Derniers jours
La semaine qui suivit se déroula comme dans un rêve. Nous nous levions à des heures pas possibles pour aller faire des randonnées dans les bois, nous baigner dans les lacs, aller chasser le seul fast-food à trente kilomètres aux alentours ou encore passer des nuits blanches à refaire en boucle les jeux de notre enfance. Les anciens, comme les appelait Hélène, de nature discrète, passaient l’essentiel de leur temps à se prélasser dans le jardin. Le père s’acharnait à cultiver son impressionnant potager et la mère le regardait faire en rédigeant des notes interminables sur les mille façons de cuisiner un radis. Nous apportions de l’agitation dans leur quotidien, il ne leur en fallait pas plus. Un soir, Symphonie m’a même tirée hors de mon lit au beau milieu de la nuit pour aller observer les étoiles. Elle m’avait enveloppée de son amour et de sa lourde couette tandis que j’admirais de lointaines étoiles à l’aide d’un télescope.
Je suis de plus en plus calme. Sans me renfermer sur moi-même, mon esprit tourne au ralenti. J’essaye d’aller mieux, de sourire, pas pour moi, pour elle. Je vois bien que Symphonie espère que la situation s’arrangera. Mon état lui donne de l’espoir.
Mais…
Je ne vis pas pour moi.
Quel intérêt ?
Je ne pourrai pas toujours rester avec elle. Plus j’oublie le gouffre, plus le retour à la réalité sera brutal. Je le sais, j’en suis terrifiée.
Elles reçoivent de temps à autres des appels, font mine de ne rien voir, que tout va bien. Je trouve ça légèrement énervant, mais je ne veux pas… je ne veux plus m’embrouiller, me sentir mal. Je comprends qu’elles me protègent du monde extérieur… je décide de m’abandonner à leur protection.
Je m’étais prise à croire que je pourrais aller mieux. Jusqu’au jeudi du moins.
Mes amies m’avaient alors laissée sur un banc en retrait, le temps d’aller acheter des glaces. On ne s’était pas quittées depuis quatre jours d’affilé, il leur fallait un peu de temps à elle. Mais moi… une fois seule, je vis mes démons ressurgir, d’autant plus forts que je les avais oubliés. Sans raison, sans élément déclencheur, je me mis à paniquer. Je me griffais les bras, me mordait la langue pour échapper à leurs cris, à leurs râles. J’entendis alors Hélène qui me cherchait. Je fis un effort surhumain pour paraître normale, lissant ma robe avant de revenir vers elle.
Je ne supporte plus de vivre comme ça.
Au samedi soir, j’étais tendue, ne voulant pas que cette période calme s’arrête… mais ça va recommencer, je le sais. Plus j’y pense, plus je me dis que quelque chose s’est brisée au fond de moi, à jamais. Je n’en peux plus de côtoyer ce gouffre. C’est une souffrance infinie que de le voir... une peur éternelle que d’y plonger. Avec le temps, l’idée jusque-là enfouie au plus profond de mon esprit s’est insidieusement étendue. « Pourquoi ne pas lâcher prise ? Arrêter de me battre ? De toute façon, ce gouffre sera toujours là. Il ne me quittera pas. Plus jamais. »
Je tente de garder le sourire.
J’ai pris ma décision. Demain, j’y mettrai un terme.
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Vue de Symphonie
Ah ! Dimanche, mon jour préféré !
J'émerge tout juste de mon sommeil que je grommelle déjà ! Je suis seule dans le lit. Elle sait pourtant que je déteste ça. Il faudra que je me venge.
Le soleil s’est levé lui aussi, un coup d’œil à ma montre m’indique qu’il est dix heures passé. J’étire mes bras avant de poser mes pieds nus sur le parquet froid. Brrrr… Enfin bon, en avant !
Je descends l’escalier en passant en revue les photos de famille. J’y vois Hélène rajeunir à mesure que j’avale les marches jusqu’à la retrouver bébé au rez-de-chaussée. Sa gueule d’ange m'attendrit à peine alors que je pénètre dans mon domaine : la cuisine.
Comme je l’espérais, j’y retrouve ma future victime en compagnie d’une Claire en train de tranquillement boire un bol de lait chaud. Elle s’est calmée au fil de la semaine à un point où elle ne râle même plus quand je lui grattouille la tête. Etant du genre à profiter des moments de faiblesse, j’en avais profité pour lui faire des tresses jumelées à des scoubidous. Je m’étais prise à penser que ça l’aurait fait réagir, mais je n’ai rien eu d’autre qu’un vague sourire ennuyé. J’aimerais bien qu’elle redevienne comme avant, bien qu'ayant assimilé que cela est impossible. Elle a trop changé.
Je prends donc place en réfléchissant aux sévices que je pourrais infliger à Hélène. Cette dernière m’annonce que ses grands-parents sont partis à la messe. Nous nous relançons rapidement sur notre habituel débat. Hélène est croyante, pas moi. Elle voudrait ‘’m’ouvrir l’esprit’’ là où je ne fais que me moquer. Je remarque à peine Claire se lever doucement, trop prise que je suis à tenter de la faire sortir de ses gonds. Après avoir longé les meubles de la cuisine pour nous esquiver, elle s’attelle à grimper l’escalier avec une lenteur qui aurait dû me faire tiquer.
- Excusez-moi, je vais aux toilettes, murmure-t-elle en s’appuyant contre la rambarde.
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