Papillons Noirs
–Bonjour, chéri. Bien dormi ?
–Comme un charme, ma belle. Répondit-je en entrant dans la cuisine.
Au fourneau, ma ravissante épouse faisait cuire notre petit déjeuner. Les enfants, déjà prêts à partir à l'école, étaient installés bien sagement autour de la table. Je me joignit à eux.
–Tien, papa, le journal de ce matin. me fit ma fille aînée.
–Merci, Barbara. répondit-je en récupérant ledit journal
Les nouvelles étaient bonnes. La bourse continuait à monter et le temps allait être magnifiquement ensoleillé toute la semaine. Et surtout, en une, apparaissait ma grande fierté.
–Tu as vu, papa, ton entreprise est en première page ! s’exclama la cadette.
–Oui, j’ai vu, Deborah.
–Tu me feras visiter, un jour ?
–Oh ça, ce n’est pas des choses pour les filles, trésor. Mais nous verrons. répondit-je en lui caressant la tête.
C’est alors que mon épouse se retourna et déposa dans nos assiettes notre petit déjeuner. Des œufs, du bacon bien grillé, un bol de café. Et bien sûr, un bon verre de lait pour les enfants. Ah, Dorothy, que ferais-je sans toi ?
–Dis moi, papa… demanda mon fils entre deux bouchés.
–Eh eh eh, Teddy, pas la bouche pleine. répondit calmement mon épouse.
Mon fils avala, et repris.
–Tu m'emmèneras à la pêche ce week-end ?
–Pourquoi pas, oui. Entre hommes. Cela fait longtemps que nous n’y sommes pas allés.
–Génial ! s’exclama-t-il
Je sourit. Ah, ma belle petite famille… Nous mangeâmes rapidement notre petit déjeuner. Puis nous nous sommes levés, tous d’un même geste. Les enfants quittèrent la pièce, me laissant seul avec mon épouse. Cette dernière, tout sourire, prit doucement ma cravate et me la resserra.
–De travers, encore.
–Ah, Dorothy… Qu’est ce que je serai sans toi.
–Très peu présentable, je dirais.
–Toujours le mot pour rire. lui sourit-je en me penchant dans son cou pour l’embrasser. Tiens, tu as changé de parfum ?
–Oui, c’est Peggy Kingsley qui me l'a conseillé.
–Il sent divinement bon… sourit-je en mordant affectueusement le cou de cire de Dorothy.
Ma femme rit alors, un rire cristalin, adorable. Doucement, elle me repoussa.
–Arrête un peu, fripon ! Nous n’avons pas le temps pour ces bêtises, les enfants doivent aller à l'école et je ne pense pas que ton patron accepte ce genre d'excuses.
–Retard motivé par l’amour ? Tu penses que ce n’est pas un bon motif, ma belle ?
–Pour lui, je ne sais pas. Et il risque d’avoir une drôle de tête ce soir si tu lui apporte ce genre d'excuses.
–Tout est prêt, d’ailleurs ?
–J’ai commandé une belle dinde, le réfrigérateur est rempli de tout ce dont j’ai besoin. Tout sera parfait. Tu préfères un vin français ou californien pour le dîner ?
–Je te fais entièrement confiance, ma belle.
On klaxonna soudain dans l’allée de la maison.
–Allez, dépêche toi, les enfants s’impatientent.
–A ce soir, ma belle. répondit-je en l’embrassant.
Je quittai alors la cuisine, récupérai mon attaché-case dans l’entrée et sortit de la maison.Quelle magnifique journée de printemps. Les oiseaux chantaient au-dessus du lotissement, alors qu’un grand soleil faisait rutiler ma Pontiac.
–Bonjour voisin ! m’apostropha quelqu’un de l’autre côté de la clôture.
–Oh, tiens, bonjour Johnson !
–Les enfants s'agitent je vois. Impatient d’aller à l'école ?
–Il faut croire, bonne journée !
–Ah ah, à vous aussi !
Ah, Johnson… j’ai de la chance d’avoir un voisin aussi sympathique. Toujours de bonne humeur, et toujours là pour rendre service. Dans ma voiture, les enfants commençaient à s'impatienter. Theodore s’était même installé à ma place. Il osa klaxonner son père en me voyant. Ah, quel petit diable.
Après avoir déposé les enfants devant leur école, je me suis dépêché de traverser le centre ville. Oh non, Leptown n’était pas une grande ville, mais c’était l’endroit le plus agréable du monde, pour sûr. Je dépassais l’église baptiste, l'hôtel de ville et la bibliothèque. Tien, Mr. Atkinson faisait des réductions sur les fils de pêches. J’irai en acheter pour ce week-end.
J’arrivais finalement au travail. La CoMercow. Sacré pour la 3e année consécutive meilleure entreprise de l’Etat. Quelle fierté. J'entrai dans l’immeuble et montai à mon étage. Dans l’ascenseur, je croisait la secrétaire de mon patron.
–Bonjour Dolorès. Belle journée, n’est ce pas ?
–Oh oui, magnifique. On va avoir une belle saison.
–Sans douter. Comment va le Patron ?
–Comme un charme.
–Parfait, tout est parfait. Embrassez-le pour moi si vous le voyez avant moi.
–Roooh, comme vous êtes vilain. minauda la jeune femme.
–Toujours avec les jolies femmes. fit-je alors que la cabine s'arrêtait à mon étage.
Je sortit de l'ascenseur et traversai l’étage jusqu'à mon bureau. Sur le trajet, je saluai tout mes collègues :
–Bonjour, Davis. Miller, j’adore ta cravate. Elle est nouvelle ? Perkins, je crois que ta femme t’as laissé un petit souvenir sur ton col de chemise. Ah, ce bon vieux Cooper. Alors, tu m’as pas dit hier, tu préfèrerais être cocu ou communiste ?
J’adore mes collègues. Et ils me le rendent bien. Avec le retour des beaux jours, j’organiserai un barbecue à la maison, ca nous fera du bien de nous voir hors du travail. Le couloir traversé, je m’instalai à mon bureau et découvrit ma machine à écrire. Ah, l’odeur de l’encre de machine. Qui a-t-il de mieux ?
La journée pu battre son plein. Tout portait à croire que ce serait une autre excellente journée dans ma petite vie bien tranquille, et bien agréable. Mais soudain, ma machine s’enraya dans un bruit bien désagréable. Pas de chance. Je retirai la feuille de papier coincé dans le mécanisme. Mais alors que je m’appretais à remettre ma machine en ordre, je fut attiré par la forme que prit la tâche d’encre sur ma feuille. On aurait dit… Un papillon ? Non, c’était une coïncidence. Je m’empressai de jeter la feuille et de relancer ma machine, comme si de rien n’était. Mais alors que je m'assurais que la machine fonctionnait à nouveau correctement, une voix me tira de mes réparation :
–Alors, on papillonne ?
Je me redressai en sursaut. C’était monsieur Mercow, mon patron.
–Mh, non… Je réparais ma machine, elle m'a bêtement lâché au mauvais moment.
–Ce sont des choses qui arrivent. Dites moi, mon vieux. Pour ce soir, nous avons bien convenu 19h30 ?
–En effet, monsieur.
–A la bonne heure ! A ce soir, alors !
Monsieur Mercow quitta mon bureau, me ramenant à ma solitude. Non, ce n’était pas un papillon, pas encore, pas déjà… Pendant plus d’une heure, j'essayais de penser à autre chose, mais cette feuille dans cette poubelle m’obsédait. Non, ce n’était qu’une coïncidence, rien de plus qu’un test de Rorschach involontaire.
Une fois la journée terminée, je suis allé chercher les enfants à l'école. Au lieu de rentrer directement, je me suis permis un crochet par la quincaillerie de monsieur Atkinson, afin de préparer notre week-end de pêche avec Teddy. Nous avons donc pris quatre nouveau fils de nylons, six flotteurs et un panier pour nos prises.
–Ce sera tout ?
–On a pas pris d’appat, papa.
–Ah bah mon bonhomme, tu va être servi. répondit le quincailler.
Ce dernier s'enfonça dans sa boutique, avant de ramener une boîte en carton des entrailles de la quincaillerie.
–J’ai récemment fait l'acquisition d’un nouveau type d'appât, à la fois magnifique et très efficace.
Il ouvrit alors la boîte pour nous montrer lesdits appâts. Mais alors que Théodore semblait émerveillé, je reculai d’un pas. Dans la boite était épinglé cinq papillons noirs.
–Non ! On va s’en passer !
–Mais pourquoi ? Ils sont très joli, pourtant !
–J’ai dit ! On ira capturer des vers dans le jardin, ça sera tout aussi efficace !
–Vous êtes sur ?
–Persuadé ! Combien je vous dois ?
–cinq dollars.
Je m’empressai de jeter un billet de cinq dollars sur le comptoire, agrippai d’une main le sac contenant mes achats et le bras de Teddy de l’autre, et quittai précipitamment la boutique.
La voiture bombarda sur le chemin du retour. Je crois avoir grillé un stop. J’ai aussi crié sur Deby, ou Barby, je ne sais plus très bien. Elle m'avait fait remarquer mon incivilité, ou quelque chose du genre. Je restai crampé sur mon volant. je le sentais humide. Le moindre élément s’agitant hors de l'habitacle me faisait sursauter. Pitié, pas déja, pas encore ! Tout allait si bien, jusque là !
Je garai ma voiture de travers dans l’allée et fit précipitamment sortir les enfants. Le soleil déclinait doucement à l'horizon.
–Eh bien voisin, tout va bien ?
–Hein ? Non ! Enfin si ! Si, bien sûr, pourquoi ça n'irai pas ? fit-je dans de grands gestes, sans même regarder mon interlocuteur.
Je me tournais vers Johnson. Il taillait la haie de sa maison, à l’ombre du vieil orme qui ornait son jardin. Autour de lui tournoyait… Des papillons ! Des putains de papillons noirs ! Je lâchai mon attaché case au milieu de l’allée et me jetai dans la maison, sous le regard circonspect et inquiet de mon voisin. A peine dans la maison, je me propulsai au dans la cave, et ouvrit frénétiquement et un à un les tiroirs de mon établi. Ou était elle, bon sang ! La voix de mon épouse me tira quelque peu de mes recherches.
–Chéri, tout va bien ?
–Non ! Où est ma montre !
–A ton poignet ? répondit candidement Dorothy.
–Pas elle, ma vieille montre ! celle que je range ici !
–Cette vieillerie pour enfant ? Avec les aiguilles phosphorescentes et la tête de Mickey Mouse dessus ?
–Celle-là même ! Elle était rangée ici ! Tu l’as touché ?! Je suis sûr que tu l’as touché ! Combien de fois je t’ai dit de ne pas descendre dans MA CAVE !!
–Chéri, enfin, ne t’énerve pas pour une simple montre d’enfant. Elle ne marchait plus depuis des années, elle n’as même plus de petite aiguille.
–Tu l’as jeté ?! Mais quelle cruche, quelle immense conne ! J’ai besoin de cette montre !
–Ne t’en fait pas, d’accord ? balbutia mon épouse. Elle doit bien être quelque part…
Elle semblait à la fois perdu et terrorisé par mon comportement. Mais ses marques de terreur sur son visage n’arrivait même pas à me calmer. Craquant complètement, je m’effondrait au sol, en larme. Il me fallait cette montre, sinon, j'étais fichu. Pitié, il me fallait cette montre…
–Papa ? Demanda une petite voix en haut de l’escalier.
Je me redressai. Deby était la, penaude. Doucement, elle ajouta.
–C’est moi qui ai ta montre…
–Quoi ?! Ou ca, pourquoi ?! Donne la moi, vite !
Effrayée, elle fila dans sa chambre, et me ramena ma précieuse montre. Le bracelet était rompu. En larme, ma fille me dit :
–Désolé, papa…
–Pourquoi tu l’as prise ?!
–Je voulais juste la voir…
–Pourquoi ?!!
–Comme ça… sanglota Deborah
– File dans ta chambre, que je te trouve une punition !
Sans plus attendre, elle fila hors de la cave. Je n’entendit que la porte de sa chambre se claquer, et ses sanglots se perdre dans la maison.
–Chéri, tu vas me dire ce qui se passe ?
–Retourne à ton fourneau, toi… grommelai-je avec colère.
Sans demander son reste, elle obtempéra, me laissant seul dans ma cave. J’entrepris immédiatement de réparer ma montre. Sale gosse, pas capable d’obéir à de simples ordres. l’entrée de cette cave est interdite quelque soit le prétexte ! La prochaine fois, j’installerai un verrou à code pour ranger cette montre. Non, pas la prochaine fois… Pitié, pas une nouvelle fois…
Heureusement, Deby n’avait fait que déboiter le bracelet. Je put la réparer assez vite. aussitôt, je l’enfilai au poignet et m’assis par terre. Je devais me calmer. Je ne craignais plus rien, maintenant… Et puis tout ceci n’était peut-être qu’une simple crise d’angoisse, hein ? Je n’avais vu qu’une tache d’encre au bureau. Les papillons dans la boutique de ce vieux Atkinson étaient morts. Et ceux autours de Johnson n’étaient peut être que de simple papillons blanc, qui par l’ombre de l’orme de son jardin, m’avaient paru noir. Oui, tout allait bien. La dernière fois, elle avait été moins, bien moins subtile… Enfin, je crois. Je ne sais plus. Cela faisait si longtemps… Machinalement, je massais mon poignet, ma vieille montre… Peu importe, elle n’allait plus me quitter…
Je ne sais pas combien de temps je suis resté enfermé dans la cave. Lorsque je sortit, une délicieuse odeur émanait de la cuisine. Doucement, je suis monté dans ma chambre. Dorothy était assise à sa coiffeuse, et finissait de se préparer. Dans le reflet de sa glace, je cru voir un fou là où je me tenais. J’avais le regard vague, les cheveux en bataille, la cravate de travers… et je serrais machinalement mon poignet. A côté, ma reine semblait rayonner de toute sa beauté et sa grâce. Je ne peux retenir une larme. Je ne voulais pas la perdre… Aussitôt, je me collai à elle et vint l’embrasser dans le cou, passionnément.
–Je suis désolé, tellement désolé…
–Chéri… Tu nous as tous fait terriblement peur. Johnson à failli appeler la police, tellement tu semblais… étrange. Qu’est ce qui se passe ?
–Je ne sais pas… menti-je alors.
Comment lui dire ce qui se passait, sans avoir l’air plus fou encore ? Mon regard se perdit sur le cou de cire de mon épouse, qu’elle avait délicieusement mis en évidence par cette parure qui lui allait si bien. Et cette odeur, enivrante… Elle me disait peut-être vaguement quelque chose… Soudain je sursautai en voyant posé, sur le meuble, une flasque de parfum dont le bouchon prenait la forme d’un papillon noir.
–Qu’est ce que c’est que ca ? demandai-je d’une voix tremblante en saisissant la bouteille de parfum.
–Ca ? C’est Papillon Noir, le parfum que Peggy m’as conseillé. Tu te rappelles ?
D’un geste, je laissai tomber la bouteille, que ma femme ratrappa de justesse. Je me reculais. Non, c’était trop. beaucoup trop !
–Chéri, tout va bien ? Tu veux annuler le dîner de ce soir ?
–Qu’est ce que tu attends de moi ! hurlai-je alors en regardant le plafond. Pourquoi tu me torture autant ! Pourquoi moi !
–Chéri… ?
Je ne l'écoutais plus, et m'effondrai au sol, tremblant, frottant nerveusement ma montre. Au bout de quelques instants, je finis par ordonner sur un ton glacial.
–Jette ce flacon.
–Je te demande pardon ?
–Détruit le, brûle le, offre le à qui tu veux mais je ne veux plus voir un seul papillon noir dans cette maison.
–Chéri tu me fais peur…
–Obéit moi, je suis ton mari, tu me dois obéissance !!
Terrifiée, elle agrippa la bouteille de parfum, et descendit les escaliers quatre à quatre. Je m’enfermai pour ma part dans la chambre et regardai de longues secondes mon lit, avant de soulever le matelas. Bien calé sur le sommier reposait un vieux revolver chargé. Je le pris, défit la sécurité, et le braquai sur ma tempe. Le temps semblait se suspendre alors. Je regardais la glace de la coiffeuse de Dorothy. Je n’y vois qu’un homme défait, épuisé, fou… Je pouvais me libérer d’une balle. Ça aurait été si simple. Trop simple ? Je jetai le revolver sur le lit. C’était sans doute ce qu’elle voulait. Si je le faisais, je n'aurais peut-être plus de moyen de la fuir…
Quelqu’un venait de sonner à la porte. C’était sans doute les Mercow Je regardai machinalement ma montre. Je ne vois que Mickey me sourire, le visage balafré par une aiguille phosphorescente inerte. Dans un soupir, j’ouvrit le placard et me changeai rapidement. Je ne parvenais pas à quitter l'arme qui gisait sur mon dessus de lit. En bas, j’entendais discuter mon épouse et les Mercow. Je ne pouvais pas les faire attendre davantage. Je pris l’arme, la glissa dans la poche intérieur de ma veste, et descendis. Elle allait frapper, je devais garder l'œil éveillé, et être prêt à répondre… Vainement, sans doute, mais je ne voulais pas me laisser faire, pas encore…
–Eh bien mon vieux, vous savez vous faire attendre. me fit monsieur Mercow en me voyant descendre. Je vous présente ma femme, Hellen.
–Enchanté… parvint-je difficilement à articuler.
–Alors, vous avez l’air stressé. Respirez, je ne suis que votre patron ! Tiens, laissez moi vous raconter une blague, c’est l’histoire d’un fou qui rencontre un communiste…
Je n'écoutais plus, obsédée par la broche que madame Mercow portait contre son cœur. C’était un papillon noir. Un foutu papillon noir…
–Chéri, tout va bien ?
–Hein ?
–Eh bien mon vieux, vous reluquez ma femme maintenant ?
–Non, je regardait sa broche…
–Elle vous plait ? demanda l’intéressé. Mon Andrew me l'a acheté pour nos trente ans de mariage. Oh, tu te rappelles, Andy ? Venise ? Le grand c-...
–Et si nous passions à table, hein ? coupai-je alors madame Mercow.
Aussitôt, je filai vers le salon, où Dorothy avait dressé la table. Je sentais mes mains moites. Outré, madame Mercow et son mari lancèrent quelques remarques à mon épouse, qui dû user de tous les talents de diplomates qu'elle avait en réserve pour désamorcer la situation. Rapidement, mes deux invités s’installèrent à table, alors que Dorothy partait chercher l’entrée. Nous restâmes tous les trois dans le silence le plus pesant. Mon front se chargeait de sueur.
Rapidement, ma femme apporta l’entrée, sous les acclamation de monsieur Mercow. Le dîner a pu commencer dans une ambiance étrange. Dorothy essayait d’animer au mieux ce dernier, alors que je me sentais de plus en plus distant. La maison était bien calme. Bien trop calme. Je coupa alors ma femme dans une phrase sans importance.
–Où sont les enfants, ma belle ?
–Les enfants… ?
–Je ne les entends pas. Leur grand-père est venu les chercher ?
–Les enfants… ? répéta Dorothy
Je sentais mon angoisse monter. Qu’est ce que cette grognasse ne comprenait pas.
–Oui, les enfants ! Teddy, Barby, Deby !
–Les enfants… ?
Je sentais la crise d’angoisse me prendre. Qu’est ce qu’elle avait fait à mes enfants ?!
–Vous semblez vraiment pas dans votre assiette, mon vieux. Je suis sur qu’un bon verre vous requinquera. Qu’est ce que vous nous proposez, Dorothy ?
–Bien sur, laissez moi amener ca !
Dorothy quitta la pièce quelques secondes, revenant avec une bouteille qu’elle posa sur la table.
–Château Lamouche Debeurre, 1936.
–Un vin Français ? Vous ne vous refusez rien, mon vieux.
Je n’écoutais qu'à moitié. Doucement, ma femme me tendit le tire bouchon. Je le pris, hagard, avant de saisir la bouteille. Le bouchon était marqué d’un papillon noir. Presque instinctivement, je lâcha la bouteille et la laissa tomber sur le sol. La tache de vin, noir, pris la forme d’un papillon. Je quittai ma chaise, titubant contre le mur le plus proche. Je n’en pouvais plus. Elle était là. Elle jouait…
–Va t’en, va t’en… murmurai-je alors…
Derrière moi, j’entendais Dorothy quitter la pièce, pour aller chercher un torchon et éponger mes bêtises. Fébrile, je défit mon col de chemise et mon nœud papillon. Depuis quand j’avais un nœud papillon… ?
–Ecoutez, mon vieux. Vous avez vraiment pas l’air en forme. Ça ne nous dérange pas que vous alliez vous reposer. Votre femme est délicieuse, elle saura etre une excellente maitresse de maison. Vous n’avez pas a vous en faire.
Je me tournai vers mon patron, fixant fébrilement son nœud papillon. Il venait de boucher, de battre des ailes. Sans réfléchir, je tirai l’arme que j’avais dans ma veste, et tirai un coup de feu dans ce foutu papillon. Je n’entendit que sourdement le souffle d’agonie de monsieur Mercow, et les cris terrifié de sa femme. Je lui tirai à son tour une balle dans son papillon. Les deux s’effondrèrent sur la table.
Mon premier réflexe fut de vérifier combien de balles il me restait. Quatre. Ça devrait suffir. D’un pas lent et tremblant, je gagnai la cuisine.
–Ma belle ?
–Tout va bien, mon chéri ? me demanda candidement Dorothy.
–Je crois que j’ai tué nos invités…
–Nos invités… ?
–Ça n'a plus d’importance, à présent. Parce que tu es là, pas vrai ?
Ma femme s’éparpilla alors en une myriades de papillons noires. Doucement, je serrai mon arme entre mes doigts, et frottai mon poignet contre le cadran de ma montre. Dehors, il n’y avait que les ténèbres. Doucement, toutes les lumières se mirent à vaciller, à baisser d’intensité. Je voulais pleurer ma femme, pleurer mes enfants, pleurer ma vie… Mais à quoi bon ? Tout ceci allait finir par arriver…
D’un pas rapide, je gagnais le salon. Les corps de mes deux invités avaient disparu. Au sol, la grosse tache de vin semblait battre des ailes. Sans plus réfléchir, je gagnai la cave. Chaque marche que je venais de passer se métamorphosait en papillon, si bien que la cave se retrouva bien vite cerclée par le seul néant. Bientôt les murs, le plafond, le désordre de la cave suivit. Pris de vertige, je m'adossais à l'établi. Je sentais des larmes couler le long de mes joues. Il ne resta bientot plus rien que le vide le plus noir autours de moi.
Je ne voyais rien.
Je ne sentais rien.
Je n’entendais rien.
–Arrête de jouer, je t’en supplie… murmurai-je alors, la voix pleine de sanglots.
–Pourquoi tu me force à faire tout ça ? Tout serait tellement plus simple pour tout le monde. Vient avec moi. Je t’en supplie. Je t’aime.
–Alors arrête de me faire souffrir, pitié. Libère-moi…
–Mais je ne demande que ça. Et tu sais ce qui te reste à faire. Accepte-moi, accepte les ténèbres. Vient à moi.
Je brandit alors mon arme vers… Vers je-ne-sais-trop-où.
–Montre toi…
–Qu’espère-tu faire avec cette arme ridicule ? Tu crois pouvoir tuer une déesse avec ca ?
–Je ferai tout pour que tu me laisses tranquille…
–Alors vient. Tu seras heureux.
–Comment te faire confiance. Tu les a détruit…
–Ce n’est pas moi qui ai tiré.
–Tu m’y a forcé… Espèce de démon infâme…
–Je ne suis pas un démon. Je suis bien plus que ça, tu le sais. Je t’aime à en mourir, je t’en conjure, viens à moi…
–Alors fait donc ca. Meurt.
Je lâchai alors mon arme, qui disparut dans le néant, et commença à marcher au milieu du rien. Je ne voyais rien, rien d’autre que l’aiguille de ma montre qui brillait doucement dans le noir. Je suivais la direction que pointait son aiguille. Elle ne m'avait jamais trompé.
–Où vas-tu ? Où espères-tu aller ?
Je gardai mon silence et mon cap. Elle continua :
–Ne part pas ! Tu sais ce que je ferai si tu gagnes une autre réalité ! Tu crois pouvoir y vivre enfin une vie ou tu n’entendrai jamais parler de moi ?!
Je me concentrais sur mon aiguille, rien que sur mon aiguille. Mon cœur battait à tout rompre. A chaque fois, ce voyage était plus éprouvant, plus difficile. Mais je ne devais pas l’écouter. Pas après tout ce qu’elle avait fait…
–Revient ! Combien de réalités vais-je encore devoir détruire ? Combien de trillions d'être vais-je devoir encore sacrifié sur l’autel de mon amour pour que tu te rende compte ?!
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