L’homme posa sa main sur le visage de ma mère et de celui de la fillette autour de laquelle des flammes dansaient encore. Il s’approcha de moi, se signa devant le temple du Serpent-Dérogn, le semi-Dieu protecteur des chasseurs, puis il ploya le genou pour se mettre à ma taille. Il regarda mon père, les corps calcinés, le village encore mangé par le brasier. Les cris ne l’atteignaient pas, comme si la voix du chagrin et de la peur lui était indolore.

Son bras se tendit vers moi. Sa paume et ses immenses doigts dévorés par une froideur étonnante appuyèrent contre mon front. J’entendis un claquement constent suivi d’un chant dont je ne comprenais pas les paroles.

Quand il termina, ses yeux aussi noirs que la tombée de la nuit se plantèrent jusqu’au fond de mon esprit. Je vis sur ses poignets les marques des Corbelvert, des sorciers puissants au service du royaume d’Estania. Il traça avec son index une marque invisible sur mon visage. Je sentie une vive douleur vite oubliée. Ma vision se troubla.

— Va près de ta sœur et de ta mère, Aralon.

La voix de mon père tenu un pas derrière moi me réveilla du flou. La sensation qu’on m’avait volé quelque chose flotta en moi, puis s’atténua.

J’obéis et pris ma sœur qui demandait mes bras. Son regard enténébré se planta dans le mien. Je le soutenais jusqu’à ce qu’elle cède. Elle frotta sa joue contre la mienne et écrasa sa tête dans le creux de mon cou. Ses cheveux albâtre s’enroulèrent autour de mes épaules, et lorsqu’une bourrasque agita la vie et la mort, nos mèches s’entremêlèrent dans une même teinte de blanc pur.