Ombres
Il va, le regard vide, sans but, par les rues désertes. Comme une âme vagabonde, il va sans but, indifférent au monde qui ne le voit pas ; il va seul dans la nuit qui lui est plus hostile que le jour ; et les traits figés de son visage, comme inscrits dans la pierre, ne laissent rien transparaître. L’a-t-on jamais vu sourire ? Que pense-t-il, cet homme, quand un passant détourne le regard, gêné, pour fuir ce qu’il ne veut pas voir : la misère, la souffrance, la peur ; quand cette autre qui lui lance un sourire contrit sans même prendre le temps de s’arrêter, s’éloigne à pas pressés ?
Et moi, je le croise hâtivement au petit matin ; je lui lâche à peine une parole, un simple « Bonjour » peut-être, quand je suis d’humeur. Parfois, quand il me demande, la voix brisée, les yeux brillants, le corps écrasé par la fatigue, si j’ai une pièce, moi, gêné, plein de honte, je lui dis, « Ah non, désolé, je n’ai pas plus de monnaie qu’hier ». Il ne dit rien, il baisse les yeux en silence. C’est qu’il n’y croit pas, à ma sympathie, à ma gentillesse.
Il a raison, je m’en fous. Chacun sa merde, on crèvera tous tôt ou tard.
Ainsi va le monde.
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