un dirigeant de très grande entreprise
- Pour moi, l’exemple français est extraordinaire. Dans aucun autre essai, le revenu de type 900 n’a eu de telles répercussions, à la fois sociales, économiques et même psychologiques. De mon point de vue de dirigeant d’une filiale d’un grand groupe international, je peux évidement surtout parler du point de vue économique. Un des problèmes français peut être le seul en réalité à l'époque, mais les Français adoraient parler de leurs problèmes aux pluriels et aux accents de multitude, c’était le chômage endémique. C’était un des pays qui pouvait voir sa croissance annuelle augmenter, sa dette ralentir, ses indicateurs économiques être dans le vert, peu importait, il y avait toujours un fort chômage de masse. En tant que grand groupe, nous étions désignés comme responsables, car régulièrement il y avait des délocalisations avec des licenciements massifs. En réalité, du pipi de chat, qu'est-ce que 1000 ou 2000 licenciements lorsqu'un pays a 4 millions de chômeurs ! C'est dur pour une économie locale, une petite ville, mais cela ne change rien du tout au problème global. Comme nous disions que nous delocalision pour trouver de la main-d’œuvre moins chère et des conditions fiscales meilleures, les politiques français nous emboitaient le pas, les bons toutous, pour élaborer des programmes avec une baisse de la pression fiscale sur les entreprises et une destruction des avantages sociaux qu’ils désignaient comme responsables du cout trop élevé de la main-d’œuvre. C’était tellement ancré dans la tête des politiques de l’époque que même les gouvernements de gauche faisaient des lois ultra liberale. Ils détruisaient tout ce qui faisait de la France un cas à part dans le libéralisme mondial. Un libéralisme a visage humain. En réalité tout était mauvais. Leurs analyses sur l’origine du chômage et leurs solutions proposées. Du coup, rien ne changeait, et la situation restant la même, les politiques se durcissaient. Le pire était que tous les allégements de charge sociale, qui enlevaient des avantages aux employés, étaient directement reversées aux actionnaires dont beaucoup étaient á l’étranger et ne payait même pas d’impôt en France ! On prenait les impôts et on les envoyait dans des comptes bancaires privés étrangers. C’était n’importe quoi ! A par les actionnaires on redistribuait cet argent aussi aux dirigeants, PDG principalement, et collaborateurs. Nous gagnions des fortunes, c’était inimaginable, nos revenus augmentaient à une vitesse folle, style entre 10 et 20 pour cent par an, pendant que les revenus des salariés français diminuaient inexorablement. Non seulement les salaires stagnaient, c’est a dire baissaient au rythme, de l’inflation, mais les salaires des jeunes étaient ridiculement bas par rapport aux générations précédentes, pour la première fois dans l’histoire. Bien sûr, la plus forte baisse de salaire ne se voyait pas, il s’agissait de la progressive disparition des protections sociales liées á la diminution des charges sociales sur les salaires.
- Alors que s’est-il passé avec la mise en place des 900 ?
- Et bien d’abord, vu la situation, cela ne pouvait pas être pire qu’avant ! Mais en fait, cela a été un double choc. D’une part, nous avons vu le cout de main-d’œuvre chuter brutalement. Ce fut un véritable appel d’air pour les grands groupes. Puis s’est mis en place un cercle vertueux économique, qui fait que même si le cout de la main-d’œuvre aujourd’hui, quelques années plus tard, est comparable á celui d’avant les 900, la France reste très attractive pour tout un tas d’autres raisons. C’est le plus beau coup économique jamais vu dans l’histoire.
- Si le cout de la main-d’œuvre est le même alors pourquoi ne délocalisez-vous plus et même revenez créer des filiales en France ?
- Mais parce que ce qui bloquait ce n’est pas tant le cout de la main-d’œuvre, mais tout un tas d’autres choses typiquement françaises. L’état d’esprit a tellement changé que pour nous c’est carrément devenu un autre pays. Je peux vous citer des raisons dans le désordre. Par exemple, le rapport patron employé. Cela n’a plus rien a voir ! avant s’il n’y avait pas une grève par semaine, c’était des menaces de grève. S’il n’y avait pas un conflit syndical interne, c’était un conflit lié á l’application d une nouvelle loi. Les réunions entre syndicat et patron ne tournaient qu’autour de savoir quels avantages perdus se cachaient derrière chaque changement proposé par les directions. Il y avait les prudhommes, les syndicats et les organismes d’états qui, ensemble, essayaient de mettre des bâtons dans les roues à tout. C’était insupportable. Surtout pour des groupes américains par exemple, avec une culture complètement différente. Donc au moindre prétexte, on allait ailleurs, du moment qu’on avais pris quelques avantages au moment de l’installation en France, quelques cadeaux fiscaux et qu'on avait ouvert aussi un marché intérieur, on pouvait partir en ne respectant aucune promesse bidons qu’on avait fait au départ. Ça durait 10, 20, 50 ans, mais on finissait toujours par délocaliser. Même si on faisait des bénéfices ! Alors ce coup là, les Français n’y comprenaient rien, ceux de gauche s’interrogeaient et trouvait ça injuste, ceux de droite trouvaient cela normal et gagnaient même des voix grâce a ça en fustigeant le fameux coup du travail et autres protections sociales. Mais aucun ne cherchait l’explication. Avec les 900, non seulement les couts du travail ont fortement baissés d’un coup, au début, mais plus de grèves, plus de tracasseries administratives, plus de mille feuilles fiscal, plus de lois complexes entre patron et employé. Alors avec l’excellente main-d’œuvre et sa fabuleuse productivité, qui elle se maintenait, la France est devenue ultra attractive.. Le rêve américain avait traversé l’océan !
- Mais pourquoi le Français, si râleur, ne râlait plus ?
- Parce que d’un coup il s’est d’une part senti libre et d’autre part mis en face de la responsabilité de ses choix. Il pouvait travailler 50 heures par semaine et gagner un excellent salaire ou travailler à mi-temps pour faire autre chose. Il avait une sécurité à vie et ne regardait donc plus sa peur de l’avenir pour prendre ses décisions, mais surrtout l’instant présent.
- Et pour vous personnellement cela a changé quoi ?
- Bon, d’un cote mes revenus ont diminué, mais d’un autre je ne partirais de la filière française pour rien au monde. Et franchement, mes revenus étaient indecents et je faisait un travail inhumain. Je préfère cent fois gagner moins, et de toute façon rester très riche, mais travailler en harmonie avec moi même. Certains n’ont pas du tout supporté le changement de culture, mais moi j’en suis très heureux. Vous savez, la France des 900 reste une énigme pour mes collègues a l’étranger. Il faut y venir pour le voir, c’est indescriptible. La plupart me prennent pour un fou quand je leur dis que c’est moi qui veux rester.
- Il est vrai qu’auparavant on disait que les chefs d’entreprise et autres personnes à salaire élevé quittaient la France pour l’argent, pour payer moins d’impôt ailleurs.
- Des balivernes, quand vous gagnez plus de 100 000 euros par mois que vous importe dix ou vingt mille de plus ? Bien sûr c’est un argument, mais ca ne peut pas être le principal.
- Quelles améliorations proposeriez-vous ?
- Franchement, j’augmenterai les 900. Actuellement, le système est bénéficiaire, Il peut aller jusqu’à 1200 sans problème. Et bien qu’il y aille. Si un jour les recettes baissent, il faudra rebaisser, mais a mon avis, cela donnera un nouveau coup de fouet a l’économie qui ne fera qu’augmenter les recettes. L’autre chose, c’est relâcher un peu la pression sur le BTP. L’état des routes peut être quand même amélioré, redynamiser un peu la construction d’infrastructures ferait du bien á ce secteur. Je sais bien qu’une grosse part des économies de l’état a été faite par la loi dite des "ronds-points inutiles", mais là il faut relancer un peu, c’est du passé maintenant.
- merci
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