Et...
Plusieurs semaines se sont écoulées depuis que Gabie s’est faite avortée. Elle commençait à se remettre sur pied mais elle avait perdu de son embonpoint. Elle avait le visage émacié. Faute de moyen, elle n’avait pas pu consulter un bon gynécologue ou un obstétricien. Elle s’était contentée de gaver les différents antibiotiques que Camelle lui obtenait.
Pendant cette dure épreuve, elle n’avait aucune nouvelle du professeur Sauveur ni de son copain Jeff. Elle n’avait pas non plus cherché à les contacter. Le professeur par dégout, Jeff peut-être par honte. De toute façon, elle avait déconnecté son téléphone. Elle a profité de ce temps pour faire le point sur sa vie. Vivre à Port-au-Prince est très difficile, y étudier l’est encore plus. Surtout quand on n’a pas de véritables soutiens. Mais elle avait pris la décision de ne plus compter sur personne et de tout miser sur ses études. Elle avait appris la leçon. Ce ne sera pas facile mais bon gré mal gré, elle refuse d’être le jouet d’une quelconque personne. C’était le moment idéal pour un nouveau départ.
Quand après plus d’un mois d’absence, elle se décida à revenir à la fac, plusieurs groupes d’étudiants la dévisageaient et parlaient entre eux. Sûrement, ils jasaient sur sa perte de poids. Elle s’était parée pour toutes sortes de remarque. Ainsi fut-il aisé de les ignorer. En plein XXIe siècle, Haïti demeure un pays où une femme n’a pas le droit d’embrasser pleinement tous les aspects de sa vie. La société a des jugements tous faits et condamne avant même une tentative d’écoute.
Elle n’avait pas croisé Jeff sur la cours de la fac. Ils ne se sont pas parlé depuis des lustres. Elle ne sait même pas s’il doit encore le considérer comme son petit ami. Si ce n’était plus le cas, quel serait le motif de leur rupture? Il est clair qu’elle n’irait pas raconter à Jeff tout ce qu’elle a vécu. Il ne comprendrait pas. Et il ne mérite pas de porter un tel poids.
Quand le professeur Sauveur s’est montré dans l’après-midi pour dispenser son cours et qu’il s’est rendu compte de la présence de Gabie dans la salle, il s’était d’abord senti gêné, puis il s’est repris. Ce n’est pas la première fois qu’il jouerait la comédie sur la nature de ses relations avec Gabie.
Une fois le cours terminé, le professeur appela Gabie. Les autres étudiants n’étaient pas encore sortis de la salle. Il lui annonça, d’une voix forte, exprès pour que tout le monde entende
- Vous avez raté plus de trois séances et au moins deux devoirs n’ont pas été remis. Vous connaissez les conditions; vous êtes exclus du cours. Vous pourriez le reprendre la session prochaine.
Gabie le regardait droit dans les yeux. Il fit mine d’arranger ses affaires pour fuir le regard de la jeune femme.
- Il y a autre chose, professeur?
- En fait, oui.
Il se gratta la gorge, laissant passer assez de temps pour que les derniers étudiants évacuent la salle.
- Il se trouve que j’ai découvert qui était ce fameux Joker.
Gabie ne cacha pas sa surprise. Elle avait presqu’oublié ce passage, dans l’histoire. Il avait pourtant pesé très lourd dans la tourmente qu’elle a dû vivre.
- En fait, c’était l’une de mes filles. Elle l’a avoué à son psychologue qui m’a tout raconté. Un jour, mon téléphone était resté entre ses mains, elle est tombée sur nos messages et cela l’a perturbée. Elle a pris ton numéro dans l’intention de te faire chanter. Pour le reste, elle s’est associé à des gens pour mener ses enquêtes. Je ne suis pas certains du nombre de choses qu’elle doit savoir sur nous. Toi, moi… et ton petit ami aussi. Je ne sais pas non plus ces gens qu’elle a engagés pour suivre nos traces. Mais c’est fini, je t’assure.
Le professeur s’était rapproché et avait baissé la voix pour lui confier ces faits. Pile au moment où il allait prendre les mains de la jeune femme dans les siennes, la porte de la salle s’ouvrit. Un étudiant qui a dû oublier ses effets. Le professeur sursauta, recula de quelques pas et lança d’une voix forte.
- Alors voilà. Vous avez raté le cours, mademoiselle. À la session prochaine!
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