Chapitre 3
Une fois sa marmite récupérée, la stoltzin qui s’occupait du service reprit le chemin du village au pied de la falaise. Seulement elle ne s’y engagea pas. Une bonne centaine de pas avant d’y arriver, elle s’enfonça en pleines broussailles vers la forêt toute proche. Juste derrière la lisière des arbres, un amoncellement de rochers formait une petite grotte dont l’entrée était cachée par des buissons. L’intérieur, bien que petit, était assez clair, en raison de l’espace entre les blocs de pierres qui laissait largement filtrer la lumière. Le sol avait été dégagé des petits cailloux blessants. Et au centre, ligotée et bâillonnée, une jeune fille à moitié nue était allongée. La personne qui l’avait laissé là avait pris le soin de l’envelopper d’une couverture pour qu’elle ne souffre pas du froid. Elle semblait dormir. Mais le bruit de l’arrivée de la stoltzin l’avait réveillée.
La nouvelle venue se débarrassa rapidement de ses accessoires. Au fond de la grotte il y avait un filet d’eau qu’elle utilisa pour se nettoyer. Une éponge humide effaça les ulcères laissant la peau aussi saine que celle d’une jeune femme. Un brin de toilette fit disparaître la crasse sur les mains et le visage. Elle ôta sa robe, révélant une silhouette bien plus avenante que celle qu’elle avait montrée aux gardes. Elle se rinça avec son éponge avant d’enfiler une tunique propre. En un instant, la souillon à peine pubère s’était transformée en une belle stoltzin adulte au teint clair, aux cheveux blonds et au corps resplendissant de santé. La transformation était si saisissante qu'il était difficile d'imaginer qu'il s'agissait de la même personne qui était entrée dans les lieux quelques stersihons plus tôt. Si sa mise était celle d’une paysanne, sa silhouette athlétique et la fluidité de ses mouvements indiquait plutôt une vie riche en exercices physiques. La transformation était si saisissante qu'il était difficile d'imaginer qu'il s'agissait de la même personne qui était entrée dans les lieux quelques stersihons plus tôt.
Sa toilette terminée, elle s’assit à la tête de la prisonnière. « Je suis désolée de t’avoir infligé ça, mais j’étais pressée et je n’avais pas le temps de t’expliquer. » Les yeux de la jeune fille étaient exorbités par la crainte. « Je m’appelle Saalyn et je suis une guerrière libre. Il faut que nous discutions toutes les deux et il serait bien que tu puisses me parler. Si je t’enlève le bâillon, tu promets de ne pas crier ? demanda-t-elle. » Elle hésita un moment avant de hocher vigoureusement la tête. Saalyn détacha le morceau de tissu qui lui masquait la bouche. « Comment t’appelles-tu ? demanda Saalyn.
— Elia, répondit la fille d’une toute petite voix.
— Elia, tu es esclave à l’auberge c’est ça. » La jeune fille confirma d’un mouvement de la tête. « Je suis bien embêtée, reprit Saalyn, que vais-je bien faire de toi ? Si je te libère, tu iras me dénoncer. Si je ne te libère pas, ton absence va être remarquée à l’auberge. Une battue va être organisée, l’endroit va grouiller de monde, ce qui va perturber mes plans. Tu as une solution ? » Les yeux d’Elia roulaient dans leur orbite sous l’effet de la panique. Saalyn prit soudainement un air content d’elle comme si elle venait d’avoir une excellente idée. « Voila ce que je te propose. Je vais te libérer. Tu vas rentrer chez toi et tu ne vas rien dire à personne. Et quand je partirai, je t’emmènerai avec moi.
— M’emmener où ?
— Chez moi.
— Comme esclave.
— Non. Il n’y a pas d’esclave là où j’habite.
— Un tel endroit n’existe pas. Tu mens.
— C’est la vérité. Mon pays n’en a jamais possédé et n’en possédera jamais.
— Je serai quoi alors ?
— Je viens de te le dire. Tu seras libre. Ce marché te convient ? » La jeune fille tardait à répondre. Il n’était pas difficile de deviner le combat qui se déroulait dans sa tête. La liberté qui lui était offerte était bien tentante. Mais d’un autre côté, elle ne connaissait pas la guerrière. Pouvait-elle lui faire confiance ? Et cela risquait d’être dangereux. Pendant qu’elle réfléchissait, Saalyn lui détacha les bras et les jambes. Une fois libre, Elia s’assit, resserra la couverture autour d’elle et frotta ses poignets endoloris. « Pourquoi vous feriez ça ? demanda-t-elle.
— Parce que c’est mon travail. J’ai pour mission de délivrer tous les esclaves pour les ramener en tant qu’êtres libres dans mon pays.
— Pourquoi ?
— Parce que nous sommes un grand pays avec beaucoup de terres et un tout petit peuple pour le remplir. Nous avons besoin de monde pour s’y installer. Des hommes libres, pas des esclaves.
— Quel pays ?
— L’Helaria.
— C’est où ?
— Au sud. C’est un archipel dans la mer, à l’embouchure de l’Unster. » L’ignorance qu’exprimait le visage d’Elia déçut quelque peu Saalyn. Mais qu’espérait-elle ? Un royaume sous-développé à l’écart des grands centres de civilisation, personne ne devait en avoir entendu parler. « Je vais avoir un bébé, dit-elle brutalement. » Un enfant, pensa Saalyn, déjà ! Elle n’est même pas sortie de l’enfance ! « Gestation ou couvaison, demanda-t-elle
— Il est encore en gestation. » Au moins, il n’y aura pas d’œufs à transporter. « Viens avec moi, il naîtra libre.
— Si je viens, qu’est-ce que je ferai en Helaria ?
— Comment le saurai-je ? Que sais-tu faire ?
— Je n’ai pas de métier, je suis esclave dans une auberge.
— On te trouvera bien une auberge où exercer tes talents. Ou alors, tu apprendras un autre métier. Ce ne sont pas les choix que te manqueront. » L’hésitation de Saalyn à répondre à cette dernière question décida Elia. Si ça avait été un mensonge pour la tromper, elle aurait mieux préparé ses réponses. « Vous me rendez ma robe ?
— Tu acceptes ?
— Je dois être là quand ?
— Demain, au milieu de la nuit. Ici.
— Je serai là. Mais si vous partez sans moi, je préviendrai les gardes.
— Marché conclu. Nous dépendons l’une de l’autre. »
Pendant que la jeune esclave se rhabillait, Saalyn méditait sur leur discussion. Elle se sentait vaguement inquiète. Elle était sûre qu’elle ne la trahirait pas par malveillance ou calcul. Mais la peur pouvait la pousser à tout raconter à ses maîtres. Par chance, elle allait avoir un enfant. Un enfant qui pourrait lui être retiré à tout instant pour être vendu. La guerrière libre comptait sur cette motivation pour la décider.
Le lendemain, c’est Elia qui fit la livraison du repas à la mine. Comme la veille, il y avait caché au fond de la marmite un sac avec des armes, ce qui apprit à Meton que la jeune fille était dans la confidence. Tous les esclaves possédaient maintenant un poignard de basalte ou de silex à la lame tranchante. Les gardes étaient mieux équipés, mais ils n’étaient que huit. Et de plus Saalyn comptait sur l’effet de surprise pour libérer les prisonniers.
La journée de travail se passa exactement comme d’habitude. Meton avait bien insisté auprès d’Ancaf sur ce point, les gardes ne devaient se douter de rien. Le chef des esclaves avait fait passer le mot, lui adjoignant un ultimatum : toute personne qui ferait capoter l’opération ne verrait pas le jour suivant se lever.
Le soir, ils furent reconduits dans leur dortoir. Elia vint leur apporter la nourriture. Puis le chef des gardiens ferma la porte. Ils s’assirent sur leur lit et attendirent.
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