L'amertume a du bon

4 minutes de lecture

Amer est ce monde.

Tel le goût du sang dans la bouche. Quand on prend une droite bien placée et que vos dents cisaillent l'intérieur de votre joue.

Je dormais tranquillement bouche ouverte, dans mon nouveau "chez moi". Et voilà que ma mâchoire vient se fracasser sur un lambeau de peau. C'est désagréable, extrêmement désagréable.

Une espèce de tête de con s'adresse à moi. Une petite frappe, d'un mètre soixante. Un mec carré à l'air asiatique. Des longs tatouages sur chaque bras, de l'épaule jusqu'aux mains. Une chevauchée de cavaliers descendants son biceps et son triceps droit, en déplaçant des nuages de poussières, dans un style Japonais. Sur le bras gauche, les détails d'une colonne vertébrale et côtes, sur son gros poing fermé s'esquisse le crâne. Toujours dans un art rappelant des estampes à l'encre de chine.

Un joli travail, sobre en noir et blanc, pas de couleurs, peu d’ombrage.

Les cavaliers ne sont pas japonais, ni chinois. Peut-être mongoles.

Ce petit enfoiré me jette quatre à cinq litres de flottes dessus. Avec des complices en rond autour de moi. Lover dans une carcasse d’une lourde berline sans toit, j’ai du mal à me relever. Je distingue mal les autres, j’ai le liquide épais qui me brouille la vue en ruisselant sur ma tronche.

Le petit trapu n’a pas fini son speech, il a un accent à couper au couteau. Ça sonne russe. Apparemment, il me dit que je n’ai rien à foutre là. Et que ce lieu appartient à son boss. Il s’énerve froidement dans son débardeur noir. Quelques gestes rigides et forts de sens.

Blablabla, il est pas content. Blablabla, ils vont me faire payer cette incursion.

Je lui fais mon plus beau sourire et mon plus beau doigt d’honneur. Je crois qu’il a compris. Ils me jettent tous, de nouveau, plusieurs litres de fluide. C’est vrai qu’à force de vivre dans des épaves d’automobiles je perds un peu l’odorat. Ouais, c’est bien ça. De l’essence.

Des flammes. Briquets ? Pas le temps de savoir, les vapeurs s’embrasent en une grande gerbe de feu. En deux secondes, tout se consume. Ma peau, les sièges cassés dans lesquels je suis affalé, tout ce qui n’est métallique dans cette bagnole.

Je me relève. En flammes.

Merde, mes fringues !

Comme ils m’encerclent, ils n’en rajoutent pas une couche. Me tirer dessus, c’est risqué de blesser un gars du gang pour rien. Ils ne doivent pas croiser beaucoup de gens comme moi.

Je sors de ma carcasse de Volvo 780 et j’avance vers le petit cube tatoué.

Il a les yeux écarquillés, l’air choqué. Il semblait si froid y a deux minutes en m’invectivant. Il perd définitivement son stoïcisme quand je pause ma main gauche sur son épaule droite. Il ne peut pas voir ma mimique un brin narquoise, comme je suis toujours en flammes.

Il hurle sous la douleur de sa peau qui se calcine. Il tombe à genou. Les autres sortent leurs armes me braquant comme s’ils pouvaient faire quelques choses. Ils ne me plombent pas. Visiblement, Joe un mètre soixante sur un mètre soixante à une certaine importance. Sinon ils n’hésiteraient pas une seconde à vider leur chargeur, sur notre duo flambant neuf.

Je relâche l’épaule de mon ami, le tatoué. Tout en lui laissant un petit message.

« Je me fous de votre territoire et de ce que vous y faites. Cette casse et son garage, c’est mon nid douillet. Passe le mot à ton chef. »

Il me fait « oui » de la tête une légère larme à l’œil, lui et son épaule cuite à point.

La nuit suivante, un dizaine de voitures sombres se sont garés. Devant mon atelier. Ils ne semblaient pas vouloir une vidange. Un détachement de la mafia russe. Joe le cube est rattaché à eux et il a fait passer le mot. D’ailleurs, il est là avec un gros bandage.

Alors je sors poliment du bâtiment, histoire qu’ils ne transforment pas en passoir l’endroit. En passant la porte, les trente à quarante gars pointent en même temps leur arme d’assaut sur ma personne. Du modèle classique comme l’AK47 et du plus perfectionné. Un homme en costume s’avance.

« Je m’appelle ADILIEVT. Tu connais peut-être Monsieur KOVALITCH, un de mes hommes, là-bas. » dit-il en montrant mon ami tatoué d’un mètre soixante.

« Je crois savoir que ni VASILEF, ni moi-même ne t’avons invité ici. » continue-t-il.

« Je t’arrête tout de suite, les affaires de la pègre locale, ne m’intéresse pas. Que vous soyez Russe, Kirghize, Kazakh. » réponds-je sympathiquement.

L’homme en costume, fait un geste de la main et toute sa bande me canarde joyeusement.

Trente secondes et une flopée de balles plus tard. Ils s’aperçoivent enfin que je n’ai pas bougé d’un pouce. Les bras croisés, je les toise.

Le dénommé ADILIEVT à l’air un peu chafouin. Sa petite démonstration de force n’a pas l’effet escompté. Cela va être compliqué de cacher autant de corps et de voitures. Leurs balles se sont bizarrement retournées contre eux. L’homme en costard et mon ami le trapu, regardent autour d’eux médusés. Ils vont devoir repartir à pied, car aucune voiture n’en a réchappé.

C’est d’un comique. Mais je garde mon sérieux malgré tout.

« Kafkaïen n’est-ce pas ! » Je lâche avec un trait d’esprit.

« Bon, ADILIEVT. Toi et ton pote passement, vous repartez en sachant qu’ici c’est chez moi. Les visites de voisinage, j’en ai ma claque. » je précise en sous-entendant que cette fois j’étais de bonne humeur.

« Je vous appelle un taxi, ou faut que je ramène en sacs plastiques ! Cassez-vous ! » pique je, avec un brin d’énervement dans la voix.

La courtoisie ne les étouffe guère et ils détalent. J’ai dû ranger leur merdier et faire un beau feu de joie. On aurait dit un autodafé sur les mecs en costumes noirs. Le point positif c’est que ces berlines de luxe allemandes vont me fournir un super nouveau lit.

Comme quoi, l’amertume des fois, ça a du bon. Comme un surclassement, en première.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire GoM ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0