38. La psy, c'est comme la déchetterie
" Victor m’a quittée ! Il ne veut plus me revoir ! Sniff, sniff.
— Bon, bah je pense qu’on en a terminé pour aujourd’hui.
— Ah, vous êtes comme Victor ! Vous ne voulez plus me revoir ! Vous aussi, vous voulez vous débarrasser de moi !
— Mais nan, pas du tout. Moi, je suis votre psychanalyste, vous me reverrez dans une semaine. Victor lui, vous ne le reverrez jamais."
Mafia Blues
Voilà, fin de l'été. Bientôt la rentrée avec le retour du réveil matin, des embouteillages et des IRM. Normal.
Pour cette dernière semaine de vacances, je me suis mise en tête de nickéliser mon chez moi avant d'affronter le monde extérieur. Cela passe par un grand nettoyage du jardin et du garage avec beaucoup de choses à débarrasser et à jeter. Du coup, après avoir rempli la voiture de trucs vieux, dégoûtants et irrémédiablement en panne, je suis allée à la déchetterie.
C'est à cet endroit, en train de balancer mes dizaines de cartons dépliés, mes jouets de jardin élimés de plus de dix ans et mon aspirateur kapout de plus de vingt que j'ai eu une révélation. J'ai repensé à la psy, celle que j'avais vu quatre ou cinq fois il y a un peu plus d'un an et demi et dont j'avais comparé l'accompagnement à une visite à la déchetterie : je m' y étais délestée de mes petits soucis et je n'avais rien emporté en échange. Eh bien, j'avais tort. De longs longs mois plus tard, je réalise enfin à quoi cela m'a servi d'aller chez la psy et de me forcer à y vomir mes peurs, mon choc, mes angoisses et ma colère. Car à l'instar de cette corvée de nettoyage, mes séances chez l'analyste m'avaient permis de gagner quelque chose de précieux : de la place
Comme c'est très long, soixante minutes d'affilées quand il faut parler à quelqu'un qui hume en guise de réponse, je m'étais appliquée à broder et trouver des techniques pour gagner du temps, par exemple décrire ce qui m'arrivait par métaphores. Les descriptions sportives marchaient plutôt pas mal. J'étais restée bloquée assez longtemps sur celle du match de boxe truqué. J'aurais beau me battre à chaque round, le combat était perdu d'avance. Et cette place de loser était inacceptable. Inacceptable.
Mmh mmh.
Bref.
Je me rends compte maintenant que cela n'avait pas été inutile. J'avais entreposé dans son cabinet, entre son canapé et sa boite de kleenex, mes matchs truqués avec leur panoplie complète d'arbitres tricheurs, d'opposant dopé et de podium en carton plâtre, ainsi que tout un tas de trucs dont je n'ai pas besoin dans ma vie, genre déprime et paralysie. J'avais gagné de la place, et paradoxalement je n'étais pas sortie vide de ces quelques séances. Au contraire, cet espace m'avait donné de nouvelles perspectives. J'ai pu commencer ma collection de rencontres avec des médecins, des soignants, des accompagnants en ayant la place nécessaire pour entendre, digérer et intégrer, avec un pied assez agile et sûr pour cheminer sur ce parcours de santé bizarre. Je l'ai utilisée pour m'investir dans de nouvelles démarches, m'ouvrir à de nouvelles façons de penser, essayer des trucs sérieux et des trucs chelous. Est-ce que ça marche?
Je n'en sais rien, et finalement, là n'est pas la question.
La science et la médecine cancerlandaise certifient que rien ne marche, alors qui je suis pour aller leur dire le contraire? Moi, je me suis juste promis de tout faire pour contenir le mieux et le plus longtemps possible.
Je n'ai pas d'énergie à perdre dans un combat truqué moisi. Je m'en fous de gagner la coupe, la médaille, la première place, je n'ai rien à prouver. Je dois juste tracer ma route. J'avance léger.
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