1.
Je montai dans le véhicule.
Je déglutis de peur ; ce voyage serait sans retour.
J’étais volontaire, car je n’avais plus rien à perdre, à part ma propre vie, ce qui était un luxe, pour le peu d’entre nous qui restions.
J’ignorais combien de temps je pourrais survivre, seul, là-bas. Peu de temps, probablement. Quelques minutes, quelques heures tout au plus. Je m’en foutais complètement.
Car peu m’importait, tout m’était égal, plus rien ici ne me retenait.
Avoir le job fut facile, j’étais le seul volontaire. Les autres, ceux en bonne santé, ceux qui auraient pu endosser ce rôle, se terraient, gardant jalousement pour eux le peu de temps qui leur restait. Je ne les jugeais pas, les comprenais même. La peur de l’inconnu nous tétanise tous.
Je crevais de peur également, mais j’étais désormais au-dessus de tout ça. J’avais dépassé le stade de m’inquiéter de ma propre mort.
Quand le grand jour arriva, je suivis les couloirs aux murs blancs la tête haute. Depuis trois ans que j’étais là, je me demandais bien pourquoi on nous privait de couleurs. Du putain de blanc partout, qui me brûlait les yeux, qui me crevait les rétines... J’avais parfois envie de me réfugier dans le noir, là où je me sentais bien, où était ma place, cet endroit béni où je pouvais te retrouver, là où les rêves se mêlaient à la folie. Mais la lumière agressive s’insinuait sous mes paupières, chassait les ténèbres. Bien sûr, il y avait toutes ces photos colorées accrochées au mur. Je les observais, à moins que ce ne soit l’inverse. Elles me fixaient, me scrutaient, m’appelaient, me chuchotaient.
Parfois, je les entendais me souffler : « Bientôt, tu seras à nous. »
Parfois, je me surprenais à leur répondre, à voix haute, devant tout le monde.
– J’arrive.
« Tu es fou de vouloir y aller. » Voilà ce qu’ils me disaient tous.
Je ne pouvais que leur donner raison.
***
– Où vas-tu ?
– Nous chercher le p’tit déj.
Tu te mis à rire. Tu riais tout le temps. Putain que tu étais belle.
Je t’avais rencontrée chez des amis communs, à une de ces soirées où je détestais pourtant traîner. J’y étais allé avec un sourire de façade sur la gueule. J’étais épuisé. Par tout. Par un boulot usant, des parents vieillissant, des nouvelles alarmantes. J’avais passé la porte, salué le couple qui m’avait invité, m’étais servi un verre. Et tu étais là.
Une étoile scintillante dans le noir de ma vie.
Je ne t’avais pas lâchée de la soirée. En partant, tu avais voulu prendre un taxi, je m’y étais opposé, t’avais raccompagnée.
Tes doigts couraient sur ma cuisse pendant que je conduisais. J’étais en feu. Toi aussi.
En bas de ton immeuble, tu ne m’avais même pas demandé si je voulais monter. Je m’étais invité, aussi bien dans ton foyer que dans ton corps. Je refusais de passer une seule seconde sans toi. Je refusais de quitter ta bouche, et ton corps emmêlé au mien. Le reste ne comptait plus.
Je ne t’avais même pas demandé si tu étais libre, je m’en foutais. Et s’il y avait eu quelqu’un dans ta vie, je me serais battu comme un lion affamé pour lui ravir ton cœur.
Je me levai pour chercher ce foutu petit déjeuner, mais tu me retenais.
– Que fais-tu ? ai-je demandé.
Tu enroulais tes jambes autour des miennes, tel un lierre d’amour accroché à mon être, à ma vie, à mon avenir. Tu chuchotai sur mes lèvres :
– Ne pars pas, reste avec moi.
Je te répondis :
– Toujours.
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