LXXXVIII
La tempête d’émotions qui avait secoué les frères a fini par se calmer et Kris nous a aidés à revenir vers la barbacane, juste à temps pour entendre Phone appelant Lin et les officiers, alors on s’est détourné vers le PC Ops.
La patrouille à moto de Mac et Stig venait d’appeler à l’aide. Une des motos avait quitté le chemin étroit que la patrouille suivait et s’était retrouvée, avec ses deux cavaliers, au fond d’un petit ravin. Légères blessures pour les motards, et leur monture était en mauvais état.
Ce qu’il y a de bien avec l’éducation que les Islandais nous ont donné, c’est que, souvent, Lin n’a pas besoin de donner d’ordres. Frisé a annoncé qu’il partait avec Jude, Benji et Rafa, laissant le reste de sa patrouille sur place.
Ils sont rentrés trois heures plus tard, la moto en pièces détachées ou presque et ses deux cavaliers sur le plateau arrière. Jo les attendait avec sa caisse à outils, Nounou et Fara avec de quoi soigner les égratignures. L’Afghanistan est assez sec mais on est loin de tout, et il vaut mieux tout nettoyer proprement, dans l’attente des Soins d’Erk, quand il en a le droit.
Quand Jo a vu la moto, il a commencé à se lamenter, puis en entendant le cri de douleur de Clem, à qui Nounou remettait l’épaule en place, il a fermé son clapet et est allé voir Lin, qui se tenait à côté de nous. Nous, Erk, Kris et moi, on était sur le matelas, bullant à moitié. Après tout, on était en convalescence.
Jo s’est donc approché, a annoncé qu’il lui faudrait un peu trop de temps pour réparer la moto. Lin lui a dit que ce n’était pas important, ça pourrait attendre. C’est vrai qu’on a douze motos, mais seulement huit gars en patrouille, et qu’il y a toujours deux motos avec pilote et voltigeur, donc seulement six motos de sortie. Quand Mac et Stig reviennent de patrouille, ils se reposent une journée puis repartent avec les six autres motos, pendant que Jo fait la maintenance de celles qui viennent de rentrer. Il a finalement dit à Lin qu’il ferait un examen poussé de la bécane, pour voir ce qu’il pourrait récupérer et ce qui devrait être remplacé.
Pour les hommes, Clem s’était déboité l’épaule en tombant de la moto, et son voltigeur, Alma, avait fini son roulé-boulé dans un buisson épineux, se retrouvant le visage en sang mais, putain de veinard, les yeux intacts.
Devant le nombre total de blessés – sept au total si j’ai bien compté –, Doc a levé les mains au ciel, a appelé Cook et lui a demandé de soigner Erk. Le géant s’est retrouvé jambes et torse nu dans la cour – tee-shirt sous les aisselles et pantalon aux chevilles – les mains de Cook sur ses blessures.
Le Viking a chuchoté quelque chose au cuistot, qui a hoché la tête. Erk a posé ses mains sur celles de l’Américain qui ont brillé plus que d’habitude. Quand le cuistot a retiré ses mains, il n’y avait aucune cicatrice supplémentaire sur la peau de porcelaine de géant. Et un grand sourire sur son visage fatigué.
- Qu’est-ce qui s’est passé, Erik ? a demandé Lin.
- J’ai essayé de donner mon… ma puissance ? Oui, ma puissance de Soin à Cook. Ça a marché, regarde, pas de trace. Mais par contre, c’est bien plus fatigant que si je Soignais quelqu’un, donc je n’en abuserai pas…
Il a bâillé derrière sa main. Kris a passé une main sur son torse, a fait la grimace et a filé à la cuisine. Bon, je me suis dit que ça avait eu les mêmes effets secondaires qu’un Soin habituel.
Après avoir bu l’infâme mixture que Kris a rapportée du mess, Erk s’est rhabillé et nous a soignés. Il a refermé nos estafilades, a réduit l’inflammation de Clem, a fait disparaître les égratignures maousses d’Alma. Puis il a bâillé encore une fois et avant même que Kris ne dise quoi que ce soit, a filé vers sa piaule se foutre à l’horizontale.
Kris l’a suivi des yeux, puis a haussé les épaules.
- C’est bien la première fois que je ne dois pas insister.
- Il avait l’air vraiment crevé, quand même, a fait Lin. Qu’est-ce qu’il a dit, exactement ?
- Que c’était bien plus fatigant que la normale…
- Mouais. A réserver aux urgences, alors.
- S’il est conscient, a marmonné Kris.
Ouais. S’il était conscient…
Ce soir-là, on a donc mangé la daube à l’orange et on s’est régalés. Erk, réveillé par son frangin, en a mangé deux fois, puis est retourné se pieuter.
Et le lendemain, nos recrues sont arrivées.
Bon… Je pense qu’il faut que je détaille un peu, parce que… Voyons voir, par où commencer ? Ben, par le début, je suppose.
Donc, l’hélico, un E-assault de l’Armée Française, venu d’Abou Dhabi, s’est posé sur notre héliport de fortune. Il faisait beau, chaud et calme. Pas un pet de zef.
On a d’abord récupéré notre filet hebdo, puis l’hélico s’est posé.
On a vu descendre sept personnes. Bizarre, ça, Lin avait parlé de six recrues.
Lin et les frangins attendaient dans la cour de la base, donc Dio et moi avons récupéré les recrues, pendant que Frisé, Jude, Clem et Alma s’occupaient de raccrocher le filet et l’ancienne palette à l’hélico qui redécollait, puis d’organiser le déménagement des fournitures jusqu’au magasin ou au mess.
En douce, j’ai jeté un œil à nos futurs camarades. Mais je ferai les présentations tout à l’heure. Dio est parti au pas et ils ont suivi, je fermais la marche. Ils marchaient tous au pas, même s’il y avait de subtiles différences. Ils se sont assez vite calés sur Dio, sauf un, qui a regardé les pieds de son voisin, sautillé une fois ou deux puis s’est calé lui aussi. Intéressant. D’autant plus que deux des recrues n’ont pas eu besoin de se caler sur Dio, elles étaient tout de suite au même pas. Mais on n’avait qu’un seul Français dans la liste… Bizarre.
Et les voilà devant Lin et les frangins. Et je vois, sur les visages des trois Islandais, une expression de joie discrète, vite cachée sous le masque du soldat. Mais dans les yeux du Viking, une étincelle brillait. Il a dit quelques mots à Lin en Islandais, qui a répondu dans la même langue.
Allons bon.
Bon, la première recrue n’en était pas une. Lin s’est approchée de la femme, qui avait son chapeau de brousse bien enfoncé sur sa tête baissée et elle a inspiré un bon coup. Puis :
- Bon retour, Ketchup.
- Merci Lin, a dit la jolie rousse en relevant la tête avec un grand sourire.
- Allez, file voir ton mari, et pas de bêtises.
Un éclat de rire plus tard, Ketchup filait au mess retrouver Cook. Moutarde est sortie juste après, fermant la porte derrière elle.
Un grand type aux cheveux châtains et aux yeux gris en amande s’est avancé, suivi d’un type tout aussi châtain mais plus petit, avec des yeux brun doré et, derrière lui, un troisième type, celui qui avait dû sautiller pour se caler, blond foncé aux yeux presque aussi clairs que les miens, pas vraiment plus fin que les deux autres, mais un peu moins sûr de lui, avec une posture différente. Un civil, sans doute.
- Caporal Mikhaïl Baliakov !
- Soldat Nikolaï Voronov !
Les deux s’étaient présentés en français, en roulant les R. Erk s’est avancé, les bras grands ouverts.
- Mischa ! Kolia ! Bienvenue chez nous, les gars !
Et il a englouti le mec aux yeux gris dans une étreinte d’ours polaire. Idem pour l’autre. Kris a suivi, un grand sourire sur le visage, qui s’est un peu flétri, mais à peine, quand le regard du brun aux yeux dorés s’est déporté sur le blond.
- Kris, je te présente mon époux, Alexeï Voronov.
- Kolia, je suis ravi pour toi ! Bonjour Alexeï. Bienvenue. Nous connaissons déjà Kolia et Mischa…
- Oui, ils m’ont parlé de vous… et des tigres.
Oh. La Sibérie.
- Oh. Et ils ont… tout dit ?
- Oui, a dit Alexeï avec un petit sourire entendu.
Kris a rougi légèrement. Le Russe a continué.
- J’ai failli être jaloux de vous, Kris, parce que Kolia parle de vous avec beaucoup de tendresse.
Kris est devenu pivoine. Il y avait une histoire entre Kolia et Kris, ça, c’était sûr. J’ai détourné le regard un moment, pour laisser à Kris le temps de se reprendre, et mes yeux sont tombés sur Erk et Mischa, donc. Le géant était penché en avant, et le Russe touchait sa gorge. Bizarre.
- Comment as-tu rencontré Kolia, Alex ?
Surnom et tutoiement du premier coup. Très bien.
- Je suis kiné, enfin, ostéopathe. J’ai aidé Mischa à remarcher, après sa blessure. C’est comme ça que j’ai rencontré Nikolaï.
Okay, donc, Russes + Sibérie + tigres + blessure + l’attitude de Mischa et Erk = Mischa, c’est le petit gars dont Erk a sauvé la vie. Et, si mes souvenirs sont bons, c’est pas sa gorge qu’il touche, mais la médaille de Saint George. Marrant. Boucle bouclée, on dirait.
Lin, qui ne disait rien, s’est grattée la gorge. Les frangins ont sursauté, les soldats se sont mis au garde-à-vous et Lin a eu un petit sourire.
- Mikhail… Contente de vous revoir.
Ah ? Ben moi pas. Il a rougi quand elle a dit ça et… Erk n’a rien mentionné d’autre que l’histoire des tigres mais… Je sens qu’il va falloir que je creuse la question avant d’être bêtement jaloux.
- On verra pour les histoires personnelles après le déjeuner. En attendant, Kolia, bienvenue et je suis très contente que vous nous ameniez un toubib. Ou presque. Mettez vos affaires dans un coin, posez-vous à côté et attendez un peu.
La recrue suivante était une Suissesse, presque aussi grande que moi.
- Soldat Wilhelmina Tahl, a-t-elle dit d’une voix sonore.
Sa voix allait avec son physique. En bon soldat, elle avait des muscles là où il fallait et, bien féminine, des courbes là où on les aimait. Un peu plus féminine que Lin, nettement moins que Baby Jane. Les cheveux blonds des Suisses allemands, coupés courts.
Mêmes paroles de bienvenue que pour les Russes et elle est allée se poser à côté d’eux.
Il restait deux soldats. Un grand blond, très pâle de peau et de cheveux, et un petit gars plutôt fin, plus grand que Tito, forcément, mais pas beaucoup plus que Baby Jane. Il portait des lunettes de vue. Blond aux yeux bleus, lui aussi, mais pas aussi vif que le Viking. Ses yeux, cachés par des lunettes, tiraient sur le vert.
Bon. Des lunettes de vue. Pour nous, c’est plutôt dangereux, d’être binoclard. Que vient faire un myope en Afghanistan, loin de tout ophtalmo et autre ?
- Soldat ?
- Je préfèrerais rester anonyme.
Il a parlé français sans accent. L’autre tout pâle n’avait pas l’air de comprendre. Bon, j’ai deviné qui était le binoclard. J’ai compris son désir d’anonymat. Lin m’a regardé, j’ai souri et j’ai pris la parole.
- Bon, on va t’appeler l’Amiral, alors.
Il a sursauté, m’a fixé droit dans les yeux et j’ai eu une drôle d’impression. Puis il m’a souri et a hoché la tête.
- Puisque la question de ton nom est réglée, a dit Lin, j’ai un autre sujet à aborder. Les lunettes ? C’est dangereux, ici. Et puis le premier ophtalmo est à dache, sans parler de l’opticien.
- C’est… difficile à croire, ce que je vais vous dire.
- Dis toujours…
- Mais…
- Je te garantis que personne ne rira.
- Bon… Je vois trop bien.
Lin s’est redressée et son visage à lui a pris une expression de dépit, comme s’il s’attendait à pire.
- Tu vois trop bien. De quelle manière exactement ?
- Eh bien, si je retire mes lunettes, je peux voir un cil sur la joue d’une personne à plus d’un kilomètre…
- Des jumelles intégrées ? Pas mal du tout, ça, très utile.
- Vous me croyez ?
Il avait l’air tellement surpris, le gars…
- Disons que nous avons nous aussi nos petits talents, ici. Bon, va rejoindre les Russes et la Suissesse. A propos, l’Archer, Kris, Erik… Surnoms ?
- Alex et l’Amiral, c’est déjà fait, a dit Kris. Mischa et Kolia, ça me paraît bien. Reste Wilhelmina…
- Guillaume Tell, j’ai dit.
- Trop facile, a dit Erk. Et trop long.
- Si je peux me permettre, est intervenue Guillaume Tell avec un fort accent allemand, j’ai déjà un surnom. Wilha.
- Va pour Wilha, a dit Lin.
- J’ai aussi une question : pourquoi des surnoms ?
- Pour des questions de sécurité, a répondu Kris. Et parce que certains d’entre nous ont des passés à cacher.
- Ah ?
- Et les autres ne posent pas de questions, Wilha. Si ça ne te convient pas, tu repars avec l’hélico suivant.
- Non, ça ira, je pense.
- Bon, il nous en reste un. Soldat ?
Lin a regardé le dernier, qui n’a pas eu l’air de comprendre. Alors elle a redemandé en anglais.
- Menig 1 Johansson Björn, Skaraborg Regiment, il a dit en saluant, et a continué à dévider des termes suédois qui, je suppose, devaient nous donner une idée de son corps d’armée, mais Lin l’a interrompu vite fait.
Moi, je me marrais discrètement. Il avait l’air tellement… innocent. Comme s’il venait à peine de sortir de sa boîte…
- At ease, soldier. Bon, les gars, va falloir lui apprendre le français.
En anglais, essayant de cacher un sourire, elle lui a dit de faire comme les Russes. Heureusement, avec le Gros, en prévision de leur arrivée, elle avait réorganisé les piaules. Mais avant qu’ils mettent leurs affaires dans les chambrées, il y avait les entretiens… d’embauche, on va dire.
Et comme il faisait beau, ils ont eu lieu dehors, juste après le déjeuner. Et, cette fois-ci, les trois Islandais et le Gros ont interrogé les gars un par un. Ça faisait un peu tribunal pour la recrue, mais bon, c’est comme ça.
Je me suis retrouvé assis sur le banc avec les officiers, à prendre des notes officielles et à retenir des choses officieuses.
Bon, les Russes étaient déjà connus des Islandais mais ce qu’ils ont appris, c’est que, après sa blessure, Mischa avait réintégré l’armée, auréolé d’une certaine gloire.
- Comment ça ? a demandé Erk.
- Ça ne va pas te plaire, Erik, mais seul un fils de la glorieuse mère patrie pouvait vaincre un tigre de Sibérie…
- Oh !
- Attends, Mischa, est intervenu Kris, tu veux dire que non seulement Erik a été accusé d’avoir provoqué les tigres, tué Ivan mais qu’en plus…
- Mais qu’en plus, c’est moi qui récolte toute la gloire… Si tu savais, Erik, ils en ont fait un film. Mais sans la Légion.
Le géant était complètement abasourdi. Mais je n’avais aucun moyen de savoir si c’était le fait que l’histoire avait été déformée, son rôle effacé, ou si c’était le film.
Lin aussi avait l’air surpris. Mais quand Mischa a continué en racontant que, malgré sa gloire indue, il n’avait pas beaucoup avancé, relégué, du fait de sa blessure, à un poste administratif, elle s’est reprise. Mischa a tenu bon, pour Kolia qui, du fait de son orientation sexuelle, subissait brimade sur discrimination et restait simple troufion. Puis un jour, ils ont filé leur démission et Kolia a épousé Alex. Ils sont rentrés à Moscou, ont vécu de petits boulots, Mischa cachant qu’il était le « Vainqueur des Tigres », Alex faisant bouillir la marmite et la maman de Mischa, heureuse d’avoir son fils à ses côtés, les hébergeant tous les trois.
J’ai remarqué quelque chose de curieux, sur les mains de Kolia. Il portait une alliance à l’annulaire droit, comme de coutume pour un Russe, mais, à l’annulaire gauche, il portait un anneau très fin, d’un métal bleuâtre et que Mischa portait la même, à l’annulaire gauche également. Une sorte de lien d’amitié ? Etrange.
Lin et le Gros ont décidé que les époux prendraient les pages de Saint Hélier et Gonzales, que Mischa rejoindrait Jude, Nounou, Jo et Tito dans leur piaule.
Interrogé à son tour, l’Amiral a confirmé qu’il souhaitait échapper à son nom de famille et que seul un FFS le lui permettrait.
- Pourquoi le nôtre ? a demandé Kris, méfiant.
- Eh bien, a répondu le binoclard en se frottant les ailes du nez, j’avais entendu parlé du Capitaine Líneik, c’était une histoire qui ressortait souvent à table, à la maison. Mon grand-père trouvait à la fois idiot et remarquable sa montée en grade due à son action d’éclat. Il en voulait à la Présidente, mais reconnaissait que ce que vous avez fait, Capitaine, valait cette récompense.
Et nous étions tous toutes ouïes, voulant savoir de quoi il s’agissait mais ni Lin ni l’Amiral n’ont éclairé notre lanterne.
- Toujours est-il que, quand j’ai vu l’information que vous recrutiez, j’ai fait des pieds et des mains pour pouvoir vous rejoindre, sans utiliser mon nom une seule fois. Mais apparemment, vous avez eu accès à nos dossiers.
Lin a souri, l’Amiral s’est tu et a laissé la place à la Suissesse. Histoire très classique pour elle, en quelque sorte. Un désir de sens, de faire plus que monter la garde et jouer au petit soldat, sans sang, le week-end.
Pour elle, c’était un peu compliqué de lui trouver une place, car la chambre des filles était complète. Baby Jane a dit qu’elles se serreraient. Puisque Fara, la seule ado qui soit restée après l’attaque de nuit, dort dans la grande salle de l’infirmerie, sur son lit, dans un coin, pour être plus proche des blessés. Elle les a bien accrochées, elle ne craint rien et a surmonté ses premières hésitations. Et puis, elle a trouvé un amoureux en Dio et elle ne veut pas le quitter. La Compagnie a commencé à lui verser un tout petit salaire, plus de l’argent de poche, et elle s’en sert pour acheter des trucs utiles qui, une fois livrés chez nous, redescendent au village pour sa famille. Tout le monde y trouve son compte.
Restait plus que le Suédois.
En fait, c’était un vrai boyscout, le gars. Il voulait changer le monde, rien que ça. Et il est venu se tanker dans le trou du cul du diable, le cimetière d’empires qu’est l’ex-Afghanistan. Bon sang, c’est beau, l’idéalisme, mais c’est d’un dangereux pour les autres, putain !
Et pendant qu’il discutait en anglais avec les officiers, et que mes camarades traînaient dans la cour pour voir les p’tits nouveaux, on a eu droit à un sourire digne du Viking. Un grand sourire, comme si le soleil se montrait de derrière les nuages, un sourire comme seul le Viking savait faire et même lui y a succombé.
Quand on a comparé nos points de vue, on avait tous l’impression d’avoir pris un coup entre les deux oreilles. Et en même temps, un sourire comme ça, c’était la plus belle chose qui pouvait nous arriver. Même Erk a reconnu que ce sourire lui avait fait quelque chose. Kris s’est foutu de lui en lui disant que maintenant, il était comme eux, victime du sourire magique de Bear. C’est le surnom qu’on lui a donné, quand Lin nous a dit que Björn voulait dire Ours, en suédois. Quenotte voulait l’appeler Teddy, Stig Nounours, mais j’ai décidé que ce serait Bear. J’ai eu gain de cause, au final.
Lors de son entretien, Bear a regardé Erk par en dessous – plutôt facile, vu la taille du Viking – et a demandé si on lui ferait une vie difficile à cause de son orientation sexuelle. Kris s’est redressé, m’a regardé par-dessus la tête de Lin, je lui ai rendu son regard. Grand, blond, yeux bleus, et aimant les hommes. J’ai pensé à un petit Albanais de ma connaissance qui trouverait peut-être une raison de rester.
Plus tard dans la journée, en en discutant avec Lin et le Gros, on a attribué à Bear le dernier pieu de la chambre de Tito. Maintenant, fallait espérer que rien chez l’un ne serait rédhibitoire pour l’autre. Merde, j’étais prêt à tout faire pour aider Cupidon, tellement je voulais que Tito reste.
En fermant ce carnet, je réalise que ça fait un an tout juste que les Islandais sont arrivés sur notre promontoire pour remplacer notre pavillon bleu et blanc avec le Lys de Sang. Putain, il s’en est passé, des choses, en un an.
Je ne regrette rien.
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