Kelta
Défi n°1
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Qui se trouve à bord du navire ? Est-ce un autre voyage du brave Sinbad, un voyage en mer "tranquille" d'un couple marié ou une journée normale d'un marin ? Quel est cet endroit ? Une baie emplie de navires qui coulent ? Est-ce un géant de pierre ou juste des montagnes ?
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La tradition voulait que les marins passent leur dernière nuit dans le bateau à quai. Certains y dérogeaient, préférant quelque douce compagnie, mais Livian et Bart s’y plièrent de bonne grâce malgré une démarche peu assurée suite à leur soirée copieusement arrosée.
Bart s’arrêta au bord du quai :
— Rien de tel que de se soulager à la belle étoile, tu ne trouves pas ?
— Hmmm... Livian se détourna de Bart. « Je vais aller saluer Kelta », et se dirigea vers la figure de proue en titubant légèrement.
Son regard se posa sur le visage féminin, illuminé par le clair de lune. Elle était peinte, de manière à la rendre presque humaine et de légères traces, semblables à des tâches de rousseurs, venaient rehausser ses yeux couleur noisette. C’est alors que Livian vit Kelta bouger. Un subtil clin d'œil vint animer la figure de proue. Bouche bée, il secoua la tête et découvrit une Kelta plus immobile que jamais. Il avait décidemment trop bu.
Les jours et les mois passèrent et se déroulèrent aussi normalement que possible, excepté que Livian, après avoir décuvé comme il se doit, voyait toujours bouger Kelta de manière imperceptible. La fenêtre près de sa couchette donnait sur le visage de la figure de proue qui, lui semblait-il, lui souriait d’un air complice. Il essaya bien d’aborder le sujet de manière innocente avec Bart et deux ou trois marins avec lesquels ils s’entendaient particulièrement bien mais il n’eut droit qu’à des yeux ronds ou des tapes condescendantes sur l’épaule. Cela ne l’empêcha pas de monter en grade assez vite et il devint rapidement le second de Bart.
Tout se déroulait donc presque sans accroc… Jusqu’au jour de la tempête. C’était la plus terrible que Livian eut rencontrée et les autres marins ne purent que le confirmer. Elle se déroula dans le pire endroit qui soit, la Baie des Tombeaux, connue pour être remplie d’écueils et d’épaves de navires. C’était un passage assez facile par temps calme mais lors d’une tempête, le danger était mortel. L’équipage s’agitait en tous sens lorsque Livian se sentit attiré vers la figure de proue. Personne ne lui prêta attention, tous étaient occupés à manœuvrer et à suivre les ordres du capitaine. Et malgré le remue-ménage général, il n’y eut plus de doute permis… Kelta décroisa ses bras, révélant sa poitrine d’albâtre et tendit une main d’une taille impressionnante vers Livian. Après une demi-seconde d’hésitation, Livian tendit la sienne et effleura les doigts de la femme-bateau. Alors les images affluèrent dans sa tête, aussi limpides que s’il avait été le navire lui-même, ayant parcouru cet endroit un nombre incalculable de fois, en connaissant le moindre écueil, la moindre épave… Le temps de reprendre ses esprits, Kelta était revenue à sa position initiale. Il n’y avait pas de temps à perdre, Livian courut vers le capitaine et lui expliqua avoir étudié une carte de cet endroit, la seule explication plausible qui lui vint sur le moment. Il n’existait pourtant pas de carte de cette baie, c’était connu. Le capitaine lui jeta un regard circonspect mais vu l’ambiance de fin du monde qui régnait sur le bateau et la détermination qui perçait chez le marin, il décida de l’écouter attentivement et donna ses ordres en fonction des indications du jeune homme. Longer les montagnes semblait une folie mais en désespoir de cause, c’est ce qu’ils firent sur une partie du chemin et cela leur permis de sortir de cette baie maudite. La tempête mit du temps à se calmer. Une fois qu’elle fut passée, le capitaine se tourna vers Livian :
— Tu nous as tous sauvés, je ne sais par quel miracle !
Livian le regarda, sans savoir quoi répondre, encore sous le choc de tout ce qui venait de se passer : la main de Kelta, la vision, la tempête… Le capitaine reprit :
— Si tu as besoin de quoi que ce soit, n’hésite pas, tout le monde t’en doit une, Kelta elle-même d’ailleurs ! et il rit de son bon mot.
Le soir venu, l’équipage prit un repos bien mérité mais Livian ne put s’empêcher d’aller à l’avant du navire pour voir Kelta. Personne n’était aux alentours, il pouvait parler sans crainte d’être entendu :
— Je crois savoir pourquoi tu m’as choisi… Et comprendre ce que tu attends de moi. Il est temps d’arrêter de fuir et c’est la première fois que j’ai une occasion telle que celle-ci.
Le lendemain, il attendit que tous les matelots soient sortis pour fouiller dans ses affaires. Après s’être habillé, il traversa discrètement le faux-pont, peu fréquenté à cette heure, pour se diriger vers la cabine du capitaine. Avant d’entrer, il défit son catogan et laissa ses cheveux châtains courir le long de son dos puis toqua à la porte.
— Entrez.
Livian ouvrit la porte mais resta quelques instants planté sur le seuil, le capitaine n’entendant personne approcher leva les yeux de ses papiers et, ébloui par le soleil qui entrait dans la cabine, n’aperçut qu’une silhouette… vêtue d’une robe.
— Par tous les saints, qu’est-ce que…!
La porte se referma et leurs regards se rencontrèrent. Le capitaine y reconnut la détermination farouche qu’il avait lu la veille dans les yeux de Livian.
— Je crois que vous comprenez l’objet de la faveur que je vais vous demander.
— Quelqu’un vous a-t-il vu dans cet accoutrement ? s’exclama le capitaine.
— Je ne crois pas…
— Tant mieux, répondit-il, visiblement soulagé.
La discussion prenait une tournure qui ne plaisait pas à Livian, aussi il prit la parole :
— Écoutez, cela fait maintenant quatre ans que je navigue et je suis depuis plusieurs mois à bord du Kelta. J’ai fait mes preuves et vous m’avez dit hier que je pouvais vous demander quoi que ce soit. J’en ai assez de vivre caché. En Galunce, les femmes sont acceptées depuis longtemps sur les navires, certaines sont mêmes capitaines, il est temps qu’il en soit de même sur notre continent !
— Donc tu attends de moi que je te présente sous ta nouvelle identité et que tu sois sous ma protection ? Et je n’ai qu’une parole : j’y consentirai… à une condition ! Si tu me racontes ce qui s’est réellement passé hier.
Livian hésita mais sentit comme une onde de confiance l’envahir qui semblait venir du bateau et lui raconta tout.
— Hmm… Très bien. Laisse-moi te dire quelque chose. Comme tu le sais, aucune femme n’est autorisée à bord néanmoins il arrive qu’à quai, je m’octroie quelques exceptions. La première fois qu’une femme m’a fait cette confidence – que Kelta semblait bouger –, je l’ai tout simplement prise pour une excentrique mais cela m’a intrigué… et ce ne fut que la première d’une longue liste. Je ne suis donc pas vraiment étonné par ce que tu me racontes, j’ai toujours su que Kelta était particulière et si tu n’avais pas été à notre bord pour recueillir son savoir lors de la tempête, nous étions perdus. Alors si c’est ce que tu souhaites, allons te présenter à l’équipage sous ton nouveau jour, Livian.
— Vous pouvez m’appeler Livia.
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