8. Youhou, c'est le jour du cancer !
"Je vais vous dire mon secret.
— D'accord.
— Je vois des gens qui sont morts.
— En rêve tu veux dire.
Signe de la tête : non.
— Quand tu es éveillé… tu vois des morts… Dans des tombes, des cercueils ?
— Non, ils vont et ils viennent comme n'importe qui. Ils ne se voient pas entre eux. Ils ne voient que ce qu'ils ont envie de voir. Ils ne savent pas qu'ils sont morts !"
Sixième sens
Aujourd'hui, c'est la journée mondiale du cancer, enfin contre le cancer. Entre la journée internationale sans paille et la journée mondiale du Nutella. Non ce n'est pas une blague, mais tristement véridique. Si le cancer a droit à sa petite valorisation pendant vingt quatre-heures, c'est parce que les cancéreux sont partout. Et comme ils achètent du Nutella aussi, ben faut pas les oublier.
Du coup les cancéreux sont dans les news. Dans la matinale de France Inter, les notifications sur le téléphone et aussi aux infos à la télé sur le coup de treize heures entre les gilets jaunes et les maréchaux-ferrant en Auvergne. Ils sont ces images de fond, ces dames sans cheveux et ces messieurs avec une perf, tandis que le commentateur raconte les incroyables avancées des centres de recherche. Donnez encore de l'argent, un peu plus. Crozemarie il est parti, votre pognon est safe avec nous.
Les cancereux sont à l'hôpital bien sûr, dans ces salles d'attente où l'on se salue poliment pour se toiser ensuite discrètement. J'y suis, pour le moment, la plus jeune. Merci Destin. Je ne veux jamais être dans cette salle d'attente avec un enfant ou un jeune adulte.
Les cancéreux sont sur Internet, Mandieu comme ils sont sur Internet. Comme des sauterelles dans un champ de maïs. Putains de blogs de cancéreux.
Ils sont dans le sucre ingéré quotidiennement à l'insu de votre plein gré, dans ce petit pain hamburger, cette bière Heineken et même dans ce cassoulet William Saurin.
Dans cette cigarette et sa copine et son autre copine et le paquet qui les contient.
Dans ce déodorant à l'aluminium, ce gel douche au paraben et ce shampoing au silicone.
Dans tous ces instants où un jogging ça aurait été bien, mais le canapé c'était mieux.
Dans cette pilule avalée chaque soir, parce que ce sont les femmes qui se tapent les règles, les grossesses, l'accouchement, les vergetures, sans oublier cette chienne de ménopause, et la société moderne leur offre un surplus d'hormones en cadeau Bonux.
Les cancéreux sont des héros de films romantiques. Les personnages y ont des Étoiles contraires, passent de chouettes Automnes à New York et des Sweet november, ont des Love story ou sont de supers Meilleures ennemies. Parce que c'est romantique le cancer, love love cœur sourire attendri, ça permet de mettre en scène des histoires d'amour impossibles maintenant qu'il n'y a plus de Capulet et de Montaigu.
Ou alors, les cancéreux sont le détonateur qui permet au héros de se surpasser, de changer de vie. Souvent ils détonnent en mourant, parce qu'une explosion de la révélation, cela passe par une bonne mort. C'est propre. Pourquoi c'est généralement la mère qui s'y colle ? Les scénaristes sont consensuels sur le sujet.
Ils sont dans le cimetière que je traverse plusieurs fois par semaine pour promener le chien. J'y croise mon ancienne voisine. Coucou, j'ai pareil que toi.
Ils sont dans les livres. Les cancéreux en écrivent beaucoup, ils fuckent le cancer ou sont anti-cancer, ils ont des recettes, des idées et du succès. Ils sont rebelles. Ils meurent quand même. Comme dans les films, parce que souvent la réalité s'éclate à rejoindre la fiction.
Ils trustent aussi les premiers rôles dans les séries télé. Les cancéreux ont débarqué sur TF1 avec des Bracelets rouges. Ils passent de losers pathétiques à dealers de drogue dans Breaking Bad, ou d'ancienne institutrice entrée en politique à présidente des Douze Colonies de Kobol dans le mythique Battlestar Galactica. Ils envoient du bois malgré, ou avec, le cancer.
Ils sont au boulot, ils ont chopé le cancer avant moi. Ils se font attraper après moi aussi. Merde merde merde crotte.
D'après l'OMS, un homme sur cinq et une femme sur six dans le monde seront un jour touchés par le cancer.
C'est devenu tellement normalisé dans notre société. Je parie sur l'arrivée imminente du congé cancer, comme le congé maternité. Neuf mois de traitement, un kit perruque/anti dépresseur et allez, ça repart !
Je devais avoir un sacré filtre anti-cancer, avant, parce que cela ne me sautait pas vraiment aux yeux. Je suis devenue un peu sensible à ce sujet.
Maintenant ça va mieux, je n'ai plus l'impression que chaque cancéreux trouvé sur mon chemin est une inside joke de la vie. Regarde -petit clin d'œil- c'est ce qui t'arrive -sourire en coin- tu croyais pouvoir oublier ?
Rendez-vous dans 3 mois.
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