Prologue
Les nuits de pleines lunes sont souvent propices aux nouvelles rencontres, ne pensez-vous pas ?
Ces nuits dont la lune réveille les dormeurs au sommeil sensible et les tirent hors de leur lit pour se pavaner sous leurs yeux fatigués. Ne pouvant plus dormir devant tant d'éclat, il ne leur reste plus qu'à observer le spectacle se dressant devant eux et parfois faire la rencontre d'autres veilleurs. Celles-ci peuvent même se faire dans les lieux les plus incongrus et impensables, faisant fi du bon sens et de la raison, au point de penser que nous l'avons peut-être rêvé.
Qui aurait cru que je vous rencontrerai ici et de cette manière ? J'en suis la première étonnée. Il est vrai que rencontrer une jeune femme, à la chevelure d'or flottant au vent, sur son toit est une rencontre assez originale. Mais pourquoi pas me diriez-vous ?
Enchantée également de faire votre connaissance. Je m'appelle Lucie et je suis plutôt originale dans mon genre, vous l'aurez remarqué,j'en suis certaine.
Je devine les questions qui cheminent dans votre tête : mais qui est-elle ? Que veut-elle ? Que fait-elle ici ? Et surtout où veut-elle en venir avec son épuisant monologue ?
Intrigant, n'est-ce pas ? Vous semblez vous dire qu'une personne aussi farfelue que moi doit avoir une vie très spéciale. Eh bien, sachez que vous avez totalement raison. Serait-ce des étoiles de curiosité que je vois briller dans vos yeux ? Allez, je vous fais grâce du supplice de ce suspens qu'est ma vie et je m'en vais vous la conter.
Afin de ne pas vous endormir, je vous passe les détails inutiles et peu intrigants de ma petite enfance. Je n'ai guère changé physiquement depuis, à part ma taille, bien sûr. L'épisode qui pourrait vous intéresser, j'en suis persuadée, débute durant ma dixième année de vie. Jusqu'alors ma tendre enfance était d'une banalité sans nom. Banalité qui me manquera par la suite, n'en doutez pas.
Cependant afin de comprendre un peu le personnage que je suis, recontextualisons la situation, sinon comment comprendre et apprécier les détails, aussi menus soient-ils ?
Comme tout enfant lambda, vivant sans soucis particuliers, j'imaginais mon futur comme une suite d'évènements marquant, ordinaire et on ne peut plus raisonnable. Certaines personnes vous diront que la vie manque de piquant, de mordant et d'aventure, que seule l'imagination pourrait vous donner une vie de rêve dont vous seriez le héros. Cela donne envie, n'est-ce pas ?
Lourde erreur. Nous en rediscuterons lorsque j'aurai fini de vous conter cette aventure, bien réelle et digne de la plus grande imagination. Personne n'aurait pu prédire que cela arriverait. Enfin si, certaines le peuvent mais, elles ne sont pas connues des humains. Ne soyez pas étonnée de ce terme. Vous devez bien vous douter que cela ne les concerne que très peu. Je m'apprête à vous compter les mystères de ce monde tel que je les ai vus ou plutôt vécus. Je vous laisse seul juge sur votre décision finale. Celle de croire ou non en mon récit.
Reprenons. Bien que ma vie s'écoulait de la manière la plus tranquille qui soit, cela ne m'empêchait pas d'être déjà peu commune et de sortir du moule, permettez-moi l'expression. L'incompréhension face à l'attitude peu mature de mes camarades m'a valu plus d'une fois de me retrouver seule avec mes réflexions précoces. Ne supportant plus les blagues préparées à mon attention que je trouvais dépassées et pauvre en imagination, cela me permit d'évaluer rapidement à qui je pouvais accorder ma confiance et à quel degré.
Quel caractère et quel manque de sociabilité me diriez-vous ? Peut-être, en effet, je peux le concevoir mais, on se protège comme on peut, vous répondrais-je.
Quelle situation familiale a t-elle vécue pour être ainsi ? Rien d'extravagant. Pas de maltraitance, pas d'abus d'aucune sorte. Simplement une famille aimante avec des parents attentionnés et juste, ainsi qu'une adorable soeur, spécialiste dans la gymnastique des nerfs. J'étais une enfant heureuse et réfléchie. Si bien que mes parents m'autorisèrent à rentrer de l'école seule. Habitant dans un quartier tranquille et aux voisins à l'affût du moindre changement ou nouveaux venus. Mes parents enchainèrent leurs craintes et leur instinct de protection afin de me permettre de devenir autonome. Après moult recommandations à prendre durant le trajet, j'entamai mes premiers pas dans cette étape de ma vie.
C'est ainsi, quelques semaines après cette nouvelle liberté accessible, je pris le chemin du retour vers la maison en passant à travers le parc. C'était un jour d'hiver, je m'en souviens car, tout en marchant, j'admirais sa pelouse recouverte d'un drap blanc et je jouais à la locomotive avec la buée qui sortait de ma bouche. Mon inattention ne me permit pas de voir qu'une voiture venait de se garer à la sortie du parc. Que trois hommes attendaient patiemment que j'arrive jusqu'à eux. Au moment où je repris contact avec la réalité, il était trop tard. Tout s'enchaîna rapidement. Encore aujourd'hui, je ne me souviens que du blanc de leurs habits sous leur manteaux ouverts, de l'odeur qu'ils portaient sur eux, celle qui deviendra la mienne pendant de nombreuses années, puis le noir de mon inconscience.
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