Georges (partie 2/4)

4 minutes de lecture

 Alors que la Clio redémarrait, Georges crut apercevoir au loin la voiture rouge de Mme Bouskudeup qui arrivait. Le vieil homme eut le réflexe de regarder sa montre. Elle se surpassait aujourd’hui, vingt minutes de retard ! Avant que les deux véhicules ne se croisent, le conducteur tendit la main à Georges.

 — Enchanté, moi c’est Franck.

 Sans dire mot, le retraité lui serra fermement la main, lui montrant implicitement au passage qu’il n’était pas encore tout rabougri. Détournant la tête vers le pare-brise, il vit Mme Bouskudeup qui croisa son regard. Ses lèvres qui étaient habituellement pincées formaient désormais un grand O de stupéfaction. Elle dut même redresser sa trajectoire de route pour ne pas percuter le trottoir. Rien que pour cela, Georges était content. Cette foutue femme aigrie n’avait qu’à aller au diable. Il esquissa alors son premier sourire de la journée.


 Il fallut du temps à Georges pour entamer la conversation car Franck ne semblait pas vouloir dire quoi que ce soit. Quelle étrange situation ! Toutefois, le retraité ne trouvait pas encore matière à regretter cette action insolite qu’il venait de faire. Quel était le risque de toute façon ? Tomber sur un psychopathe ? Au moins mourait-il dans la célébrité, son nom cité dans tous les journaux de France. Mais son instinct, qui n’avait jamais été trop mauvais jusqu’ici, lui soufflait qu’il ne vivrait pas une telle fin.

 — Où allons-nous ? demanda-t-il, n’y tenant plus.

 — Où tu veux Georges.

 Le vieil homme n’aimait pas qu’un inconnu le tutoie ainsi mais, après tout, il avait accepté son invitation, il pouvait bien lui faire cette concession…

 — Comment ça, où je veux ?

 — Où tu veux. Mer, montagne, ville, campagne, bar, restau, chez une vieille connaissance… Cette journée est à toi Georges. Tu n’as qu’à me dire la destination que tu souhaites et je t’y mènerai.

 Le retraité digéra quelques instants ces dernières phrases. Franck était-il fou ? C’était fort probable. Mais qu’en était-il de lui qui avait accepté sans trop d’hésitation à monter dans le véhicule d’un inconnu ?

Constatant certainement que le visage de Georges passait par différentes phases d’expressions, allant de l’interrogation à la détermination et de la couleur verte à la couleur rouge, le conducteur de la Clio 2 bleue ajouta :

 — Parfois, il faut savoir se laisser porter au gré de ses envies.

 Comme illuminé par cette phrase aux sonorités poétiques, le faciès de Georges parut tout à coup se détendre et reprendre une teinte normale. Il dit alors sans réfléchir plus longtemps :

 — Je veux aller au bord de l’océan.

 Franck sourit et acquiesça avant que son interlocuteur n’étoffe ses propos :

 — Oui… Au bord de l’océan, sur la plage de Capbreton.

 De vieux souvenirs enfouis l’y attendaient. Si Franck tenait ses promesses, il pourrait retrouver des lieux et des odeurs de sa jeunesse qui comptaient pour lui et qui, à l’aurore de sa vie, devenaient dans ses pensées de plus en plus voilés et sans saveurs.


 La petite voiture bleue filait sur la route. D’après de fins calculs, Georges estima qu’ils arriveraient vers onze heures et demi à Capbreton. Par chance, il avait rencontré Franck assez tôt pour pouvoir profiter de la journée. La chaleur avait commencé à rendre l’habitacle étouffant et chacun d’eux finit par ouvrir la vitre. D’abord Georges, puis Franck. Le silence entre les deux hommes, bien que brisé par les rafales de vent qui pénétraient dans la voiture, devenait de plus en plus oppressant pour le retraité qui proposa :

 — Mettez un peu de musique si vous le voulez.

 — Seulement si tu le souhaites Georges. Veux-tu écouter quelque chose en particulier ?

 Il réfléchit un instant et finit par répondre, contrarié :

 — Je n’écoute plus la radio depuis belle lurette et les morceaux que j’ai connu doivent être désuets maintenant.

 — Nomme-moi un de ces titres alors. Je vais voir ce que je peux faire.

 Sans hésitation mais sans croire que Franck pourrait trouver une radio qui passerait par miracle le titre escompté, il précisa :

 — J’aimais bien danser sur Unchained Melody de Al Hibbler avec ma Lucette.

 Aussitôt cela dit, Franck sortit de son vide-poches son téléphone portable qu’il fixa sur un support aimanté collé sur le tableau de bord. Il s’empressa de pianoter quelque chose dessus, régla son poste radio et, enfin, une chanson à la douce rythmique retentit dans la voiture. Les premiers instants, Georges en était tout retourné. Il savait bien que la technologie avançait à grands pas et il ne s’était jamais intéressé à tout cela, ne la jugeant pas utile. De toute manière, ce n’était pas l’autre Mme Bouskudeup qui lui aurait proposé ce que Franck appelait le « Bloutout » !

 Ses émotions passées, le vieil homme finit par se détendre totalement, se remémorant les longues valses qu’il dansait tout contre sa Lucette adorée. Qu’est-ce qu’elle lui manquait ! Empli de nostalgique mélancolie, il fit ensuite passer quelques morceaux plus rock and roll – ce n’était pas l’endroit pour se mettre à pleurer comme il le faisait souvent chez lui lorsqu’il pensait à sa défunte moitié.

 Dès lors que les musiques retentirent, l’ambiance dans la Clio 2 se fit plus joyeuse. Georges tenta de demander à Franck pourquoi il faisait tout cela et pourquoi l’avait-il choisi lui ? Ce à quoi le trentenaire lui répondit :

 — Mes pas m’ont mené jusqu’à toi Georges. Voilà tout.

 Le mystère restait omniprésent mais le vieillard n’insista pas, se contentant de profiter comme le lui suggérait son voisin de siège. Après tout, c’était « sa journée » – et il escomptait à ce qu’elle soit longue – alors à quoi bon tergiverser ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Lisounette ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0