9 - Christian

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 Immobilisée au milieu de l'allée, empêchant les personnes de venir rendre visite à leur proches perdus, elle regardait dans le vide. Comme pétrifiée par les image qu'elle venait de visionner. Les personnes autour d'elle ne lui portaient pas d'attention, comme s'ils ne voyaient pas qu'une jeune femme était terrorisée. Personne ne viendrait donc à sa rescousse, personne ne l'aiderai dans sa peine.

 Fébrilement, elle déposa un lilas sur la tombe de l'adolescente et s'assit un moment dans l'herbe, elle devait reprendre ses esprits. Malheureusement, les images étaient ancrées dans sa tête. Elles ne voulaient pas la laisser tranquille et s'en aller hanter une autre âme.

 Les yeux fermés, elle entreprit de reprendre son souffle, régulant ses pulsions cardiaque. Ces images avaient rouvert une souffrance qu'elle avait réussi à soigner il y a quelques années de cela.


* * *


 Du haut de ses vingt-deux ans, Lily vivait le parfait amour avec l'homme qui comblait sa vie et son cœur : Florian. Elle l'avait rencontré alors qu'elle n'avait que dix-neuf ans, à l'université. Depuis, les deux tourtereaux ne se quittaient jamais, ils étaient inséparables. Lorsqu'un entrait dans un magasin, tout le monde s'attendait à voir l'autre derrière.

 Après un an et demi d'amour passionné, un évènement marquant fit irruption dans leur cocon d'amour. Lily avait découvert qu'elle était enceinte et qu'elle allait avoir la chance de pouvoir construire une famille avec son âme sœur. Malgré leur jeune âge, les deux amoureux étaient plus qu'heureux de la nouvelle et attendaient ce petit être avec impatiente.

  — Mon petit bébé ? questionnait Florian, les bras chargés de sacs.

  — Oui, mon amour ?

  — Tu peux venir m'aider, mes parents nous ont acheté pleins de vêtements pour la petite.

 Lily se leva et se dirigea vers son amant pour l'aider à porter les sacs remplis de tissus de toutes les couleurs. Un large sourire prit possession du visage de la jeune dame lorsqu'elle vit une petite robe rose avec des points blanc.

  — Rose sera magnifique là dedans, constatait-elle, montrant la robe à Florian.

  — Rose ? Tu es sûre ?

  — Chéri, c'est la tradition. On n'y échappera pas ! Ma grand-mère serait déçue.

 Quelques jours passèrent et le ventre de Lily grossissait au fils du temps. Les douleurs accompagnèrent tout ce joli évènement, devenant de plus en plus intenses et insupportables.

 Un soir, alors qu'elle préparait le repas, elle cru recevoir un énorme poignard dans le bas du ventre. Pliée en deux, elle se laissa glisser par terre, gémissant et pleurant de douleur. Elle était seule, son homme étant parti chercher quelques affaires pour la petite. Elle attrapa son téléphone et composa son numéro, il répondit aussitôt. Un souffle de panique sortit de la bouche de la jeune femme, les larmes brouillant les mots qu'elle essayait de prononcer.

 Lorsque monsieur arriva, il était déjà trop tard. Lily, allongée dans une flaque de sang, pleurait en serrant fort contre elle un des doudous destiné à son enfant. Florian comprit ce qu'il s'était passé et se rua vers sa femme, la prenant dans ses bras.

  — Ça va aller mon amour, essayait-il de la rassurer, même si c'était peine perdue.

 Les douleurs lui revenaient avec ce souvenir, le mal de ventre, les larmes, le trou béant qui s'était formé dans son cœur s'agrandit pour avaler le vide autour d'elle. Son corps se referma sur lui même, essayant de refermer cette blessure tant bien que mal. Depuis cette soirée, elle avait vécue seule, laissant pour compte le jeune Florian qui, en une soirée, avait perdu son enfant et l'amour de sa vie. Après la mort prématurée de sa fille, elle n'avait réussi à ouvrir son cœur à un homme, craignant un échec, voulant fuir la souffrance.


* * *


 Au loin, elle vit un groupe de jeunes garçons en survêtement de sport, les cheveux plaqué sur le crâne grâce à une grosse quantité de gel, ou était-ce dû à une hygiène douteuse ? Ils ne faisaient rien de mal en apparence, ils semblaient rendre visite à une tombe. Soudainement, un des jeunes sorti une cigarette et l'alluma au dessus de la tombe, y laissant tomber les cendres. Prise d'un excès de colère, Lily se rua vers le groupe et leur hurla dessus.

  — Mais vous n'avez pas honte ? Déjà fumer dans un cimetière ce n'est pas très cool et c'est totalement irrespectueux de jeter ses cendres sur un pauvre défunt.

 L'un d'entre eux releva la tête et sembla regarder dans sa direction, mais c'était comme s'il ne la voyait pas. Vous avez entendu quelque chose les gars ? demandait-il à ses collègues qui répondirent tous d'un hochement de tête négatif. Levant les yeux au ciel, elle se rapprocha de la tombe pour ramasser ce qu'ils y avait fait tomber. Elle découvrit un tas de débris : de vieux briquets, des joints à peine fini. Quelle bande de gros porc, quel irrespect. Son regard tourna vers la photo du défunt : Christian, mort à l'âge de cinquante ans.


* * *


 Comme à son habitude, Christian se préparait à faire sa petite sortie quotidienne : supermarché, bureau de tabac et bar pour prendre un verre avec son fidèle ami solitude. Il ne prêtait plus une grande attention à son apparence ; ce n'était pas à son âge qu'il allait essayer de plaire à une jeune ou vieille dame. Il était destiné à finir seul, mais satisfait de ma vie qu'il avait mené.

 Il était l'heureux père d'une jeune femme d'une vingtaine d'années, belle et resplendissante de bonheur. Elle était sa plus grande fierté, ce qui lui donner une raison de se lever le matin au lieu de rester à se morfondre sur son sort. Kyria était étudiante dans une grande école d'art et étaient destinée à un avenir prometteur. Tout pour rendre son père heureux et fier.

 Après avoir mit ses chaussures et avoir enfilé un pull assez chaud, il se dirigea vers la porte de son humble demeure : un petit vingt mètre carré qui lui convenait parfaitement. Il monta dans sa vieille voiture qui risquait de lâcher à tout moment et alla à son premier lieu de rendez-vous : le supermarché.

 Pourquoi venait-il ici chaque jours ? Il aimait le contact avec les employés et surtout avec les caissières, elles prenaient toujours une ou deux minutes pour discuter avec lui et elles écoutaient attentivement ses peines et ses peurs. Lorsqu'il venait ici, il ne se sentait pas seul, il savait qu'il pouvait compter sur quelqu'un ; même s'il savait au fond de lui qu'elles l'écoutaient par simple politesse et que lorsqu'elles rentraient chez elles, elles auraient oublié ses malheurs. Mais parler était très libérateur, c'était plus intéressant de se confier à une personne qu'à un mur ou un verre rempli de vin blanc ou de whisky.

 Une bouteille de vin blanc, un petit tour aux produits à date courtes et une banane qu'il oubliera de peser, comme à son habitude, il marchait vers la ligne de caisse. Devant lui un spectacle insupportable mais magnifique se dessinait : de longues files de cadis qui attendaient derrière les caisses, avec des gens qui rallaient contre les caissières parce qu'elles n'étaient pas assez nombreuses. Il vit au loin un homme d'une soixantaines d'années hurler sur une jeune adolescente qui devait être ici en stage ou pour un emploi étudiant, elle semblait perdue et au bord des larmes. Quel connard, pensa-t-il.

 Ses pieds le guidèrent vers les caisses libre service où il y trouva une machine disponible. En entrant dans la cage à clients, il salua d'un sourire l'hôtesse de caisse qui semblait vouloir être ailleurs ; rester assise ici à se faire insulter toute la journée ne devait pas être la plus passionnante des activités. Il régla ses courses, échangea quelques mots avec la jeune dame et sorti rapidement de l'enfer pour retrouver sa voiture. Il serait obligé de sauter son deuxième rendez-vous pour se rendre immédiatement au troisième qui serait différent de d'habitude : il allait boire son verre en compagnie de Kyria, bien fait pour toi solitude.

 Elle était assise en terrasse alors qu'il faisait un froid de canard. Une jolie robe bordeaux ainsi que de beaux collants bariolés enveloppaient le corps si majestueux de sa jeune fille. Kyria vit son père de loin et se leva, les yeux pleins de larmes, il se rua vers elle, ne portant pas attention à la circulation et au passage. Il arriva de l'autre côté sans embuches. Pourquoi pleurait-elle ? La réponse n'allait pas lui plaire...

Quelques mois plus tard...

 Allongé sur son lit d'hôpital, il sentait petit à petit son âme s'envoler de son corps. Lors de son rendez-vous avec sa fille, elle lui avait annoncé qu'il était malade, gravement malade ; un problème au cœur qui ne serait pas soignable. Il ne te reste que quelques mois à vivre, papa... Lui avait-elle dit, les yeux pleins de larmes.

 Christian fixait le plafond, se demandant comment il avait pu en arriver là ? Lui qui avait tout fait pour être un humain exemplaire. Toute sa vie avait été un ramassis de merde et de malchance. Lui qui n'avait demandé qu'à être heureux se retrouvait allongé aux côtés de la mort. Rien n'était allait dans son sens. Lui qui avait tout fait pour les autres, sa femme l'avait quitté pour filer le parfait amour avec nul autre que son meilleur ami. Il se retrouvait aujourd'hui seul face à la plus effrayante des personnes.

 La porte s'ouvrit et il découvrit un visage qui lui était inconnu ; un jeune homme en blouse blanche, une belle et grosse paire de lunettes sur les yeux et une imposante montre autour du poignet ; montrant sa puissance et sa richesse. Il le regardait et se sentit basculer de l'autre côté, vers un monde qu'il n'était pas prêt à rejoindre. Un univers qu'il voulait fuir le plus vite possible. Il eu juste le temps de voir cette silhouette inconnu se ruer vers lui, laissant place à la noirceur des abysses.

 Il rejoignit un monde dans lequel il serait seul à jamais, comme il l'avait été tout au long de sa vie.

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