Persistance de la Vision

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Dans le sommeil brillent les étoiles des profondeurs. Un ciel intérieur s’ouvre, explose, une nuit se déploie – autre. Le temps s’est dissipé, inutile, et les balbutiements de nos veilles cessent. Abolis par les songes : le langage est une vapeur. Quelque fée nous tend une fleur qui fond en lumière. Voici l’oubli. Lentement naît cette certitude : il faut savoir apprendre l’éternité.

Encore quelques rêves, et nous serons prêts.




La nuit prend soin de vos angoisses. Elle les rassasie patiemment. Mais aussi, pleinement. Angoisse, nuit : bientôt les deux ne font qu’une. Alors montent les brouillards. Vous vous retrouvez seul dans un monde qui n’est plus le vôtre. Les lumières rampent avec les ombres. Les blêmes torsades, les volutes lentes vous attirent en elles. Sans savoir pourquoi, vous vous arrêtez sur un pont et contemplez l’eau noire qui coule sous l’arche. Puis minuit sonne, qui vous laisse un goût de sang dans la bouche.




« Tu comprends », dit-elle, « tu comprends je t’aime bien, mais… », et son regard se détourne, elle baisse les yeux, le silence s’installe, une mouche va et vient dans l’air enfumé, les haut-parleurs vomissent soudain une musique aux accents rageurs, ça va petite, ça ne fait rien, j’ai compris, mais elle relève la tête et murmure « Excuse-moi », plusieurs fois et à chaque fois plus faiblement, quant à moi je songe que j’aimerais volontiers me noyer dans ma tasse de café et que malheureusement, non, malheureusement c’est impossible.




Le vent bouscule les préjugés du désir. Le vent pèse sur le front des dormeurs.

Un petit garçon tenait le vent entre ses mains, avec un air idiot. Mais le vent lui échappait et tournait autour des filles.

Désormais le vent s’est fait parole. Il ment sans jamais s’émouvoir.




Le spectacle étrange de mains croisées sur un espace vierge et closes sur leur secret… j’oubliai les mots que j’étais en train d’écrire et la lassitude qui tiraillait mon front. Restai sans bouger, comme en attente d’un ange. Les vitres éclaboussées de reflets me renvoyaient mon regard en crépuscules éclatés aux mordorures imprécises. Par-delà les rires somnambules je percevais le battement de mon cœur et, comme du bout des doigts je dessinais son visage sur la table, il m’apparut – par une étonnante conjonction – que l’amour avait saveur d’étoiles.




L’adieu aux horloges muettes sur les rivages désertés. Des mouettes fatiguent le dernier azur en criaillant. Blêmes parmi les vagues, des enfants piègent les crabes avec de grands rires.

Soleil mourant derrière les dunes, juste assez kitsch pour donner à la scène une ambiance douce-amère. Au creux des coquillages aux ressacs factices, j’écoute le désespoir, en souriant.




Penché à sa fenêtre, le torse dans la lumière. Il porte les mains à ses yeux comme pour un sanglot. Puis croise les bras et regarde le ciel.

Des nuages courent sur le plafond de sa chambre, ou des reflets. Il est peut-être midi. Le soleil explose dans les vitres. Lui regarde au-dehors, le visage tel un masque mortuaire.

Il finit par se retourner et disparaît dans la pénombre. Réapparaît un peu plus tard. La rue s’est emplie et charrie des foules. Il regarde.

Nul n’échappera à sa solitude.




Une odeur d’étincelles roule sur les miroirs décervelés. La pénombre du chant des sirènes. Vont et viennent des étoiles qui frissonnent. Nos rires mordent le crépuscule des roses. Les derniers souffles de l’été dansent sur nos paupières et balaient la lassitude. Au-dessus de nous palpite une attente bleutée, très lentement.




Tu peux toujours attendre, sa main s’est figée sur l’horizon, il ne viendra plus. Je le sais bien : ce n’est pas le désir qui te faisait pleurer au soir, mais la terreur des vitres creuses… Désormais tu mesures l’oubli à l’aide d’un métronome, fracasses son image irisée, écartèles les aiguilles des horloges osseuses et tournes le dos aux diaprures du soir. Je te l’avais bien dit : ses yeux étaient trop profonds et il n’y avait aucune étoile pour te guider dans ses caresses entrecroisées. À vouloir le trouver tu as perdu toutes les constellations.



(1986-1987)



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