52. This is the end - Sawadee-kha
J'aurais vraiment aimé conclure sur cette citation :
"On est venu, on a vu et il l'a eu dans le cul !"
Ghostbusters
Ou avec celle-ci, pour le plaisir :
"Bradock, je vous préviens. Attention où vous mettez les pieds.
— Je mets les pieds où je veux, Littlejohn… et c’est souvent dans la gueule !"
Portés disparus 3
Mais bon, ce sera celle-là :
"Si on ne maîtrise pas tout ce qui nous arrive, on peut choisir comment y faire face."
Moi.
Merci à ma psy, ma coach et mon médecin chamane pour avoir réussi à me le rentrer dans le crâne. Oui, je m'auto-cite, tout part en sucette pour le dernier chapitre.
Voilà, c'est la fin.
Ah bon ? Mais ça se termine en eau de boudin ! Elles sont où les réponses pour guérir du cancer ? Quand j'ai des news, je vous fais signe.
Pour ce dernier billet, pas de dénouement feel good avec rétablissement miraculeux intégré. Je n'ai pas prévu de cascade, de course-poursuite ou d'explosion, ce n'est pas le genre de la maison, et il n'y aura pas de scène d'amour non plus, mon mari est un peu pudique. Mais le chien vous léchouille. Pas de final grandiose donc, juste un petit château de mots sur une plage de textes, ambiance zen et balnéaire. Mes écrits-grains de sable se retireront tranquillement avec les vagues pour reposer autour de quelques coraux.
J'avoue, cette histoire est un peu bâclée : il manque un chapitre sur l'inexplicable danse du crabe de ma Trollinette et ma dérangeante séance chez le somatopathe de l'extrême.
Bon allez, je ne suis définitivement pas fan des fins ouvertes, donc voici une mini conclusion sympatoche : Princesse Cancer monte sur son dragon canidé et parée de son étincelante armure, elle s'envole, infatigable, le biceps musclé et l'IRM transparent, pour affronter l'ennemi dans un éternel combat sous le soleil rougeoyant. Musique iconique Atomic de Blondie, fondu générique, remerciements. Et... scène bonus qui en jette : éclatement brutal de clavier avec touches volantes, cris d'effroi et grognements sauvages et satisfaits audibles sur la bande-son de The Prodigy.
Mmmm, ça fait du bien.
Dans la vraie vie, j'ai été diagnostiquée d'un cancer du sein hormono-dépendant au stade 4 il y a deux ans et demi. Je suis à mi-parcours du reste de mon chemin selon Médecine Moderne, ces foutus cinq ans du point de départ. Après plus de deux ans d'arrêt-maladie, j'ai repris le travail. J'ai retrouvé ma voiture le matin, le bonjour aux collègues, les entretiens et réunions où je refoule du mieux que je peux les élans sarcastiques du honey badger. Heureusement, j'y vois mes copains et mes amis car j'y fais des choses sans intérêt. Je me sens à côté. Je ne fais que passer.
En plus du boulot, je poursuis ma vie palpitante : rénovation de la salle de bain avec de beaux carreaux couleur crème. Cours d'Ashtanga Yoga tous les mardis soirs. Évasions mutiples, très loin, avec ma tribu, pour tenir ma promesse de faire un gros voyage par an pour eux et pour moi. J'y fais le plein de tout, surtout d'envie de repartir. Je me suis éloignée de la zone Zombieland pour un espace de presque normalité avec option sursis.
J'ai aussi sorti mon paquet de textes de leur placard-blog à public familial, ce vomi de mots libérateurs exorcistes expulsé lors de cinq minutes de calme et d'oisiveté. Je les ai publiés sur un site internet d'écriture coopérative découvert par accident, par hasard, par chance, en me plantant d'adresse URL à quelques lettres près. J'y ai trouvé une communauté d'écrivains-lecteurs aux petits oignons. Merci infiniment à eux pour tous leurs conseil, corrections et encouragements. Je ne sais pas si j'ai progressé, mais j'ai beaucoup grandi dans cet exercice, en y gagnant de belles rencontres.
En cas de doute planant encore à l'horizon de cette lecture, je précise : ce texte est bien autobiographique, tout y est vrai. Le cauchemar bizarre, la chanson des ovaires, les séances d’hypnose, le régime nazi et tout le reste, true story. J'ai au moins vingt billets en attente, mais ils ne collent plus à mon état d'esprit. J'avais trouvé des titres sympas, de La sous culture saved my life à Je suis bullshit fluent. Peut-être en accoucherai-je plus tard ?
Mais à présent, écrire sur mon petit nombril devient de plus en plus dur. Je ne suis plus dans le passé, je ne veux pas voir le futur. Il n'y a plus que maintenant, ce point bleu à l'horizon, le sable chaud qui crisse sous mes orteils, mes enfants qui jouent dans la mer tiède et tropicale. Il n'y a plus que mon souffle. Il se coince dans ma poitrine, symptome d'une nostalgie envahissante qui n'a pas de raison d'être, mais se mêle étrangement au plaisir de mon échappée. La certitude d'un instant important, gravé au fond des rétines, se faufile dans mon esprit tandis que quelques larmes clandestines glissent sur mes joues. Il n'y a plus que maintenant.
À cet instant, de l'autre côté du monde, je ne sais pas encore que je subis une contre-attaque surprise de mon ennemi intime. Ma rémission sera officiellement terminée dans quatre semaines pour laisser place au deuxième round de mon parcours de cancéreuse. Coco l'onco me l'annoncera en prenant une grande inspiration, avec des yeux soucieux. Elle quittera son territoire de médecin et fera le tour du bureau pour s'assoir à mes côtés et me prendre la main, elle la serrera doucement. "Il faut y croire Mme B., il faut y croire". Là, je réaliserai plusieurs choses : avec Coco, on a passé un cap au fil de nos drôles de rendez-vous. Nos entretiens, stressants, encourageants, déchirants, n'ont pas fait de nous les meilleures potes, mais une appréciation certaine s'est installée. Apparemment, elle ne garde pas rancune de mes remises en question et contre-vérifications relous, ni de cette fois ou je l'ai félicitée pour sa grossesse alors qu'elle n'était pas enceinte. Oui, ça aussi, c'est pathétiquement vrai. Encore plus surprenant, je commence à lui faire confiance.
Je prendrai également conscience que cette nouvelle phase nécessitera plus d'endurance, qu'il faudra ménager ma monture, supprimer toutes les sources de stress et de fatigue possibles, être plus indulgente avec moi-même, couper les derniers ponts qui me reliaient à ma vie d'avant. Après les aurevoirs avec mon oncologue et un partage de sourires peinés mais authentiques, dans le couloir, j'essuierai mes larmes. Dans l'escalier, je cataloguerai les actions à mettre en place. À la porte automatique du bâtiment, je me donnerai jusqu'à la fin de l'été pour la réalisation de la première partie du plan. Dans la voiture, je me féliciterai pour ma réactivité et j'entamerai mon nouveau cycle d'auto-bienveillance en me permettant un bon craquage avec yeux rouges, morve au nez et gros fuck you aux passants suivi de quelques jours moroses de déprime bien mérités. Ensuite... Nouveaux traitements, nouvelles batailles, nouvelles aventures. Youpi tralala. Mais pour le moment, je m'étale un peu de crème indice cinquante sur le nichon et tout va bien sous le soleil.
Médecine Moderne m'a donné cinq ans pour plier proprement les gaules. Sûr, c'est mieux que trois à six mois mais pas trop cool quand même. À sa décharge, je l'ai sommée de chiffrer mon espérance de vie à l'entretien "action ou vérité" du débrief de mon diagnostic : "Vous me dites ce qui se passe dans mon corps et en échange, je ne défonce pas votre clavier, OK ?" J'avais besoin de marqueurs, de directions, que quelqu'un me dise quoi faire et en combien de temps. Ce n'est plus le cas. Je lui enlève les mots de la bouche, je lui reprends ses statistiques, sa prédiction. Je lui reprends son putain de pronostic. Je serai peut-être encore là dans quatre ans, dans huit ans, qui sait ? Personne ne balisera ma vie de petits chronomètres clignotants, même pas moi.
Voilà, j'avance. Je crois que j'ai passé l'étape de la survie, celle où tu réagis à l'immeuble de soixante étages qui t'est tombé dessus, que tu navigues à vue dans les brumes d'un monde post-apocaliptique en mode Mad Max. Je n'ai toujours pas de GPS pour me guider hors de Cancerlandia, je l'acccepte (un peu) mieux. J'arrive à profiter de l'instant présent. Parfois, je le savoure, avidemment. Je revis même. Je chante les chansons du Roi Lion dans la salle de ciné pour rigoler avec mon Poussin, c'est pas comme si on spoilait les autres hein. Je profite à fonds des derniers câlins enfantins de mon Chaton qui sera bientôt un petit homme. Je me délecte des quelques confidences que ma grande Caille m'accorde parcimonieusement. Et puis tous ces autres moments avec mes proches. Ces petits moments de rien qui sont tout, en fait. La vie quoi.
Alors là, maintenant, comment ça va ? Hé bien, je fais aller.
Et toi, comment vas-tu ?
FIN
Oui c'est vraiment fini, cette fois c'est la bonne.
Ce n'est pas une blague hein, c'est terminé.
Il faut rentrer maintenant. Y a plus rien à lire.
Allez, au revoir.
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