Le temps et ma mémoire
Etienne Klein disserte avec beaucoup de pédagogie et de clarté sur le temps et sa nature suivant l'angle d'où on l'étudie. C'est un homme accessible et passionnant.
Mais ce que je vis, ce que nous vivons tous, est une expérience intime et personnelle.
le temps est une succession de mémorisations et ce qui me fait ressentir une durée subjective, ce sont les intensités émotionnelle avec lesquelles je les perçois. Je remarque que les expériences négatives m'imprègnent plus durablement. Je pense que c'est lié au cerveau reptilien : les mauvaises expériences tissent toutes sortes de réponses mentales, physiques et chimiques pour que la situation ne se reproduise pas.
Une amie me dit souvent que mon rapport au temps est étrange : je suis nulle en physique (niveau IV.... faut pas se leurrer) mais d'une autre manière les notions poussées exprimées à travers les métaphores (C'est à dire quand les scientifiques cessent de dire des trucs bizarre genre alpha vectoriel gravitationnel en suspension dans la matière noire de mon sucre) les notions poussées, font sens pour moi parce que je les vis vraiment.
Le temps que ma mémoire a saisi est une successions de moments sur lesquels je peux me poser, comme si je voyageais avec en téléportation temporelle.
Néanmoins petit à petit les trous de vers se referment et les accès se rarifient, comme ça:
C'est un pont fragile que j'emprunte peu, sur une route de souvenirs qui a connu la guerre, la mienne, celle que chacun mène, selon ses peines, ses abandons, ses dépressions, sa folie, ses deuils. Sur ce pont là, il y a ma vie. Un ruban de temps tendu entre deux points, où je suis née et où je meurs.
Dans la continuité de ce ruban, à chaque marqueur qui se souvient de qui j'étais, je sens encore que j'ai treize, j'en ai dix-huit et j'ai vingt ans. Je ne pouvais pas m'imaginer à trente et j'en ai plus de cinquante.
Chez tous ces "moi" qui cohabitent, sur ce ruban de temps qui se plisse, et où tous les temps se fondent les uns dans les autres, je serai sur mon propre lit de peine où l'on meurt avec des trous partout, des trous d'obus, des trous de mémoire.
Le sol du pont en ruban comme un gruyère ne me parle plus de ce que j'ai oublié.
Alors, je ramasse inquiète des reliquats de réminescences. Est-ce bien nécessaire ? Un tablier d'écolière en rayonne, la sensation aux pieds, des patins à glace. Ho et ici, les cahots de ma mobylette...
Et dans ce trou là-bas, où je n'ai pas trop envie de regarder, il y a un moi en devenir qui s'est égaré. Un moi de promesses, d'idéaux, de rêves de sciences, de rêves de fées, de rêves de paix.
Dans ce trou là, cette personne est presque belle, mais elle dort profondément et s'étiole au fil du temps…
Cette vie n'aura pas été vaine, j'ai répondu à deux questions. Sur la résilience de ceux qui transcendent leurs traumatismes et sur l'univers qui s'ouvre aux théories où le pas grand-chose défie les plus grands ensem... À quoi bon.
Des questions, comme des ponts sur le pont, qui ont traversé les années, que les obus n'ont pas pu briser. Des questions comme des filets de sécurité. Mais les obus continuent de tomber.
Quand je suis sur le chemin du passé, je croise le cortège des deuils, et des fous rire et des chants au hasard.
Je sais pourquoi je remonte cette voie, je cherche ma pensée magique, celle qui active le pouvoir de la poudre de fée ; je veux m'envoler pour le pays imaginaire : deuxième à droite et tout droit jusqu'au matin. Je sais exactement où se trouve la brèche, avec le sac de billes de la Flûte. Sur l'équilibre de mes premiers pas...
Où l'objet de tout mon amour m'ouvre ses bras. Elle est nimbée de la lumière colorée d'un vitrail derrière elle, si belle. Alors ma volonté se tend et dévore l'espace qui nous sépare et je m'envole vers maman.
Parfois je suis sur le pont de mon passé très brutalement comme maintenant, j'ai à peine un an.
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