La continuité du voyage
Le lendemain, tandis que Rina tournait nerveusement dans sa petite cabine, des coups furent donnés sur la porte à onze heures trente précises. Elle était vêtue d’une robe ample de satin rose et aux manches qui lui arrivaient aux poignets. De délicates broderies sculptaient le tout au niveau de la taille qui se sublimait grâce à un délicat bustier. Elle poussa un soupir avant de revêtir un semblant de sourire au moment d’abaisser la poignée de la porte pour faire face à l’invité avec lequel elle devait déjeuner.
- Bonjour mademoiselle Grintofk, vous êtes ravissante.
- Je vous remercie, vous n’êtes pas mal non plus.
Le jeune homme face à elle avait revêtu un costume bleu foncé qui lui allait à ravir, le contraste avec ses cheveux clairs était saisissant. Il s’inclina légèrement pour la remercier avant de poursuivre leur discussion tout en avançant vers la salle à manger.
- Permettez-moi de vous demander comment vous vous portez ? Hier soir, Maria m’a fait savoir que vous vous portiez pâle, que s’est-il passé ?
- Rien de fabuleux monsieur des douleurs rénales sans le moindre doute.
-Du tout, c’est même normal pour nous, femmes de ce bas monde.
- Je comprends, ma femme à elle aussi des règles douloureuses.
- Vous êtes marié ?
Il acquiesça de la tête avant de continuer en silence, la jeune fille quant à elle ne savait plus où donner de la tête, elle espérait qu’il avalerait son mensonge et elle remarqua qu’il n’avait pas de gants comme la veille et donc elle pouvait voir l’alliance à son doigt ce qui la rassura. Au moins il ne viendrait pas l’importuner aux sujets de sentiments qu’il pourrait avoir. Maria esquissa un sourire en les voyant arriver pour le repas, même si elle sentait que leur proximité n’en était pas vraiment une. C’était un repas qui se déroulait entre anecdotes et silences ce qui fut particulièrement gênant pour les deux compagnons. Malgré tout, Marius semblait s’intéresser à elle ce qui la rendait perplexe, elle n’avait pas décidé de baisser sa garde pour le moment et elle semblait décider à répondre par monosyllabe à son compagnon.
- Avez-vous de la famille dans le royaume mademoiselle ?
- Effectivement.
- Un compagnon ?
- Peut-être bien.
- Pourquoi paraissez-vous si mystérieuse, mademoiselle ? Cachez-vous un secret particulier ?
Son regard ne plut aucunement à Rina qui le regarda d’un air méfiant.
- Pas particulièrement non, vos questions me désarçonnent quelque peu mais en soi je n’y vois pas d’objections particulières.
- Je suis heureux de vous l’entendre dire, je vais cesser mes questions impertinentes si vous le souhaitez mais cela comblait le vide des conversations entre nous. La plupart d’entre elles ne sont pourtant que des questions purement simplistes.
- Pourquoi ne pas la tourner vers vous dans ce cas-là ? Vous semblez enclin à poser de nombreuses questions mais pourriez-vous y répondre ?
- Moi ? Qu’aurais-je de si intéressant à vous raconter ?
- Que sais-je ? Avez-vous de la famille au royaume, hormis votre femme ? Ou dans un pays voisin ?
- Effectivement, j’ai un cousin, une femme, comme vous le savez et un fils de cinq ans.
- Habitez-vous au village de Hiisop, non loin du château ou autre part ?
- Je sais que le village de Hiisop est assez étendu et effectivement j’habite là-bas, là où se situe mon entreprise familiale.
Rina paraissait beaucoup plus à l’aise à présent que le sujet ne la concernait pas directement mais seulement les lieux qu’elle côtoyait, à ce propos elle tiqua sur la réponse de l’homme en face d’elle.
- Pardonnez-moi si je suis indiscrète, mais pouvez-vous me redire votre nom je vous prie ?
- Gling, Marcus Gling, pourquoi cela ?
- Impossible.
Il rit en sachant d’un coup pourquoi elle ne le croyait pas, il fit mine de rien tout en continuant sa discussion.
- Pourquoi cela ?
- Je ne connais aucune entreprise familiale à ce nom, certes je sors peu mais tout de même j’en aurais entendu parler ! Une entreprise qui vous permet de vous vêtir si richement doit être connue.
- Je ne pense pas, comme vous venez de dire, vous sortez peu…
- Et alors ? Une entreprise familiale se construit sur plusieurs générations, elle devrait être là depuis belle lurette.
L’expression la fit sourire même si ses méninges s'efforçaient à trouver la logique dans tout cela, elle n’avait même pas tenu compte qu’elle venait de lui couper la parole.
- Permettez-moi de vous éclairer, mademoiselle. J’ai rejoint l’entreprise il y a peu, à l’origine je ne viens pas du village mais d’un autre à côté. C’est mon cousin germain qui s’en occupe mais nous n’avons tout simplement pas le même nom de famille. Je suis son cousin par ma mère, quand elle s’est mariée j’ai naturellement pris le nom de mon père. Mère qui est la sœur du père de ce fameux cousin. Je fais donc partie de l’entreprise mais je n’ai pas voulu changer de nom.
- Oh je vois…
Rina se sentait abominablement gênée par cette accusation sans poursuite, elle rougit sous le coup de l’émotion avant de balayer la salle du regard. Le repas durait et elle commençait à se lasser de cet entretien qui relevait à la pièce de théâtre.
- Pardonnez-moi de l’accusation que je vous ai porté.
- Je vous en prie, ce n’est rien. Quand retournerez-vous chez vous mademoiselle ?
- Je n’en sais fichtrement rien et vous ? Pourquoi êtes-vous partie ?
- Et vous ?
- Je vous l’ai déjà dit, je ne peux et ne veux vous révéler la raison de mon voyage.
- Ah oui ? Je ne m’en souviens pas.
- Je l’ai sans doute dit à Maria alors, mais dans tous les cas je ne suis pas autorisé à en parler.
- Tout comme moi.
- Je vois, cela vous dérangerait-il que nous poursuivions cette discussion un autre jour ?
- Non, aucunement, puis-je vous reconduire dans votre cabine ?
- Ne vous embêtez pas monsieur Gling je m’en occupe.
Le regard des deux compagnons se tourna à l’unisson vers la porte, le capitaine et Maria se tenait dans l’encadrement comme deux soldats de plombs. L’étonnement résonnait sur les visages et ce fut le jeune homme qui retrouva la parole en premier.
- Pourquoi cela ?
Rina n’avait pas eu le temps de lui répondre que la discussion s'enchaînait déjà à nouveau, elle lança un regard à Maria qui haussa ses épaules menues, ne sachant même pas elle-même qu’elle était la raison de sa présence. Le capitaine avait tellement insisté après sa visite qu’elle n’avait pas eu le courage de le refouler pour s’occuper du repas qu’elle avait donc délégué à un autre cuisinier du bateau.
- Car j’ai reçu une missive importante la concernant et je ne peux alors pas attendre davantage de temps avant de la lui remettre.
- Pourquoi ne le faites-vous pas ici ?
- Parce que ça ne vous concerne pas.
- Comment pouvez-vous le savoir ? Faites-le.
Le ton de l’homme qui se tenait près de Rina commençait à monter, tant et si bien que la jeune fille perdit patience. Tout ce que lui voyait c’est qu’il ne pouvait pas pointer son arme sur la tempe du capitaine, comment pouvait-il ainsi lui manquer de respect ?
- Je vous demande pardon monsieur Gling ?
Son ton était sec, elle détestait qu’on parle de son cas en faisant comme si elle n’existait pas et il lui donnait la migraine.
- Qui êtes-vous pour demander une telle chose qui me concerne de droit ? Nous ne sommes que des inconnus et même si nous faisons partie du même peuple, je ne vous permets pas de vous mêler ainsi de mes affaires. Je ne permettrais pas que vous parliez si sèchement à un homme qui ne fait qu’honorablement son travail, il n’est pas votre objet pour que vous lui parliez ainsi. Il garde la confidentialité, ce que je remercie amplement, donc je vous prierai de revoir votre ton.
Son regard était froid quand elle regardait l’homme blond et sa stature imposante. Il ne l’impressionnait aucunement et il le savait. Il pensa tout de même qu’elle avait un sacré culot de lui parler ainsi mais il se souvint qu’elle ne connaissait que le tissu de mensonges qu’il avait érigé.
- Pardonnez-moi, je n’ai pas vraiment réfléchi à mes paroles.
L’homme recula même d’un pas comme pour montrer qu’il se retirait de la discussion, Rina soupira de son côté pour calmer son énervement, elle se demandait de quoi il pouvait bien se mêler et elle se retenait de ne pas l’insulter dans sa tête.
- Je vous prie de m'excuser, capitaine allons discuter dans ma cabine si vous le voulez bien.
- Je vous suis mademoiselle.
Le trio quitta donc la salle de repas avec Rina en tête et Maria qui fermait la marche, ce qui bouchait la vue au tireur qui ne pouvait dégainer son arme. Il pestait et peinait à se calmer, il détestait qu’on le défie ainsi. Si ce n’était pas le capitaine il l’aurait déjà renversé par-dessus bord, malheureusement il ne savait pas piloter un tel paquebot. En arrivant dans la cabine, Rina prit place vers le petit bureau qui comblait les espaces. Elle s’avoua que l’arrivée du capitaine lui avait permis de s’enfuir rapidement, elle jubilait intérieurement. La cabine n’était pas si grande que cela mais de quoi mettre un lit confortable, de quoi ranger ses affaires et un petit bureau. Elle avait tenu à n’avoir que le strict minimum.
- Installez-vous sur le lit, je vous en prie, pourrais-je lire cette missive, monsieur ?
- Bien-sûr mademoiselle.
Le capitaine lui tendit le papier avant de s'asseoir sur le lit en compagnie de Maria qui le suivait de près. Ils n’avaient pas réellement l’habitude de se sentir si à l’aise dans les appartements d’un voyageur, ce qui les rendaient nerveux, Maria notamment, ils regardaient la cabine méticuleusement pendant que Rina faisait balader ses yeux sur le long message, il venait de son frère.
- Bonjour Rina, comment te portes-tu ?
J’espère que tu n’as pas trop le mal de mer et que tu te sens bien.
Ici c’est un peu vide sans ta présence. Je suis revenu de mission il y a quelques jours et Mino s’ennuie affreusement, il n’a le cœur qu’à cuisiner. Papa et maman ont décidé de suspendre leurs recherches pour vous deux pendant quelque temps. Ils se sont mis d'accord, comme ça ils pourront avoir davantage de repos même s’ils ne sont pas ensemble et pourront donc rentrer plus souvent à la maison. Mino se sentira moins seul ainsi. Pour ma part j’essaie de voir Mia régulièrement quand je reviens de mission, d’ailleurs à ce propos nous discutons de la date du mariage, je te dirais quand ça sera officiel. La situation politique du pays est relativement stable, suffisamment pour que je ne parte plus aussi longtemps. Je te prie de bien vouloir envoyer une missive à Tessa rapidement. Déjà pour qu’elle sache que tu vois sa sœur et en plus pour qu’elle ait connaissance de ton projet. Elle pourra peut-être se libérer qui sait ?
En tout cas sache qu’on t’embrasse avec amour et que tu nous manques déjà ! (Peut-être à l’autre abrutie aussi mais ça on s’en moque !)
Je t’aime !
Tin.
Rina termina le message soulagée, elle s’était attendu à quelque chose de moins glorieux, elle en riait même.
- Par les Dieux capitaine, mais vous m’avez fait peur en me parlant de l’urgence qui découlait de la lettre, mais tout va bien !
- Pardonnez-moi mademoiselle, Maria m’a rapportée que vous ne sembliez pas apprécier sa compagnie alors j’ai voulu faire au plus radicale. Je n’ai pas songé que ç'aurait pu vous toucher.
- Je vous en remercie. J’aurais une question pour vous monsieur.
- Oui ?
- Quand arriverons-nous ? À Edim.
- Nous arriverons dans approximativement deux bonnes semaines, le temps est à notre avantage alors ça sera rapide.
Il commençait déjà à s’en aller, Maria sur les talons, elle devait repartir rapidement pour s’occuper du repas.
- D’accord, je vous remercie.
Il lui adressa un signe de tête poli avant de disparaître. Une fois la porte refermée, elle soupira d’aise, enfin seule.
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