Ma très chère petite maman

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Ma très chère petite maman.

Voilà bien longtemps que je ne t'ai plus appellée comme ça. Trop longtemps sans doute. Il y a plusieurs raisons à cela. La première est que nous ne nous sommes pas parlé de vive voix depuis près de cinq ans. Cinq ans déjà ! En y repensant aujourd'hui je n'arrive pas à croire que quand cette bon dieu de guerre a éclaté nous ne nous étions pas vu depuis plus de deux ans. Oui ma chère petite maman tu as bien lu. Que ton coeur de dévote me pardonne, mais si la lumière de ton dieu m'a un jour touché, voilà des lustres que je ne crois plus en rien. J'imagine que dieu a trop à faire par ici, avec toutes ces âmes fauchées. Combien des nôtres sont tombés depuis que nous sommes là ? J'avoue avec une certaine honte que j'ai rapidement préféré ne pas tenir les comptes. J'imagine que la noirceur de ma lettre t'étonnera après celles que je t'ai envoyées les mois passés, mais je n'avais pas été totalement honnête avec toi. J'ai volontairement tu la réalité de ma vie ici, et je te prie de pardonner mes mensonges. Sans doute qu'au fond de moi, je ne voulais pas t'inquiéter, ma petite maman. Malgré les mots que nous avons eu quand j'ai quitté la maison. Malgré papa qui m'a toujours rabaissé et raillé pour l'attachement que nous avions toi et moi. Malgré les barrières que j'ai érigées entre nous pour lui donner tort. Je réalise aujourd'hui que je n'ai fait que lui donner raison. Pourras-tu, je t'en prie, lui dire que je lui pardonne sa méchanceté envers moi car je crois qu'elle n'était motivée que par ses propres peurs.

Dire que je me suis engagé dans les premiers jours pour lui prouver que j'étais un vrai homme. Mais des hommes je n'en ai rencontré aucun ici. Seulement des bêtes. Nous vivons les uns sur les autres, dans la boue et le sang. Nous dormons les uns contre les autres pour nous tenir chaud, et les parasites prolifèrent. Nous mangeons sans plaisir, par simple instinct de survie. J'ai souvent vu des compagnons se battre comme plâtre pour une bouchée de ce gruau infâme que nous avalons depuis des mois. D'ailleurs ton dieu ne s'y est pas trompé, nous partageons l'endroit avec d'autres vermines, comme les corbeaux et les rats, qui viennent se repaître de nos cadavres. Pas d'enterrement chrétien pour le bétail, rien que le retour à la terre. Il n'y a pas d'hommes ici, seulement des bêtes.

Il y a les prédateurs et il y a les proies. Nous jouons tous ces deux rôles, en alternance avec ceux d'en face suivant la journée et parfois suivant l'heure. J'ai pris de nombreuses vies pour éviter que la mienne ne me soit enlevée. J'ai tiré sur des soldats anonymes juste parce qu'ils couraient vers moi et que leur uniforme était différent du mien. Cela paraît si stupide et si vain quand on le dit comme ça. Et tout ça pour une butte. Pas une montagne majestueuse. Pas une ville à protéger. Non ça fait bien longtemps qu'il n'y a plus une ville debout dans les environs. Juste une butte. Que nous nous disputons avec ceux d'en face depuis des mois pour en revenir toujours au même point.

Comme nous l'avons fait avant hier. L'artillerie a commencé à pilonner les lignes ennemies et nous avons chargé. Les gars d'en face sont sortis eux aussi de leur tranchée, et nous sommes allés au contact. Je n'aurais pas les mots pour te décrire la fureur et la cacophonie d'un tel assaut. Les cris des soldats, les balles qui sifflaient à mes oreilles, le tonnerre des canons, et les explosions partout, qui soulevaient sans distinction la boue et les corps déjà fauchés. J'ai été projeté en avant par une explosion et j'ai atteri au fond d'un trou. J'ai percuté un corps et je savais pas s'il était vivant ou mort. Quand il a bougé j'ai vu que c'était un gars d'en face. Je l'ai rapidement cogné au visage et j'ai attrapé sa gorge entre mes mains avant qu'il ne puisse réagir. Il a essayé de me repousser mais j'ai serré plus fort. A force de se débattre il a réussi à attraper le couteau que j'avais à ma ceinture et il me l'a planté dans la cuisse. La douleur m'a fait lacher prise et il m'a crié quelques mots que je n'ai pas compris. J'ai à nouveau serré sa gorge pour le faire taire. J'ai serré jusqu'à ce qu'il ne se débatte plus. J'ai senti son pouls s'arrêter entre mes doigts. J'ai vu la lumière s'éteindre au fond de ses yeux pleins de larmes. Quand ma colère est retombée et que je l'ai enfin laché, je suis resté seul face à ma honte. Je n'ai pas agi en soldat, j'ai tué à mains nues comme une bête.

Les canons ont fini par se taire au bout d'une heure. J'ai failli être enseveli à plusieurs reprises. Voilà maintenant deux jours que je suis au fond de ce trou, incapable d'en sortir à cause de ma blessure à la jambe. J'ai essayé d'appeler à l'aide, mais je n'ai eu aucune réponse. J'ai entendu hier des échanges de coup de feu, mais il n'y a pas eu d'autre assaut. J'ai perdu beaucoup de sang et j'ai froid. J'ai pris la veste de ma victime, et j'y ai trouvé ce papier et ce stylo qui me permettent de t'écrire petite maman. Je m'excuse d'ailleurs de devoir écrire si petit, mais je n'avais pas beaucoup de papier et tellement de choses à dire. Je voulais être une dernière fois honnête avec toi. Te dire que je regrette de n'avoir pas passé plus de temps avec toi, de ne pas t'avoir dit plus souvent ces dernières années à quel point je t'aime. Je regrette cette femme que je n'ai pas rencontrée et ces petits enfants que je ne te donnerais pas. Je regrette ces rires, ces chants et ces joies que je ne partagerais avec personne. Je regrette cette vie que je n'ai pas eu le temps de vivre.

Je vais mettre cettre lettre contre mon coeur en espérant que quelqu'un me retrouve au fond de ce trou et qu'elle te parvienne. J'ai froid. J'ai peur maman.

Avec tout mon amour,

Guillaume.

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