II

8 minutes de lecture

Ce jour-là, et les jours suivants, on a terrassé. On a commencé par creuser deux tombes, un peu loin du camp. Forcément, avec la chaleur, ils allaient commencer à puer, les deux macchabées.

Le Capitaine, le Lys de Sang cette fois-ci, a envoyé huit soldats en sentinelle et nous autres, on a creusé la terre, hommes et femmes. Avec des pelles-bêches. C’est tout ce qu’on avait.

Et la terre, dans ce coin-là, est super dure et on en a bavé. Comme ça prenait un peu trop de temps, le Viking est intervenu. Il a posé sa veste puis, quelques minutes plus tard, alors que le soleil se mettait à cogner comme un sourd, il a retiré son tee-shirt.

Bizarrement, on a tous arrêté de creuser. Je sais pas pourquoi. On a dû bugger. Genre : « Soldat.exe a cessé de fonctionner »…

Non, en fait, si, je sais pourquoi. Parce que ya que sur des posters de Mr Universe que j’ai vu une musculature pareille. Ou dans les magazines gays. Je ne les lis pas, mais je voyais leurs couvertures à chaque fois, au kiosque à journaux.

Notez, ce qui est marquant aussi, ce sont ses cicatrices. Dans le creux des reins, quatre lignes parallèles qui lui traversent tout le dos. Et une sorte d’étoile sur l’épaule droite. Devant, sous les côtes, deux ovales l’un sous l’autre, à droite. Des marques rondes sur le bras gauche et l’épaule gauche. On a découvert qu’il en avait sur les jambes, aussi. Sérieux, j’ai rarement vu un mec avec une telle collection. Et, depuis dix ans, il en a gagné d’autres.

Et à gauche, juste sous le pectoral, il a un tatouage comme je n’en ai jamais vu. C’est pas le dessin, hein ? Le dessin, c’est un oiseau aux ailes largement déployées, avec un bec d’aigle et une longue queue. Très beau. C’est la couleur de l’encre : elle est claire, comme lumineuse. Bioluminescente, il paraît. Drôle d’idée. Mais c’est beau.

Bref, il nous a fait bugger. Et quand il a vu qu’on bossait plus, il a eu un de ses sourires narquois accompagné d’un haussement de sourcil, du genre qu’on allait apprendre à connaître. Mais jamais à vraiment comprendre. Ya que l’autre et le Capitaine qui les comprennent.

Et puis, Windows a trouvé la solution au problème et on a redémarrés.

Et à 11h30, les deux tombes étaient creusées, profondes comme il faut. On n’était plus habitués à bosser comme ça, nos tee-shirts étaient trempés de sueur devant jusqu’au nombril, dans le dos, sous les bras, et on était aussi poussiéreux que le décor.

Le Viking a sifflé très fort et d’un regard nous a mis en rang, au garde-à-vous. Ouais, il lui a suffi d’un regard.

Et quand le Lys de Sang est apparu au coin du bâtiment, accompagnée de l’autre Lieutenant et des sentinelles, il a remis son tee-shirt et sa veste. Il avait l’air impeccable, l’enfoiré. Et nous on était crasseux.

Les sentinelles portaient des civières avec feus nos officiers. Sans linceul mais en tenue.

On les a descendus en terre sans trop de cérémonie.

- Bien. Je n’aurai pas l’hypocrisie de faire l’apologie de ces deux ordures. Ils ont été condamnés à mort par contumace. J’ai plaidé leur cause et obtenu perpète pour le Capitaine. Mais votre Lieutenant aurait été exécuté de toute façon. Pourquoi ? Parce que, si vos ordres venaient bien de votre Capitaine, c’est le Lieutenant qui vous a laissé commettre les crimes qu’on vous reproche. Maintenant, allez déjeuner, pas la peine de vous changer.

Pas de pierre tombale, pas de croix de bois. Même pas le petit tas qui indique une tombe. On a dû répandre la terre en trop sur le chemin du retour. Les deux « ordures » étaient amenées à disparaître des mémoires.

Après la graille, on a continué à terrasser.

Alors, maintenant, pour que vous compreniez un peu, faut que je prenne du recul et que je décrive l’endroit où se trouve notre base.

Bon. D’abord, un peu d’histoire. Vite fait, je vous rassure. Après l’épidémie de 2020, toute la géopolitique du coin a changé. Pendant la guerre post 11 septembre 2001, y avait eu dans ces coins-là des types qui, Kalach au poing, Coran dans une main, et autres conneries de ce genre, s’étaient établis en seigneurs de guerre pour repousser les Américains et alliés.

Puis, vers 2022, malgré les dégâts faits par l’épidémie, ces mecs ont réalisé qu’ils ne pourraient pas rendre les rênes au pouvoir central, que ce soit en Afghanistan, en Irak, ou ailleurs, et les états ont implosé. Donc, quand je dis Afghanistan, je devrais dire province de truc machin, ex-Afghanistan… Rêvez pas les gars, je vais pas vous dire où on crèche. Pas fou !

Remarquez, le reste du Monde ne s’en tirait pas si bien que ça, non plus. Les Etats-Unis étaient devenu un état religieux, avaient fermé leurs frontières et avaient oublié le reste du Monde. Paraît que ça arrangeait plein de monde, en fait. Mais bon, moi et la politique, hein ? Tant qu’elle nous apporte des clients qui payent…

L’Europe se maintenait couci-couça, mais c’était tant mieux pour nous, car on se faisait payer en Nouveaux Euros, la monnaie la plus forte du globe. Ou en or, platine, pierres précieuses. Des valeurs sûres, ça.

Maintenant, géographie. On est installés dans un ancien caravansérail, sur une route de la soie. L’avantage, c’est que c’est un carrefour, ya du trafic. C’est aussi l’inconvénient.

Le caravansérail surplombe le carrefour et le village, un peu délabré mais peuplé malgré tout. Faut remonter la route du Nord sur un kilomètre ou deux, prendre une route à moitié carrossable et on arrive sur un plateau balayé par le vent la nuit. Au bout du plateau, y a notre base.

Un caravansérail, c’est généralement bâti en carré, avec une seule porte, et autour d’un puits, généralement placé au centre d’une grande cour. C’est le cas du nôtre.

Et c’est ça qu’on s’est amusés à remodeler pour que ça corresponde mieux à ce qu’elle voulait.

On a commencé par creuser un fossé tout autour, à 10 m des murs. Large de 3 m, profond d’autant, en V, on y planterait des tiges métalliques plus tard. On a répandu la terre et la caillasse sur les toits des bâtiments et sur les murs extérieurs, pour amortir les tirs d’artillerie et nous protéger de balles perce-blindage. Bien vu, Capitaine, bien vu.

Ça nous a pris pas loin de dix jours. Tous les soirs, on tombait sur nos plumards et le matin, fallait une grue pour nous lever. On râlait comme des putois. On avait mal, putain… Mais on a vite compris qu’on n’aurait aucune pitié à attendre de cette femme. A moins d’avoir fait nos preuves.

Parce qu’en fait, le Lys de Sang est une femme d’une compassion rare et d’une bonté immense. Je plaisante pas. Elle a accepté la mission de la CEDH parce qu’elle croyait dur comme fer qu’elle pourrait en sauver certains d’entre nous. Mais fallait bosser dur. Bref.

Au fil des jours, on s’est aperçu qu’on avait de moins en moins mal, que les travaux de force devenaient plus faciles, que notre gras fondait. Finalement, le terrassement, ça a du bon.

Une fois le fossé fini, on en a fait un deuxième, en travers du plateau, précédé par un mur. Encore dix jours. On n’était pas aussi musclés que le Viking, ni même que son frangin, mais on commençait à avoir de chouettes abdos et dorsaux. Et de l’endurance. Et de l’appétit, bon sang.

On a dû s’interrompre parce qu’un des seigneurs locaux (y en a 4 ou 5 qui se tirent la bourre dans le coin) est venu voir ce qui se passait et que nos fortifications, ça lui a pas plu.

On a essuyé quelques tirs de mortier, rien de bien grave avec les nouveaux toits en gravats.

Ils sont partis, on est ressorti et on a continué à faire des trous.

Devant la porte, on a construit une sorte de fortification, de caillasses et de sacs de sable, comme première ligne de défense.

Ensuite, elle nous a fait araser et creuser la cour sur 50 cm. Le déblai est encore allé sur les toits. Forcément, on a dû aussi faire des marches pour monter dans les bâtiments, maintenant. Mais bon…

Dans la cour, elle a délimité un espace de 10 mètres sur 10 où on a encore enlevé 20 cm. Elle a ouvert quelques-uns des sacs de sable qui servaient de protection et on a rempli ce trou avec le sable. On se demandait ce qu’elle avait en tête.

On a fini par l’apprendre. Dans la compagnie, on avait quelques non-combattants : le médecin et son infirmier, le cuistot et ses deux aides.

Le Capitaine les a obligés à apprendre, sur ce carré de sable, un art martial assez vicieux, où tous les coups sont permis. On y a eu droit, nous aussi. D’abord à mains nues, puis au couteau puis avec arme à feu. C’est fou ce qu’on apprend vite quand on a une lame de 30 cm qui se pointe vers sa jugulaire à toute blinde !

C’est fou aussi ce qu’on peut faire sans arme.

Le meilleur moment de cet entraînement, c’est quand, complètement vannés, assis par terre à reprendre notre souffle, on admire les deux Islandais essayer de se foutre à terre. Ils ne retiennent pas leurs coups, entre eux. Le Viking est le plus lent des deux. Mais uniquement si on le compare à son frère. Ou au Lys de Sang.

Ils étaient gracieux comme des danseuses étoiles, ces lascars. Et ils osaient tout. Ils frappaient tout le corps de l’autre, sans retenue.

Une fois, le grand a frappé le petit aux précieuses. Le petit est tombé à genoux, prêt à vomir. Immédiatement, le Viking est sorti de son mode combat et s’est approché, un genou au sol, pour s’excuser ou j’sais quoi.

Et voilà que la main du petit a jailli, agrippant l’entrejambe du grand, qui s’est crispé de douleur. Le petit lui a envoyé un direct au menton, le grand est parti les quatre fers en l’air. Le petit lui a sauté dessus, à califourchon, et s’est mis à cogner. Le Viking a levé un bras pour protéger son visage alors le petit l’a pris à la gorge. Enfin, j’dis le petit, mais c’est par comparaison, hein ?

Le Capitaine s’est approchée de son pas tranquille, a attrapé le pouce droit du petit et, sans faire d’efforts apparents, a défait la prise sur la gorge.

- Debout.

Ils ont obéi immédiatement. Elle nous tournait le dos alors on sait pas trop ce qui s’est passé, mais ils avaient vaguement l’air penaud, tous les deux. Apparemment, ils s’étaient laissés emportés. Sans doute une querelle à vider. Ça n’arriverait plus jamais.

- Belle démonstration que la force et le poids ne font pas tout. Celui d’entre vous qui le mettra à terre aura une récompense. Elle pointait le Viking du pouce.

Ça non plus, ça n’arriverait jamais.

Annotations

Vous aimez lire Hellthera ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0