort de mon roi, Votre Altesse !

DOLORES

Ah ! Un roi, mort !

Elle tombe sur ses genoux et laisse échapper un cri de douleur.

Ah, mon roi, mort ! Tu laisses ce royaume orphelin, père du peuple ! Ah, que ce géniteur sans enfant mais aux héritiers indénombrables, aimé et aimant, apprécié de tous et adoré de moi, revienne à la vie pour accomplir sa divine destinée ! Ah, déesses, acceptez ces cris, ces larmes, ces supplications qui s’échappent de mon cœur pour monter jusqu’à vous ! Ah, Lazare, bénis feu le roi de tes pouvoirs, ne peut-il pas se réincarner en toi ?

Elle se tire les cheveux.

Ah, cette douleur qui m’envahit ! Ah, ce froid qui monte en moi ! Mon corps se fige, je perds mes sens -est-ce un cri qui me vient ? Non, me voilà sans voix !

Elle laisse échapper un hurlement de sa gorge.

J’ai froid. Je suis aveugle ; un voile noir s’est posé devant mes yeux et il avait le visage d’un roi disparu. Suis-je hantée ? Ne pourrai-je jamais vivre à nouveau un jour ?

Elle s’effondre sur le sol et se lamente.

SERVITEUR, a parte

Ah ! Moi qui me croyais misérable ! Voilà à quoi ressemble la douleur d’une grande dame ! Je la sens honnête -et je connais le cœur des femmes. Ah, qu’elle parle bien ! Le malheur la rend poète. C’est dans la peine qu’une femme est à son apogée.

DOLORES, semblant se ressaisir

Ah, Serviteur. Je me suis oubliée dans la douleur ; je me dois de regagner mon calme, conserver le sang froid. Pardonnez une reine ayant perdu son roi.

SERVITEUR

Votre Altesse, ne vous excusez pas ; n’avons-nous pas tous réagi ainsi ? Votre douleur est à votre image ; suprême.

DOLORES

Que tu es compatissant envers cette pauvre veuve ; ah, que va devenir ce royaume sans son roi ?

SERVITEUR

Vous êtes la reine, et malgré la mort de notre monarque, vous le resterez. Je crains que vous deviez vous préparer à régner.

DOLORES

Ah ! Moi ! Régner, prendre la place du roi ? Est-ce seulement possible ?

SERVITEUR

Oui, ça ! Je sais ce que vous pensez : une femme, diriger ? Quelle est cette bizarrerie ? Par suite des guerres des années passées, le roi n’a ni frères ni cousins, ni oncles ni héritiers ; la cour manque de mâles ! Ne serait-ce pas une scène si tragique que je croirais à une comédie ! Mais permettez-moi de vous rassurer : malgré l’excentricité de la situation, des hommes seront à vos côtés pour vous épauler ; vous n’aurez pas à assumer seule cette farcesque responsabilité.

DOLORES

Serviteur ! Informe une veuve éplorée : comment mon bon roi est-il décédé ?

SERVITEUR

Votre Altesse, rien n’est confirmé ; cependant nous soupçonnons qu’un scélérat ait empoisonné son repas !

Dolores pousse un cri.

SERVITEUR

Ah, je ne peux que partager votre pensée ! Qui donc pourrait en vouloir à notre bon roi, au point de commettre une telle atrocité ? N’était-il pas un homme bon ? N’était-il pas un homme doux ? Le sentez-vous aussi ? J’ai le sentiment qu’une partie de moi a été arrachée.

DOLORES

Le coupable, Serviteur, le coupable ! Est-il activement recherché ?

SERVITEUR

Ça oui, Votre Altesse ! N’avez-vous pas entendu la cloche résonner ?

DOLORES

J’ai pensé qu’elle indiquait le souper.

SERVITEUR

Ah, quelle triste candeur ! C’est un signe pour la garde, ma reine. À peine a-t-elle sonné que tous les gardes du palais d’un bond se sont levés ; les cris ont résonné : « protégez le roi ! ».

DOLORES

Ah, quel bon travail elles ont fait.

SERVITEUR

Hélas ! Personne ne s’y attendait. Un monarque de tous si apprécié ! Mais dame ! J’y songe ! Quelle chance vous avez ! Que ce bon roi était prévoyant ! N’avait-il pas raison, en estimant que vous conserver ici vous protégerait ?

DOLORES

Explicitez.

SERVITEUR

Ne le réalisez-vous donc pas ? Auriez-vous mangé avec lui, vous auriez également été envenimée ! Ah, quel brillant homme, ce roi ! Ne vous a-t-il pas mise à l’abri de tous les dangers, en vous plaçant dans cette salle si bien confinée !

DOLORES, après un très court silence, du bout des lèvres

Ah oui, n’était-il pas prophète ?

Le Serviteur tombe sur ses genoux, les mains levées vers le ciel.

SERVITEUR

Roi sibyllin ! Mari divin ! Le voilà qui connaissait le danger qu’il courait et, au lieu de se protéger lui, être céleste, a décidé de protéger sa profane bien-aimée !

Dolores lève les yeux au ciel. Le Serviteur se tourne vers elle et lui prend les mains. Elle tente doucement de se dégager, mais le Serviteur, plus fort qu’elle, la retient.

SERVITEUR

Ah, n’étiez-vous pas bienheureuse ? Protégée d’un roi, trésor du royaume, vous étiez conservée à l’abri de toute malveillance dans ce coffre doré. Nulle fenêtre, nulle lumière, cachée dans l’ombre, vous voilà du regard des malfrats protégée ! Ces gardes aux visages sombres, devant cette porte si bien fermée, votre valeur conservaient ! Cette horloge dont le son m’apparaissait si sinistre, n’était que la promesse de jours meilleurs à venir, d’un danger dont vous seriez bientôt libérée !

DOLORES

Oh, Serviteur, n’avez-vous pas raison ? Quel bon, doux mari j’avais ! Ah, quelle générosité il détenait, à s’être à ma place sacrifié ! Ses voies, qui me paraissaient si impénétrables, me sont soudain révélées ! Sûrement, il était au courant du danger planant sur la royauté, et il désirait qu’au moins l’un d’entre nous soit sauvé ! Ah, sûrement le criminel cherchait à se venger, et voilà qu’il s’est exécuté !

Dolores tombe sur ses genoux, dégage ses mains de celles du Serviteur, et les lève vers le ciel.

DOLORES

Ah, roi, de là-haut sois rassuré ! Grâce à toi je suis à nouveau libre de tout danger ! Ah, moi, reine survivante, je saurai t’honorer ! Serviteur !

SERVITEUR

Reine ?

DOLORES

J’ai besoin d’être seule ; j’ai un roi à pleurer et remercier. Je t’en prie, ramène son corps ici, à mes côtés. Mon tour est venu de le protéger.

Le Serviteur se redresse.

SERVITEUR

Bien, je vais vous laisser, enfant endeuillée. Je reviendrai bientôt pour ramener votre protecteur à vos côtés.

DOLORES

Va.

Le Serviteur s’incline très légèrement et sort.

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