Une vieille amitié
Dans quelles circonstances les trajectoires de deux personnes, l'une née à Marseille et l'autre en Indre-et-Loire, peuvent-elles un jour se croiser ?
Les renseignements nous avaient rendu leur copie. "Swann" s'appelait en réalité Antoine Rossel. Il avait effectivement travaillé pour les services spéciaux, sans plus de détail, jusqu'en 1997. L'année où on l'avait écarté du terrain pour de bon. Le double meurtre d'Essy n'était mentionné nulle part dans le dossier. Quand bien même. Niveau timing, tout collait parfaitement.
En 1997, il avait 34 ans, à en croire la date de naissance mentionnée sur sa fiche. Plus tout à fait un jeune flic, mais pas le plus expérimenté non plus. De grandes capacités, beaucoup d'instinct, énormément de réussite. Excepté ce pétage de plomb à Essy. La seule erreur majeure de sa carrière. Le point de bascule.
C'est formidable, mais cela ne nous avançe pas plus sur son lien supposé avec Montanet.
Quand je croise les informations dont je dispose sur Rossel avec la page Wikipédia de l'édile, je me rends compte qu'ils sont nés la même année. Je reprends mon interrogation : qu'est-ce qui peut bien amener deux personnes séparées par quatre-cent kilomètres à se rencontrer ? Et j'ajoute : deux jeunes hommes nés au début des années soixante...
« L'armée.
- Quoi ?
- Tu te demandes comment deux types qui n'ont rien en commun à part leur âge, avec la moitié d'un pays entre eux, ont bien pu se connaître. Et je te donne la réponse : à l'armée.
Je ne sais pas quoi répondre. Félange... Félange a raison.
- De rien, chère collègue. »
Je bondis de mon siège, attrape ma veste ainsi que les clés de ma voiture. Félange me rattrape :
« Ne crois pas que tu vas encore te barrer toute seule. Rossel est encore en liberté. Où est-ce que tu vas ? »
Je ne saisis aucun de ses mots, absorbée dans un tunnel de certitude.
- Lande !
Je me mets à courir.
- LANDE !
Sa voix puissante m'arrête net, je me retourne :
- Je vais chez Rochard. »
Dix heures quarante-cinq. Arrivés dans la cité, nous tentons de gagner discrètement l'appartement figé dans cette nuit sanglante. Déboulant dans la chambre du couple, je retrouve le petit bureau de l'élu ainsi que l'élément qui me manquait, celui à côté duquel nous étions effectivement tous passés. Tous, sauf Rochard, évidemment.
La photographie.
Je reconnais dessus l'homme qui a assassiné Yanis et problement Foued, Lounes, les Rochard. Sans oublier ceux de 1997. Antoine "Swann" Rossel, déjà gratifié d'une cicatrice au front. De ses yeux acérés, il toise le photographe pour la postérité. Il y a trois hommes entre lui et le jeune Montanet, tout sourire, PM à la main.
Voilà ce qu'avait trouvé Rochard, voilà pourquoi il était mort. Il avait mis la main sur la clé, le lien qui expliquait tout. Et il avait eu l'intelligence de ne pas la cacher, bien au contraire : encadrée avec soin, disposée bien en évidence sur le bureau, même Rossel l'avait loupée.
Plaider la coïncidence, une fois tous les éléments mis bout-à-bout, relevait au mieux de l'exploit, au pire du foutage de gueule pur et simple. Je me demande quelle option Montanet choisira.
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