La vie ne devrait pas se résumer à une simple question de survie (1)
La chambre de Rina était une pièce assez vaste. Elle avait une grande hauteur sous plafond et était composée dans les teintes de rouge et du strict minimum avec un lit à baldaquin, une grande armoire et un bureau.
Tandis que Rina s’affairait à ranger le peu d'affaires qu’elle avait dans les placards de sa nouvelle chambre, quelqu'un toqua à sa porte, elle répondit sans se retourner, pensant que c’était Lyria qui revenait de la cuisine comme elle lui avait annoncé.
— Entrez.
— Bonjour Rina.
La voix lui était inconnue. Étonnée, elle pivota vers la porte d’entrée, une femme se tenait contre le chambranle de la porte avec un regard assez dur, elle ne semblait pas pressée de se présenter.
— Pardonnez-moi de vous demander cela, mais qui êtes-vous ?
— Mon père n’a pas dénié vous informer que nous dînions avec vous ce soir ?
— Vous êtes ma tante c’est cela ?
— Vous avez deviné bien vite.
— Votre visage est sur beaucoup de photographies présentes au manoir.
Ce fut avec plaisir que la jeune fille se souvenait de ce détail, elle revoyait les petits cadres dans différentes pièces de la maison. Tantôt c’était la famille de sa mère ou celle de son père. Elle se souvenait d’un cliché où la femme aux cheveux court qui se présentait à elle était prise en compagnie de sa sœur, à l’époque elle avait les cheveux beaucoup plus longs.
— Nous n’avons pas beaucoup de clichés ensemble, vous avez dû voir celle où nous nous enlaçons. Si j’ai bonne mémoire, elle se trouve derrière moi et moi au-devant.
— Je crois que c’est cela, vous n’avez pas beaucoup changé.
— Apparemment pas si vous m’avez reconnu, je suis Cesilia Uren. Nous étions déjà ici quand votre grand-père est arrivé. La dernière fois que je vous ai vu, vous n’étiez pas plus grosse qu’une part de tarte au citron, vous êtes devenue une magnifique jeune fille.
— Je vous remercie.
La comparaison la faisait sourire bien qu’elle n’ait absolument aucun souvenir de cette femme. Tin lui avait raconté qu’il les avait vus quelques fois quand il était petit et avant qu’ils ne partent en Econne. Leur voyage n’était, à la base, temporaire mais avec la mention de l’exil, ils n’avaient pas pu revenir non plus.
— Sur certains clichés j’ai cru discerner des enfants mais je n’en suis pas sûr. Sont-ils à vous ?
— Effectivement, Eren et Agnès, je ne savais pas si votre mère avait reçu ma photo.
— Oh si, mais à l’époque elle avait eu beaucoup de mal à vous répondre, la distance entre vous l'a toujours beaucoup affecté.
— Je comprends, à l’époque de leur naissance, il y a plus de quinze ans, les relations entre les deux empires étaient relativement médiocres pis avec ce satané exil, vous pensez bien qu’il nous est impossible de revenir.
— Ils ont déjà plus de quinze ans ?
— Oui, Eren en a quinze et Agnès quatorze. Ils ont hâte de vous rencontrer.
— Je ne les pensais pas si grands.
L’étonnement la frappa, dans sa famille ils n’avaient décidément jamais beaucoup de différences d’âges entre les fratries. Rina posa la chemise qu’elle avait dans ses mains avant de relever le regard vers sa tante.
— Dites-moi Rina ? Comment vont vos parents ? Et votre frère ?
— Pour le mieux, ils sont très occupés, tout comme mes frères.
La jeune fille avait insisté sur le pluriel du pronom, comme si elle avait fait une erreur inconsciemment. La femme passa une main distraite et contrariée sur son visage.
— Ça me tue de savoir que ma propre sœur se frotte à de tels dangers.
— Mon frère aîné a poursuivi sa voie, même si mes parents adorent leur métier, ils sont heureux de savoir que mon cadet ne se destine pas à cette voie tout autant que moi.
— Votre cadet ?
Elle avait misé juste, ce n’était pas une erreur de pronom mais bien un manque de d’informations.
— Bien sûr, mon aîné, Tin, et mon cadet, Mino.
— Je ne savais pas que vous étiez trois.
— Comme vous l’avez dit, la période autour de la naissance de vos enfants n’était pas propice aux échanges entre empires. Mon frère à seize ans ce qui était pile dans la période. Et après, il y a eu des complications, nous ne pouvions laisser fuiter des informations.
— Au sujet de Zluna c’est cela ? Votre grand-père m’en a parlé quand il est arrivé ici, mais il ne m’a pas parlé de votre frère, pensant que j’étais au courant.
— Sans le moindre doute.
— Vous allez vous plaire dans la chambre de Jeanne ?
Rina regarda Cesilia avec étonnement, on ne l’avait pas informé de ce détail.
— La chambre de maman ?
— Bien sûr, elle a été faite dans l’éventualité où votre mère pourrait venir. Avec son boulot, c’était improbable mais sait-on jamais. Même si je me tue à dire à tes grands-parents qu’avec cet exil ça ne sera jamais possible. C’est même un miracle que vous soyez ici.
— Oh… Après tout, je suis ici pour une raison bien précise, donc le miracle n’est pas totalement faux.
Un regard légèrement nouveau coulait sur la pièce, elle était alors pour sa mère ? Sa tante ne releva pas, elle devait savoir qu’elle venait ici pour quelque chose de précis, néanmoins elle se retenait de lui avouer pour l’exil, elle ne devait pas craquer maintenant même si son regard triste lui brisait le cœur.
— Vous devez être déçu de me recevoir à la place de maman.
— Ne croyez pas ça, ma sœur me manque, mais nous sommes heureux de vous voir.
Elle ne répondit pas, se contentant de terminer de ranger les derniers vêtements de sa valise sous un regard scrutateur.
— Auriez-vous de quoi écrire, ma tante ?
— Vous voulez déjà leur écrire ?
— J’ai promis de le faire à mon arrivée.
— Vous trouverez tout ce dont vous avez besoin dans le tiroir de votre bureau, je dois partir, des affaires m’attendent, à ce soir.
— Je vous remercie, à ce soir.
— Mademoiselle ?
— Oui ?
La domestique assez âgée regardait Rina depuis l’entrée de la pièce, la concernée se leva en se demandant ce qu’il se passait.
— Puis-je vous être utile madame ?
— Je venais vous informer que le repas était prêt et que votre famille vous attend.
— Déjà ?
Elle jeta un coup d’œil à sa montre, ça faisait bien plus d’une heure qu’elle était là, entre le fait d’écrire et de terminer ses affaires elle n’avait pas vu le temps passer.
— J’arrive tout de suite, je vous remercie.
D’un salut poli, la vieille dame s’en alla pendant que Rina passait un coup de brosse rapide sur ses cheveux et vérifia si sa fatigue pouvait se distinguer en la voyant.
— Ç'a l’air d’aller.
Elle s’empressa de sortir de la chambre pour rejoindre l’étage inférieur tout en cherchant la vieille dame des yeux, elle était perdue.
— C’est si grand… Où dois-je aller ?
— Rina ?
Elle eut un sursaut en faisant volte face.
— Pardonne-moi, je ne voulais pas t’effrayer.
— Par Deimos (2) ! Lyria c’est toi.
Elle avait porté la main à son cœur, elle ne s’y était pas attendue.
— Tu cherches quelque chose ?
— Je cherche la salle à manger, on m’a dit que je devais descendre mais je ne sais où.
— Justement, ton grand-père m’a envoyé te chercher, suis-moi.
Elles descendirent l’escalier pour rejoindre le rez-de-chaussée où les pièces communes semblaient se disperser. Lyria l’emmena jusque dans une grande salle joliment décorée où un feu grondait dans la cheminée.
— Ah vous voilà, nous vous attendions.
— Bonsoir.
Rina adressa un sourire timide aux personnes qui étaient déjà assises autour de la grande table rectangulaire qui se trouvait au milieu de la pièce. La table pouvait contenir environ dix personnes. Elle avait reconnu sa tante Cesilia sur un des côtés de la table avec à sa droite un grand homme joliment habillé, chauve et portant la barbe. À sa gauche, il y avait un jeune homme blond au visage d’ange et à l’apparence filiforme, mais elle ne vit pas sa cousine. Pour terminer de compléter la table, elle remarqua son grand-père sur l’un des côtés et celle qui devait être grand-mère sur l’autre extrémité, elle vint même à sa rencontre.
— Ne soyez pas timide, venez.
Son sourire chaleureux rassura la jeune femme, elle l’a suivi jusqu’à ce qui semblait être sa place avec Lyria sur sa droite.
— Cesilia, où se trouve Agnès ?
La voix pleine de tonnerre du patriarche paraissait montrer son impatience face à l’enfant qui tardait à venir rejoindre sa famille pour le repas.
— Je vous en prie, père ! Eren, tu peux aller chercher ta… Ah bah enfin jeune fille !
La nouvelle venue ressemblait comme deux gouttes d’eau à son grand frère. Si nous troquions les cheveux longs aux cheveux courts de son frère, nous avions les deux mêmes. De jolis yeux bleus ornait le regard, soulignés de magnifiques taches de rousseurs.
— Bonsoir.
— Je vois que la gaieté est au rendez-vous.
Minas Tryni ne paraissait pas accepter la non-ponctualité de sa petite fille et il ne s’empêchait pas de le faire remarquer.
— J’essayais de dépêcher monsieur Gling mais il paraît que son voyage l’est épuisé.
— Ce bon vieux Gling, il a toujours son légendaire mal de mer.
La conversation et le repas coulèrent rapidement et d’autres sujets arrivaient sans que Rina puisse oser répondre. Elle discutait avec Lyria de temps à autre mais elle s’efforçait à garder une attitude polie envers sa famille qui discutait tranquillement. Bien vite le sujet arriva sur la politique environnementale que prenait l’empire en ce moment et donc sur la gouvernance, ce qui dû contraindre Rina à s’exprimer devant ce qui était, des inconnus, alors qu’elle n’était pas particulièrement à l’aise.
— Rina, pardonnez-moi de vous embêter avec cela maintenant, comment se porte notre famille et notre chère Impératrice ? Quand elle m’a envoyé sa missive, elle m’a intimé que vous l’aviez rencontré personnellement. Je me souviens la poigne qu’elle avait en tant que Reine, alors Impératrice ! Pas vrai, chérie ?
Sa femme, Jocelyne Tryni, acquiesça l’affirmation de son mari. Rina se souvenait de son nom par le fait que le deuxième prénom de sa mère fut celui de sa propre génitrice.
— Il est exact, déjà à l’époque elle avait réussi à faire de grandes choses.
Elle chercha les bons mots avant de commencer à parler, elle ne savait par où commencer quand quelqu’un arriva dans la pièce. Ce quelqu’un qu’elle n’avait pas retenu par son nom, même si on avait parlé de lui peu de temps auparavant.
— Veuillez-pardonnez mon retard, mes chers amis.
— Mon cher Marcus !
— V… Vous ?
(1) Citation de Clarke Griffin de la série « The 100 » issu des romans de Kass Morgan.
(2) Dieu issu de la mythologie grecque, Déimos ou Deimos est le fils d’Arès et d'Aphrodite, frère de Phobos et d'Harmonie, suivant les versions. Il incarne la terreur. Ici, il signifie la peur que Rina à ressenti.
Annotations
Versions