Une idée qui s'installe

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J'ai froid.

Le vent s'engouffre au niveau du cou et des jambes, me faisant frissonner. A mes côtés, Symphonie s’empresse de rajouter sur mes épaules son propre manteau. Je tente bien de résister, rien à faire, elle s'éloigne pour m'empêcher de le lui rendre.

Nous reprenons la marche sur les pavés du trottoir, bien trop proches du vacarme de la route selon moi. Symphonie avance les yeux fermés et les mains jointes derrière la nuque, restant à l’écart. Il règne un malaise entre nous depuis le départ d'Hugo.

Je déteste ça !

Elle refuse de me dire pourquoi nous allons à la gendarmerie, ayant même rallongé le trajet via un passage par un café ou autre. Je me doute bien qu'ils veulent entendre ma version. Après tout, je suis dorénavant orpheline... Je frotte mes yeux humides, ça me fait mal à force, la peau est irritée. Elle remarque mon geste, tente de me passer l’un de ses mouchoirs, je m’éloigne un peu plus. Sa main retombe dans le vide, elle est déçue.

Le bruit de la ville agresse mes tympans. Déjà que je n’aimais pas ce lieu avant… Maintenant, j’ai l’impression de voir nos agresseurs sur chaque visage, sursautant au bruit des klaxons. Nombreux sont ceux qui nous dévisagent. Comme je le disais, mon amie ne sait pas s’habiller, et elle l’a encore une fois prouvé. Je vous ferai grâce des détails, disons qu’elle n’a pas froid avec ses quatre couches de vêtements, son bonnet rose et son écharpe tricotée main longue de trois mètres.

Après une petite demi-heure de marche, nous arrivons enfin devant un humble restaurant, La Précieuse… je lis au-dessus de l’entrée. Mouais.

Elle me force à y pénétrer la première, me laissant affronter le serveur. Il doit y avoir une vingtaine de personnes en train de manger, ça fait beaucoup pour une cul-terreuse comme moi. Rapidement, Un jeune homme au tablier noir s’approche de nous avec un sourire affable. Je ne cache pas une expression agressive car ayant toujours eu du mal avec les métiers du service et du commerce.

Vous bossez 35h la où nous en faisons 70 pour vendre notre bouffe ou de la merde, et vous avez cinq fois notre paye ? Logique. Branlez-vous sur notre dos, faites simplement la queue.

  • Bonjour Mesdemoiselles ! Une table pour deux ?
  • Ouais.

Son sourire s’efface une fraction de secondes devant mon impolitesse, avant de revenir de manière plus forcée. J’aurais bien voulu briser ce masque de faux. Tant pis.

  • Très bien. Je vous y conduis.

Nous nous installons bien vite. J’inspecte la décoration qui se veut naturelle. Les clients peuvent admirer de la pierre blanche avec un peu de verdure et des tableaux de vignobles. Je soupire tout en m’enfonçant de plus en plus dans ma mauvaise humeur. Un choc sur la table me ramène à Symphonie.

[Tu n’étais pas obligée de faire ta sale conne.]

Elle me foudroie du regard, franchement outrée par mon comportement. Elle m’énerve tellement que je lui réponds sur un ton acerbe.

  • T’avais qu’à lui parler, toi.

Touché. Elle se recule sur les deux pieds de sa chaise, le visage traversé par un éclair douloureux. Elle se mord la lèvre jusqu’au sang sans répondre.

C’était méchant, très méchant de ma part. Je regrette déjà mes paroles, mais refuse de céder.

  • Je vais pisser.

Je me lève rapidement et m'éloigne à la recherche des toilettes. Je les trouve proche de l'entrée. Sur le chemin… je passe à côté de leur réserve à couverts. Ma main se tend sans réfléchir et attrape l’un des ustensiles que je glisse dans ma poche. L’ambiance est si étouffante que je cours presque jusqu’aux WC afin de m'y enfermer. Une fois seule, je pose mes fesses sur le dossier rabattu et plaque mes mains contre ma bouche afin d’y étouffer un long gémissement.

Qu’est-ce que je fous là ??

J’essaye désespérément de me calmer, sans succès. La poignée va à bouger. Quelqu’un veut entrer. Je me fais silencieuse et attends que le gêneur s’éloigne. De nouveau au calme, je sors lentement de ma poche le couteau subtilisé. J’observe la lame sur lequel se reflète mon visage ravagé. J’ai si mal au cœur que j’en ai la nausée. Je caresse doucement d’un doigt ma blessure au cou. J’ai mal quand je déglutis.

Si mal…

Une pensée me revient. Ma mère me disait toujours, « Si tu souffres, pense à un moment où la situation a été encore pire ! Tu verras, ça ira mieux ! »

J’ai l’impression de sentir le chaud contact de ses lèvres sur mon front.

Maman… Je n’ai jamais eu aussi mal…

Je me plie en deux, sentant les larmes monter à nouveau. Une vive douleur me prend à la main. J’ai serré la lame du couteau sans m'en rendre compte. J’ouvre bien vite les doigts afin d’y voir quelques gouttes de sang perler sur ma peau. La couleur rouge me fascine… La douleur m’aide, me sort de mes mauvaises pensées. Non… j’y replonge bien vite dès que je cesse de me blesser.

Et si…

Une idée me vient. D’abord laissée en retrait, elle prend insidieusement de plus en plus de place dans ma tête. Je me saisis du couteau et en pose la lame sur mon poignet. J’ouvre le poing, le referme, admire comme si je les découvrais pour la première fois mes tendons s’agiter sous la peau. J’appuie lentement, très lentement. Je peux sentir mon pouls battre contre l’acier, glacial.

  • HEY ! Il y en a qui attendent !

Le cri me fait sursauter ! Je remets l’outil dans ma poche et sors dans la foulée devant une grosse dame à l’air courroucé.

  • Faut un peu se dépêcher dit donc !

Elle me pousse presque pour pénétrer dans l’espace réduit. Je réagis à peine et retourne en trottant vers notre table, le pas mal assuré.

J’allais vraiment le faire ?

Je retiens une grimace, malade à l’idée de ce qui aurait pu se passer. En même temps, l’idée est là. Elle s’est lovée dans mon esprit, bien au chaud. Je l’enfouis sous une montagne de rationalité et d’instinct de survie.

Me voilà de retour.

Symphonie me dévisage de ses grands yeux couleur noisette alors que ses doigts referment à la va-vite un stylo. Je remarque sur la table deux thés, noir pour moi, vert pour elle. Il y a un petit papier plié en deux à côté du mien.

Suspicieuse, je m’assois, hésitant à l’ouvrir. Elle m’y encourage d’une légère inclinaison de la tête. Lentement, je m’en saisis comme s’il contenait du poison. Elle me regarde l’ouvrir en se cachant à moitié derrière son thé.

Je baisse les yeux, commence à lire.

Claire.

Je ne sais pas comment te le dire, alors je préfère l’écrire en quelques mots.

Je suis profondément désolée pour ce qui est arrivé. Quand j'ai vu ta ferme, quand je vous ai vus, tous les deux, sur leur vidéo, j’ai foncé.
Je t’ai vu sauter du tabouret, du bas de la colline. Quand je suis arrivée aux pieds de l’arbre, tu ne bougeais plus, tu étais si pâle.
J’ai cru que tu étais morte. J’étais détruite.
Je t’ai détachée, j’ai cogné contre ta poitrine, jusqu’à ce que tu craches de la salive.
Tu toussais sans reprendre conscience. Je t’ai prise dans mes bras, je t’ai ramenée chez moi.
Tu t’es réveillée sur le chemin, sans savoir où tu étais, je le voyais dans tes yeux.

Maintenant, je te le dis. Je t’en supplie. Je veux que tu vives. Mais... cette après-midi va être dure à encaisser, alors…

Je veux que tu me dises ce qu’il s’est passé. Tu ne dois pas le vouloir, mais ils le voudront, eux. Laisse-moi être ta voix, ton bouclier.

Raconte-moi.

Ton amie, à jamais.

Symph’

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