Rattrapé par la réalité
Un bruit émane de l’extérieur. Je ne relève pas la tête, je m’en moque.
D’abord lointain, il se rapproche. Ce qui n'était que des chuchotements va devenir un vacarme assourdissant. La porte de l’étable s’ouvre sans prévenir alors qu'une voix d’homme hystérique se met à hurler.
- Regardez ! Qu’est-ce que je disais ! De la maltraitance animale ! Regardez cette pauvre bête baignant dans son sang ! Regardez ! Le veau déjà arraché à sa mère juste après la naissance !
Que ?!.. J’ai à peine le temps de relever la tête que de puissants bras vont s'emparer de l’animal que je tiens.
- Non !
Mon père se relève rapidement. Je ne comprends pas.
- FOUTEZ LE CAMP DE CHEZ MOI !
- Il veut cacher les preuves ! Il maltraite de pauvres bêtes innocentes !
J’entends des cris provenir de partout. Je tente de saisir la scène. Mes yeux sont éblouis par de vives lumières. Il me faut quelques instants pour m’habituer aux éclairages de… de téléphones ! Des lampes ! Il y a des inconnus qui nous filment, chez nous !
Mon père est solidement tenu par trois d’entre eux, j’en vois dix autres se disperser, prendre des photos partout. COMMENT OSENT-ILS ?!
Je me relève d’un bond. Je dois avoir l’air d’une furie avec mon regard meurtrier et mes cheveux crottés. Plusieurs caméras se tournent vers moi. C’est parfait, mes larmes seront vues par toutes ces pourritures des réseaux sociaux. Il ne manquait que cela à mon malheur. Mais je reste debout, refusant de céder à la tentation de me rouler en boule.
- Calmez-vous ! Nous ne faisons qu’informer les citoyens !
- FOUTEZ LE CAMP JE VOUS AI DIT !
Mon père est devenu totalement fou. Il arrive à se libérer un bras et enfonce son poing fermé dans le ventre d’un de ces enfoirés ! Ça part immédiatement en mêlée. Je me jette à ses côtés dans la bataille. Je mords, je griffe, je hurle… Marguerite panique, remue dans tous les sens. Je vois la mare de sang qui recommence à s’élargir sous elle. J’hésite une seconde. L’homme en face de moi en profite pour m’asséner un uppercut. Je roule au sol, la bouche en sang. Mon père me rejoint vite. Ils lui ont cassé le nez, et deux dents.
Ça, ils ne le filment pas. Oh non. Leurs écrans se braquent sur Marguerite qui tente de se rapprocher de moi. Ses yeux deviennent vitreux... Non… Je tends un bras vers elle, essaye de la caresser une dernière fois… Un violent coup de pied expulse mon bras hors de la zone de tournage.
J’ai juste le temps de voir un logo avant de m’évanouir pour de bon.
L214
Ils ont osé revenir… revenir après avoir foutu le feu à nos bâtiments, à nos cultures, revenus après tout le mal qu’ils nous ont fait… revenus après avoir poussé ma mère au suicide… Moins d’une semaine après qu'on l'ait enterrée, ils osent revenir…
Je vous hais !..
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