//_feuille numéro une
Je ferme les yeux, saisis un des deux crayons. Les rouvres pour fixer les aiguilles de l'horloge qui tique et taque avec impatience : neuf heures et cinquante-huit minutes restantes.
Cela suffira, enfin, je pense. Je n'irai pas jusqu'à dire « j'espère », parce que depuis mon arrivée ici, l'espoir n'est plus.
Une longue inspiration.
Mes doigts se promènent le long du bois poli, caressent sa texture lisse, touchent la mine arrondie. Cette clé à mes pensées est si douce...
J'expire.
Les souvenirs me reviennent un à un, et un sourire avec. Il craquèle mes lèvres desséchées, mais je n'arrive pas à m'en empêcher : il s'entête, tient à rester.
Tant pis.
Reste.
Il y a de quoi se réjouir, je me retrouve enfin...
Et quand le bout de charbon touche le papier, c'est la délivrance par les mots.
***
Je m'appelle Magda. Magda Lycszenka, et je suis née à une vingtaine de kilomètres de Poltava, en Ukraine, de parents polonais, il y a seulement vingt ans de cela.
Sœur d'une grande fratrie que je ne nommerai pas. Après tout... après tout ils sont tous morts, cela ne servirait à rien.
***
Je repose le crayon sur la feuille. Ma
main
tremble
beaucoup trop...
Arniev, Lyshka, Anya, Artur, je suis désolée, tellement...
Je sais pourquoi vous m'avez tous quittée.
Parce que je suis une traîtresse...
Puisque je travaillais pour le Parti Rouge.
Et à mon insu, ma main trace sur le papier un long trait tremblant. Je recommence à écrire, c'est plus fort que moi.
***
Je suis entrée au sein des Forces Secrètes du Parti trois ans plus tôt, plus exactement grâce à leur formation de deux semaines offerte gratuitement à tout volontaire. Je n'avais que dix-sept ans, et les tracts jaunes dans les rues nous promettaient une prime généreuse en cas de réussite.
Ma famille avait tellement besoin d'argent après la mort de Père...
Alors je n'ai rien dit, je suis partie me jeter dans la gueule du loup. Je croyais être une héroïne, une martyre.
À l'époque, je ne me doutais pas une seconde que P.R deviendrait la machine de guerre d'aujourd'hui.
Quoi ! Ce fier défenseur des démunis et de l'égalité, ce Robin des Bois moderne au service de la communauté, un ennemi ?
Eh si, petite sotte. Crois-le, crois-moi, ceux qui se font passer pour des héros sont les pires du lot, et le Parti est un fléau rouge qui m'a entachée deux ans durant...
Avant que je ne fasse sa connaissance.
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