Village - 1/2
J’entends taper à la porte. Je vrille les yeux vers la lucarne au-dessus de moi. L’aube ne tapisse pas encore le ciel.
L’oreille tendue, à l’affut du moindre son, je contrôle ma respiration. Quelqu’un est en train de pleurer. Possible qu’il s’agisse d’une pauvresse ou d’une voyageuse malchanceuse. Les sentiers n’en manquent pas d’imprudentes.
Aralon dort à poing fermé. Je déteste quand il dort trop près de la mort. Il a cet aspect de macchabé étroitement posé dans sa boîte, prêt à rejoindre la terre. Je tire mes draps, prends Zeras sous mon oreiller et avance sans bruit. Plus j’approche plus la voix se détériore. Ce n’est plus qu’un sanglot étouffé quand j’agrippe la poignée.
J’aperçois un murmure. Mon prénom est prononcé. On me connaît.
J’ouvre.
Gézabelle se trouve sans force au pas de la porte, le souffle court. Entre ses doigts une lettre froissée. Elle lève la tête, le visage grimaçant d’une douleur que je connais fort bien. Aralon avait été aussi explicite qu’elle lorsque je lui avais appris la mort de son amant et de notre père.
Sans qu’elle ne parle, je compris tout le flot de sa peine.
— Galaire possède un carnet en cuir qu’il cache dans le mur de la cuisine, trouve-le-moi, et je verrais comment honorer sa mémoire et celle de tes filles.
Je m’assis contre l’encadrement, face à Gézabelle et l’accompagne sur le chemin de son deuil. Incapable de pleurer, je partage ce moment en écoutant la voix de la nuit et celle d’une femme détruite. Bientôt, cette charmante femme dont le sourire irradiait les cœurs et donnait à croire aux miracles, ne serait que l’ombre d’elle-même. Car ici, on sait combien elle aime son époux.
L’éther se noie d’un voile clair lorsque Gézabelle s’endort. D’une seule poussée, je la porte et la couche dans mon lit. Aralon commence à s’agiter. Il répète en boucle de faire attention aux flammes. Il appelle notre père, puis marmonne une phrase incomplète sur les Corbelverts.
Je prends la lettre dans les mains de la veuve et avise la missive. Le silence retombe.
— Encore debout ?
La voix d’Aralon me surprend. Il se tortille, avise la femme.
— Qu’est-ce que Gézabelle fait dans ton lit ?
Il jette ses draps, me fixe un instant. À l’ombre ses yeux sont aussi foncés que les miens. C’est d’ailleurs dans l’ombre qu’on se ressemble le plus.
Aralon se dirige vers moi. Il arrête de poser des questions auxquels je ne réponds pas de tout façon. Il tire sur mon bras afin de lire à son tour. Son visage se fige dans une expression qui prend tout son sens quand on a la lettre sous les yeux.
— Jusqu’où est-ce que la bête va, exactement ?
— Loin… De plus en plus loin. Mais là, elle semble rentrer chez elle. Lis-le post-cristum.
Ps : Nous pensions que la créature était morte, mais elle était juste partie. Certains avaient bien dit qu’elle était curieuse et vicieux.
Mon frère cherche le tampon.
— Hensel ! Mais c’est dans la direction sud de la Vallée Cendré. Il faut passer plusieurs villages pour arriver là-bas. Pourquoi Galaire serait sortie de la brousse ? Tu crois qu’il avait la bête à la fleur du fusil ?
Il relie la lettre.
— Où sont Salna et Domios ? On ne parle que de Galaire.
— Oui. Ils n’ont retrouvé que le corps de Galaire et ses insignes de chasseurs. Rien sur les filles. Il portait aussi un mot d’avertissement : « partez avant qu’il ne fasse de vous une énième poupée de sang. C’est votre âme qu’il vous vole. Ne pensez pas la retrouver. Il est une puissance ».
— On est d’accord, qu’il ne quitte jamais les jumelles d’un centimètre.
— Et c’est ça qui est étrange. Outre le fait que ce message ne présage rien de bon.
— De quoi parle-t-on ? Qui est ce il ? La bête ?
— Je n’en sais rien. Mais peut-être qu’il a jugé que les filles étaient perdues. Ou a-t-il chercher à les éloigner du danger. Il est devenu la proie de lui-même.
J’observe Gézabelle. Peut-être qu’elle survivra à la mort de son époux dans l’espoir de retrouver les filles. Si tant est qu’elles soient encore en vie.
Aralon me restitue la lettre avec un air contrarié figé sur son visage.
— On fait quoi ?
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