Chapitre 36
point de vue Chloé :
Je me retourne vers la personne qui vient de me caresser la joue. Je la vois sans percevoir réellement qui elle est, totalement obnubilée par ce qui se passe de l’autre côté de cette porte qui reste désespérément close. Il réitère alors sa question.
-Chloé ça va, on croirait que tu as vu un fantôme ?
Je finis par me rendre compte que sa question attend une réponse, je me focalise sur les traits de Pierre-Jean qui semble sincèrement inquiet pour moi. Que lui répondre. Non ça ne va pas, mes pires craintes sont en train de se réaliser, Thomas est avec Cynthia certainement en train de prendre un pied pas possible. Elle a tellement plus d’expériences que moi, elle est tellement plus belle que moi. Et cette porte close démontre qu’ils veulent me laisser de côté. Ils ont dû sûrement rire du tour qu’ils m’avaient joué. Si ça se trouve ils avaient tout manigancé ensemble avant la soirée. A moins que ce soit le fait de se retrouver tous les deux qui les aient amenés à réaliser qu’ils seraient mieux sans moi. Ce qui est sûr c’est que mon monde s’est écroulé. Je ne peux même pas leur en vouloir, avec ce que j’ai fait avec Cynthia, je n’ai aucun droit de juger Thomas pour ce qu’il fait. Alors pourquoi est-ce que j’éprouve autant de colère. Je bouillonne de rage.
Et l’autre qui attend une réponse en face de moi avec toute la sollicitude dont il peut faire preuve, qu’est-ce qu’il veut que je m’écroule dans ses bras ? C’est hors de question. Je me reprends et lui répond :
-Oui, oui tout va bien va retrouver ta conquête.
Son regard devient perçant son attention totalement dirigé sur moi. J’ai l’impression de ne jamais avoir été scrutée aussi intensément. La gêne que j’en éprouve dissipe en partie ma colère. Puis il reprend doucement de sa voix grave.
-Non tu ne peux pas me mentir Chloé, je vois que tu ne vas pas bien. Qu’est-ce qui se passe ?
-Laisse-moi. Je te dis que tout va bien.
Mais alors que ces mots sortent de ma bouche, je sens que les larmes que j’essaie de contenir viennent peu à peu humidifier mes paupières. Une goutte coule le long de ma joue, puis une autre. Il reprend alors la parole :
-Toi-même tu n’y crois pas. J’imagine que c’est lié aux personnes qui sont de l’autre côté de la porte. Je ne peux pas te laisser seule avec ton chagrin. Je serais un bien mauvais ami si c’était le cas. Je te propose que l’on s’isole un peu le temps que tu ailles mieux. Après je te promets de te laisser tranquille. Mais laisse-moi te soutenir du mieux que je peux. Si tu veux parler je t’écouterais, si au contraire tu as juste besoin de réfléchir, je resterais silencieux. Si tu as besoin d’engueuler quelqu’un je serais là. Mais ne reste pas toute seule.
Ces mots me touchent, il a visé parfaitement juste. Je me rends compte qu’il a raison. Je n’ai surtout pas envie de me retrouver seule avec ma peine dans cette grande maison inconnue, entourée de gens qui ne pense qu’à s’amuser en cédant aux plaisirs des sens. Il me tend la main, attendant que je la saisisse, tout en me regardant avec bienveillance et gentillesse. Je finis par empoigner cette bouée qu’il me tend, m’en emparant comme l’unique espoir qui me permettra de regagner la terre ferme qui se situe pour le moment au-delà de ma ligne d’horizon.
Il m’entraîne à sa suite et me fait quitter la maison. Nous nous dirigeons vers une dépendance, située en dehors de la villa. Il m’explique que nous y serons à l’écart de la fête. Seul les proches amis d’Aziz ayant le droit de s’y rendre. Une fois à l’intérieur. Je m’aperçois que les lieux n’ont rien à envier en terme de luxe avec le reste de la demeure. Tout est décoré avec gout. Un grand billard trône au milieu de la pièce principale, entouré de divers canapés qui ne viennent manifestement pas de chez IKEA. Un bar riche d'alcools divers et variés occupe tout un pan du mur. Une grande mezzanine surplombe le tout.
-Installe-toi Chloé. Je vais te préparer un cocktail pour t’aider à te remettre.
Je me rends compte que j’ai soif et au moins pendant qu’il est occupé, je n’ai pas besoin de parler. Je ne me sens pas prête à briser le silence qui s’est installé entre nous. Les idées tourbillonnent dans ma tête à une vitesse folle. Je suis sur le point de péter un cable. Je me vois déjà ressortir de cette pièce pour aller tambouriner de toutes mes forces sur cette damnée porte jusqu’à ce qu’ils m’ouvrent. La colère me reprend, je suis sur le point de me lever lorsque PJ revient vers moi avec deux verres dans les mains. Il m’en tend un en me disant :
-C’était eux n’est-ce pas ?
Et là, les larmes que je cherche à retenir débordent la digue de ma volonté. Les sanglots deviennent incontrôlables, je ne peux rien dire, je me sens totalement ridicule. PJ se contente de me regarder tendrement. Il pose les verres sur la table de billard, puis il m’ouvre ses grands bras musclés m’invitant à venir répandre mon chagrin contre lui. Je pose ma tête contre son torse et je pleure et repleure encore pendant de longues minutes sur ma confiance brisée, sur mon manque de volonté qui m’a amené dans cette situation, sur la fin de ma plus belle histoire d’amour. L’eau qui coule de mes yeux finit par se tarir légèrement. Je laisse échapper un simple « pourquoi ? ». PJ pose ses grandes mains sur mes joues m’écartant légèrement de lui, il me regarde de ses yeux bleus dans lesquelles je pourrais me noyer et me dit :
-Parce qu’ils se désirent depuis longtemps et qu’il fallait bien que cela arrive à un moment ou à un autre. Tu comprends pourquoi je ne crois pas à une relation exclusive, cela fait trop mal quand on se sent trahi. Ce que tu dois réussir à te dire, c’est que cela ne veut pas dire que Thomas ne t’aime pas. Il a juste cédé à ses pulsions, mais il t’aime quand même. Si tu veux son bien tu devrais le laisser en profiter et le laisser revenir vers toi encore plus amoureux.
-Tu parles avec ce qu’il fait avec ta copine, je suis sûr qu’il ne voudra plus de moi. Elle a tellement d’expérience par rapport à moi.
-Si c’était le cas cela voudrait dire qu’il ne te mérite pas. N’importe quel homme présent à cette fête rêverait de vivre un moment avec toi.
Ses paroles soulagent un peu ma douleur. J’ai beau me dire que c’est pour me consoler, elles apaisent en partie mon ego piétiné. Je lui demande :
-Comment fais-tu pour supporter ça ? Tu ne t’es jamais senti blessé en la voyant avec d’autres ?
-Blessé pourquoi ? Parce que d’autres prennent pendant quelques instants ce que moi je peux avoir le reste du temps? Parce que ma copine prend du plaisir en dehors de moi ? Laisse-moi te poser une question. Si tu voyais Thomas s’éclater dans n’importe quelle activité sans toi, tu ne lui en tiendrais pas rigueur non ? C’est uniquement notre éducation qui nous amène à condamner le sexe en dehors du couple, ça et notre insécurité personnelle, la peur d’être abandonné par l’être aimé. Lorsque j’ai compris cela, j’ai décidé de ne plus être esclave de ce carcan qui nous étouffe. Depuis je n’ai jamais été blessé.
Ses mots font mouche, j’envie son détachement, j’aspire à l’éprouver moi aussi. Il ajoute :
-Tu sais tu devrais essayer. Le sexe sans amour peut être bon lui aussi. Il faut juste accepter de lâcher prise. Ils s’éclatent tant mieux pour eux, qu’est ce qui t’empêche de faire pareil. Tu auras amplement le temps d’en discuter avec Thomas après et au moins tu ne te sentiras pas en position de victime par rapport à lui. Si tu veux on y retourne et je t’aide à choisir quelqu’un qui saura mettre du baume sur tes plaies.
Ces paroles enfoncent d’un coup d’un seul toutes les réticences que je gardais à son égard. S’il avait cherché à profiter de l’instant je l’aurais sûrement rembarré aussi sec. Mais son calme olympien, sa force tranquille emporte toutes mes hésitations. C’est pourquoi je lui réponds :
-Qui te dit que j’ai envie de quelqu’un d’autre.
Puis brusquement je pose mes lèvres sur les siennes.
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