La blessure du maître
de Ojoo
Azelyr plongea une main inquisitrice dans sa bourse, quelques améthystes, un diamant qu’il conservait précieusement, des morceaux grossiers de calcaire et de craie. Sa prise se raffermit au toucher d’une sédimentation particulière, la picrite. Il en préleva un bout qu’il émietta directement de ses doigts calleux. Une brise d’été soufflait sur les rivages du ruisseau ou il s’était arrêté, il ressortis la picrite en se cachant des caresses estivales. À son tour, et comme pour imiter le vent, il fit ballotter les brindilles entassées d’un souffle brûlant. L’herbe séchée s’embrasa, et la brise se chargea du reste. Il se débarrassa de sa robe de chanvre trempée par l’orage qu’il avait traversé la veille, avant de s’installer en chien de fusil auprès du feu.
Des arbres centenaires s’étalaient, couchés devant lui, déracinés par la violence du vent. Ils avaient emporté un morceaux de la berge avec eux, si bien que l’eau avait envahit le chemin, ou du moins, ce qu’il en restait. Le sol s’était battu toute la nuit, et conservait la trace des combats menés. De grandes cicatrices longeait les racines des arbres retournés, les troncs, branches, feuilles, arbustes jonchaient le sol rocailleux. L’humidité s’y était infiltrée, achevant de transformer la route en bourbier dans lequel Azelyr s’était enfoncé la nuit dernière. Ce dernier soupira pour lui-même, il grelottait malgré le soleil et son feu, une terrible magie avait été pratiquée ici. Ce n’était pas seulement le sol qui avait été bouleversé, tout était sens dessus dessous. De la glace persistait sur le rivage et les champignons se plaisaient sous un soleil de plomb, de nouvelles pousses, mortes, continuaient à pousser. Quoi qu’ai été le sortilège pratiqué ici, la terre, les cieux et l’eau en garderaient trace pour les années à venir. Serrant la picrite au creux de sa main, il inspira pour se réchauffer lui-même, puisque les flammes ne pouvait plus rien pour lui. Ces dernières dansaient, bleus, vertes, rouge, le feu lui-même était perturbé. Quelle chose pouvait-être suffisamment infâme pour embrouiller les éléments, Azelyr se laissa emporter par le sommeil qui guettait depuis son ascension.
D’autres choses guettaient dans ces bois torturés, installé dans la plaie béante, ouverte et toujours saignante, Azelyr dormait. Était-ce les ténèbres de son sommeil, ses rêves tourmentés par son ignorance passée, ou bien l’infection née d’une blessure ouverte ? Il fut saisit à la gorge par une ombre qui rôdait, déchaînant la fureur du maître des lieux sur le voyageur impudent, sur celui qui osait s’aventurer dans une demeure endeuillée. Il ouvrit les yeux avec un sourire faible, n’avait-il donc rien appris de ses erreurs ? Serrant fort une améthyste dans sa main, il la leva, le bras tremblant sous l’effort. Elle se brisa comme du verre, les particulières stagnèrent, scintillantes, miroitantes, reflétant le soleil couchant dans une vague d’argent. Le feu perturbé fut rappelé à ses devoirs, la glace invoquée, liquéfiée, et les arbres morts retournèrent à la terre qui reprit ainsi son dû. Les ombres lâchèrent le mage qui reprit son souffle dans une respiration saccadée. Était-ce ici ses derniers efforts, il avait déjà tant donné pour soigner ce mal qui rongeait les terres d’Arcandor, harassé par la tâche de son voyage, par la culpabilité de ses fautes passées, il céda à l’inconscience qui s’empara de son esprit.
Ce fut un écureuil qui déposa le gland du chêne au pied du mage, et le cerf effarouché qui laissa ses bois. Le maître des lieux, dont la blessure béante avait été refermée par le dernier sort d’Azelyr s’avança d’un pas doux. Personne ne pouvait l’apercevoir sans devenir fou, il n’obéissait à aucune loi, sa forme n’avait rien de tangible. Croiser une entité telle ne pouvait que mettre le désordre au plus profond de votre âme, l’homme ne pouvait s’approcher d’une telle Complexité. C’est donc lorsque l’âme fut prisonnière de l’inconscience que le maître s’approcha. Il insuffla la vie, tissa le Lien pour retenir celle qui fuyait le corps du mage. Un sourire faible se dessina sur les lèvres du sage, qui ne fut pas assez stupide pour regarder le maître des lieux.
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