"Vous avez l’expérience de la guerre, Monsieur Rambo ?
— J’ai vidé quelques chargeurs."

Rambo 3

J'avais un but : contenir.

Contenir le bousin le plus longtemps possible. Jusqu'à ce que les enfants deviennent eux-mêmes en plus grands et qu'ils soient lancés loin et bien dans la vie. Jusqu'à ce qu’Éric ait vingt-sept rides à chaque coin d’œil. Jusqu'à ce que le chien marche avec ses pattes à l'avant et des roulettes à l'arrière. Jusqu'à ce que George R. R. Martin finisse d'écrire Game of Thrones pour avoir la vraie fin, pas celle des scénaristes hollywoodiens.

J'étais réveillée et j'avais fêté ça. J'avais bénéficié d'un alignement tripes-cerveau et d'une chanteuse des années quatre-vingt-dix prophète à la radio. Surtout, je ne pouvais me satisfaire d'attendre docilement entre deux IRM que Médecine Moderne me soigne à coup de trois piqûres dans les fesses, une fois par mois. Désignée inapte aux vrais traitements. Non mais merde !

Contenir c'est tenir avec, cum tenere. Il fallait donc me munir de plusieurs choses :

- en priorité des moyens d'action ciblés, efficaces et crédibles. Si possible vérifiés par la science ou au moins par des témoignages concordants. J’allais pas faire ma bégueule.

- des experts en dehors du territoire standardisé de Cancerlandia et ses règles obtuses

- un peu de volonté, de motivation et d'huile de coude

- des alliés pour le moral

- la promesse à moi-même de revoir ma stratégie à tout moment sans me décourager en cas de mauvais résultats

- et aussi des playlists sympas, parce que c'est toujours mieux en musique.

À priori, en décidant d'agir pour contenir, je partais pour un truc assez pérenne, genre tout le reste de ma vie quelle qu'en soit sa durée. Une guerre de tranchées. Alors, est-ce que pour faire la guerre il faut devenir la guerre ? Nan, ça c'est une réplique de film à la con.

Par contre, je me suis rendu compte que mener ce type de combat nécessite beaucoup d’organisation et de longs débats internes. Des questionnements bien relous, pas loin de la pénibilité du Grand Débat National. Je dois régulièrement me mettre bien d'accord avec moi-même et tenir mes propres petits conseils de guerre où je me pose plein de questions :

Jusqu'où suis-je prête à aller ?

Est-ce que j’accepte de me faire un peu violence ? De me priver ? Ouvrir mes horizons, secouer mes a priori, sortir de ma zone de confort ?

Est ce que je suis prête à faire des choses que j'aurais jugées complètement ridicules l'année dernière ? Entamer un régime de nazi ? M'extraire de mon canapé ? Consulter des médecins bizarres ? Transpirer ? Sortir et arpenter les routes et sentiers ?

Est ce que je suis prête à y croire vraiment ? À ne pas essayer, mais à le faire ?

Est ce que je suis prête à faire beaucoup d'efforts, à avoir beaucoup de discipline ? À prendre en main mon bien-être psychologique et émotionnel ?

Est ce que je suis prête à quitter mon regard ironique et à être sincère dans ma démarche ?

Est ce que je suis vraiment prête à me donner une chance ?

Déclarer la guerre quand on a un cancer, ce n'est pas se battre contre lui. J'adorerais éclater cette salope de tumeur, la réduire en miettes. J'adorerais traquer ces cellules cancéreuses et les éliminer une à une, puis aller brûler leurs villages. J'aimerais tellement utiliser ma rage et ma colère pour détruire, exterminer. Mais ce n'est pas possible. Ce n'est pas comme ça que ça marche.

Déclarer la guerre quand on a un cancer, c'est se battre avec soi. Combattre, c'est se battre avec, cum battre.

Et mon meilleur allié dans cette bataille, c'est moi.