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Avec la fin des pluies, on a attendu une journée que ça sèche un peu et on est ressortis.

La patrouille de Frisé est partie avec la Land voir les jardins de Durrani, on voulait profiter des pluies torrentielles pour bloquer les fontaines et l’arrosage, le truc inexplicable après de telles pluies.

Il fallait d’abord savoir quelle source ou rivière alimentait les fontaines et pour ça, y a rien de mieux qu’un peu de colorant. Mais comme chez nous rien n’est jamais fait gratuitement, on s’est un peu amusés.

En observant soigneusement les cartes d’état-major établies par l’Armée Française quand elle s’était installée en Afghanistan plus d’un siècle plus tôt, on a pu déterminer quelles rivières, quels ruisseaux étaient susceptibles d’alimenter les jardins.

En utilisant des images satellites prises de nuit, traitées avec un tas de logiciels divers, on a pu en sélectionner deux. Les images traitées faisaient ressortir les différences de température, d’abord, car l’eau qui coule est, en cette période, assez froide. Ensuite, l’eau qui se déplace émet une sorte de vibration, une onde, invisible à l’œil nu, mais si on passe l’image à travers le spectre on peut déceler cette onde au-delà des ultrasons. Est-ce cette onde que décelaient les sourciers d’autrefois ? Aucune idée, mais ça avait été testé sur des rivières dont on connaissait le cours, et sur des canalisations enfouies à petite profondeur, dont le cours était aussi connu, et cette longueur d’onde avait été « découverte », en quelque sorte. Bien sûr, cette longueur d’onde n’était pas décelable si l’eau était enfouie sous plus de 3 mètres de terre ou de rocher, donc ce n’était pas non plus une solution miracle.

Bizarrement, nous n’avions trouvé aucune trace des plans de l’endroit, ni chez l’architecte, ni sur Internet.

On avait besoin de cette pré-enquête car on ne pouvait pas risquer nos hommes – on n’est franchement pas assez nombreux – à rechercher sur place des traces de canalisations. Et les jardins de Durrani n’étaient pas non plus à côté d’une rivière, vu qu’ici les rivières avaient tendance à déborder au printemps et que le p’tit père Durrani avait horreur que son quotidien soit dérangé par quelque chose d’aussi naturel qu’une crue.

Donc son habitation principale, là où se trouvaient le harem, les voitures et les jardins, était bâtie sur un plateau naturel qu’il avait fait arranger pour bâtir le palais de ses rêves.

De tous les seigneurs de la guerre que l’on allait combattre, c’était le plus sybaritique, le plus hédoniste. Mais n’allez pas croire que c’était un gros poussah, un adipeux, un type qui mangeait des dattes en regardant ses femmes danser et se cachant derrière ses hommes pour se défendre. Il avait bâti son empire à la force de ses bras, s’attirant des hommes émerveillés par ses talents de combattants et son charisme.

Son ascension avait été rapide et, avec le Vieux, ils s’étaient partagés, de manière tacite, le territoire au milieu duquel se trouvait notre promontoire. A l’ouest nous avions Durrani, à l’Est, le Vioque. Les FER avaient été tolérés par les deux seigneurs comme on tolère les insectes nécrophages.

La vieille forteresse où il s’était tout d’abord établi était devenu une jumenterie, à quelques kilomètres au sud des haras où nous avions déjà sévis, et il s’était éloigné de sa frontière avec le Vioque pour se construire sa nouvelle tanière.

Le plateau sur lequel elle se trouvait était adossé, au nord, à un massif montagneux relativement bas, sur les pentes duquel coulaient plusieurs torrents, dont un certain nombre sur la face sud, vers Durrani. Malheureusement, un grand nombre disparaissait et réapparaissait et il était difficile de suivre leur cours, à moins d’en colorer l’eau ou d’utiliser cette fameuse longueur d’onde.

Je ne sais pas comment Lin avait réussi à obtenir du temps-satellite pour avoir ces clichés. Parce que cette technologie coûte la peau des fesses. Je ne sais pas comment elle obtient du temps-satellite tout court, d’ailleurs. Je sais que la CEDH et l’ONU l’ont envoyée ici, avec les frangins, mais, franchement, je me demande ce qu’elle est vraiment, à part une ancienne légionnaire, ancienne chimiste.

Bref. Ces clichés nous ont permis de trouver les deux rivières qui pouvaient alimenter les fontaines des jardins de l’Alcazar de Durrani, comme on a fini par l’appeler.

Après, il fallait savoir quelle rivière on devait boucher ou détourner de son cours. Donc, notre chimiste de Capitaine avait concocté un colorant à jeter dans les rivières. Deux colorants différents, pour suivre facilement. Et comme on aime bien avoir un deuxième effet, elle y a rajouté un petit quelque chose.

Tout d’abord, elle a choisi un colorant alimentaire rose vif, et un autre jaune. Et elle y a ajouté de la luciférase.

Luciférase, quèsaco ? Littéralement le mot veut dire : « enzyme porteuse de lumière ». C’est l’enzyme responsable de la bioluminescence. C’est ce qui fait que l’encre du magnifique tatouage du géant brille. C’est ce qui fait briller les méduses, les lucioles et autres bestioles. Bon, ranger le Viking parmi les bestioles qui brillent la nuit, ça fait bizarre.

Donc, le but de cet ajout, c’était que l’eau des fontaines devait briller de nuit et donc, il fallait jeter le colorant un peu après le coucher du soleil. Et comme Durrani est superstitieux, c’était l’occasion de lui flanquer une petite trouille des familles.

Frisé et sa patrouille, avec Petite Tête, sont partis se mettre en position et Lin a envoyé une autre patrouille, à moto, commandée par Stig et Mac, avec une caméra haute définition capable de filmer de nuit, pour se placer à bonne distance de l’Alcazar et filmer le résultat. Cette caméra et la luciférase étaient arrivées par le même hélico, juste avant les pluies.

Frisé m’a gentiment raconté ce qui s’était passé.

Ils sont partis avec la Land vers le nord-ouest, pour arriver à l’Alcazar par le nord. Ils ont croisé un peloton d’hommes du Vioque à pied, mais la Land était connue depuis les deux fois où le Vioque en personne l’avait croisée et ils leur ont foutu la paix.

Ils sont entrés sur le territoire de Durrani, et là, il leur a fallu faire très attention. Pour faire moins de bruit, ils sont passés sur le moteur électrique. Ils avaient emporté une batterie de rechange, au cas où. Benji, le type avec lequel s’était battu Jo pour un jeu de cartes, celui dont le poing avait fait la connaissance des abdos d’acier du géant, Benji, donc, tenait la 12.7. Ils étaient nerveux, presque autant que les pur-sang de Duran Duran.

Ils avaient deux éclaireurs à moto, en électrique eux aussi, toujours pour les mêmes raisons. Ils ont croisé une patrouille agressive du Pachtoune en pick-up, et la 12.7 a fait son boulot. Benji est économe de ses munitions et, même si la mitrailleuse est nettement moins précise qu’un Adlerauge ou même qu’un EMA 7, il est capable de flinguer un moteur de camion avec deux à trois balles seulement puis de tuer un mec avec une seule balle. Bon, vu le calibre de la mitrailleuse, chaque tir est quasi mortel, surtout ici où les soins sont loin.

Bref, en quelques coups de feu, 12.7 et EMA 7 confondus, la patrouille de Durrani a cessé d’exister. Les gars sont descendus de la Land, ont entassé les corps sur le plateau du pick-up et ont trouvé un ravin pour y faire tomber le véhicule. Juste avant de le pousser dedans, ils ont glissé une bande de tissu dans le réservoir, y ont foutu le feu et ont tout poussé en bas. Le pick-up a touché le fond au moment où le feu a atteint le carburant et le merdier a explosé puis brûlé.

Avec un peu de chance, les hommes que Durrani enverrait sur place croiraient en la thèse de l’accident que la patrouille de Frisé avait mis en scène.

Ils sont arrivés au premier torrent relativement rapidement, après ça. Là, ils se sont séparés, la moitié allant chercher le deuxième, profitant du jour finissant pour trouver leur chemin sans risquer de se casser la gueule.

Une fois en place, Benji a prévenu Frisé qui a prévenu Stig, à moto. Comme toujours, ils avaient semé des relais Pissenlit un peu partout. P’tite Tête, dans la patrouille avec Frisé, a prévenu la base que tout était OK et qu’ils allaient commencer le largage du colorant.

Lin avait préparé quatre bidons de 20 litres chacun. Il fallait éviter que ça se dilue trop, si on voulait que nos reporters puissent filmer.

Donc, au top de Stig, environ une heure après le coucher du soleil, Benji et Frisé ont déversé le contenu de leurs deux bidons dans leur ruisseau. Ils ont ensuite donné leur top quand les bidons ont été vides.

Et ils ont attendu. Tous.

Et là, surprise.

L’eau qui est sortie des fontaines était rose ou jaune. La moitié des fontaines brillait en rose et l’autre moitié en jaune. Durrani avait utilisé deux ruisseaux pour alimenter ses jardins.

Frisé et son équipe n’ont pas vu le résultat, une fois que Stig et Mac leur ont dit que le colorant lumineux était arrivé dans les fontaines, ils se sont tirés en vitesse, pour éviter d’être surpris de nouveau par les hommes du Pachtoune.

Les reporters ont filmé les fontaines lumineuses et chronométré la durée de l’effet, pour avoir une idée du temps que l’eau mettait à faire le trajet.

Ils sont rentrés, de nuit, sur leurs motos en électrique et sont arrivés à la base un peu après la Land-Rover, complètement crevés, vers deux heures du matin. Erk et Lin les attendaient avec une tisane bien chaude. Les mecs à moto étaient boueux, donc pendant que Stig faisait son rapport à Lin, Erk s’est occupé de leurs affaires.

Le lendemain, on a laissé les gars dormir un peu, puis, vers le milieu de la matinée, Lin a projeté le film des fontaines. C’était féérique. On a beau être des mercenaires endurcis, le spectacle de ces fontaines illuminées, c’était juste… Cassandra, qui regardait, a fait des « Ooh » et des « trop beau, c’est magique, on dirait le pays des fées » et cette petite exprimait ce qu’on ressentait tous.

Avoir Cassandra au milieu de nous, ça nous rappelle un peu pourquoi on se bat. Elle nous oblige à faire attention à notre langage, à notre comportement et ce qui est sûr, c’est qu’on fait gaffe à prendre nos douches quand elle ne traîne pas dans nos pattes.

Ce qui est mignon, c’est que maintenant que Kitty est repartie en patrouille avec nous, Cassandra passe ses journées avec Cook et Ketchup, qui poursuit les leçons de français et de lecture et écriture commencées par Erk. Ketchup a pris sur sa solde pour commander des vêtements pour la fillette. Elles ont choisi ensemble quand elle a découvert que malgré le ruban à petits cœurs, Cassandra voulait être habillée comme son Erk. Elle n’en démord pas, il lui appartient.

Evidemment, avec la manie de flirter du Viking, il y a eu des crises de jalousie, que le géant a traité très simplement, en lui comprendre qu’il n’appartenait à personne d’autre que lui-même, comme elle n’appartenait à personne d’autre qu’à elle-même. Il a donc eu droit à un : « Quand je serai grande, je me marierai avec toi » qui nous a fait doucement rire. A son âge, cette déclaration d’amour est très sincère, et il était hors de question de se moquer d’elle. C’est Cook, le psychiatre cordon-bleu, qui lui a expliqué un tas de choses sur la différence d’âge, etc.

Donc, Ketchup et elle ont choisi les vêtements ensemble et la miss étant en admiration devant le Viking d’abord puis les femmes de la Compagnie ensuite, on a vu arriver par l’hélico hebdomadaire des pantalons en grosse toile ocre, des pulls dans les mêmes tons, une veste khaki et des botte en cuir brun. Lin faisait un peu la tête, mais comme c’était la solde de Ketchup, elle ne pouvait rien dire. Cassandra a gardé le keffieh ocre que le géant lui avait donné la nuit de son sauvetage. Lin avait de toute façon refusé de lui donner quoi que ce soit qui soit couleur sang séché, y compris un écusson de la compagnie. Devinez ce qu’a fait la miss… Oui, bien vu, elle a pris un feutre rouge et a dessiné un lys sur l’épaule droite de sa veste. Y avait rien à dire, rien à faire qu’à l’ignorer.

Cook a dit à Lin, qui s’inquiétait de cette adoration, que c’était normal à son âge, entourée de militaires, de vouloir leur ressembler et que, tout compte fait, c’était plutôt flatteur que la miss soit tellement à l’aise avec nous qu’elle veuille nous ressembler. C’était un bon témoignage de notre éthique et de notre morale. Ça a calmé les inquiétudes de Lin.

Il faut dire que Lin en avait, des inquiétudes, à part celles purement liées à notre mission de nettoyage. P’tite Tête, le pauvre, n’arrivait plus à chevaucher les ondes aussi bien qu’avant, ce qui le désolait. Il pouvait toujours parler à l’autre télépathe, mais sa distance d’action s’est vue réduite à vingt kilomètres. Lin a dû se décider à se passer de son Don.

On était, aussi, parfois confrontés à des pénuries de matériel ou de bouffe. Rien de bien grave, on était livrés la semaine d’après, mais je voyais bien que ça la travaillait, malgré l’aide inestimable du Gros, passé du rôle de Lieutenant à celui d’Assistant, rôle dans lequel il brillait. Il aurait dû être à l’intendance, ce mec, jamais sur le terrain. Lin lui avait passé quelques adresses mails, quelques numéros de téléphone, et il savait négocier pour obtenir des trucs bizarres et indispensables, comme des réserves de coton ou de sucre pour plusieurs mois, ou de bicarbonate de soude, ou encore de vinaigre d’alcool, pour les conserves ?

Lin pouvait se concentrer sur la stratégie mais était parfois obligée de se préoccuper d’intendance quand le mec au bout du fil jouait au con. Dans ces cas-là, elle faisait sortir tout le monde du PC Ops et on recevait ce qu’on avait demandé par l’hélico d’après.

Elle avait un autre sujet de préoccupation, et c’est mon p’tit pote Tito. Entre son paludisme et son amour sans retour pour Erk, la situation devenait pénible. Je lui ai dit que je m’en occuperai avec Kris. Je pouvais au moins faire ça pour elle, alléger ce fardeau-là. Erk ne savait toujours pas que Tito l’aimait et mon p’tit pote n’avait pas osé lui dire quoi que ce soit.

Ça m’inquiétait beaucoup, ça, moi aussi. J’avais peur que Tito ne fasse une connerie. J’ai prévenu Kris et Kitty, parce qu’elle m’en a parlé. Elle est plutôt fine, celle-là.

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