13
Quand Félice ouvre les yeux, elle est seule sur le gazon. Elle a froid.
Où est passée Cristal ? Elle se redresse, ajuste sa robe rose, ses cheveux en bataille et se faufile à l'intérieur, où d'autres dorment encore, affalés sur le canapé, le tapis, le carrelage de la cuisine. Ça pue, c'est le bordel. Le désordre l'angoisse.
Félice a mal à la tête et comme un voile sur les yeux.
— Vous avez vu Cristal ?
C'est bête, personne ne connaît Cristal.
— Grande, cheveux noirs, asiat' ? La robe à paillettes ?
Un garçon lève la tête et la secoue. Il ne sait pas. Les autres sont trop assommés pour répondre.
Félice s'arrête pour respirer. Ses pieds s'ancrent dans le parquet, elle ferme les yeux. Le monde tangue. Elle inspire, expire la puanteur de la maison. Ses yeux brûlent sous ses paupières, elle tremble.
Où est passée Cristal ?
Félice a le sentiment qu'elle s'est évaporée à jamais. Que le miracle, la poupée trouvée sur la chaussée n'existe plus. Et n'a jamais existé. Qu'est-ce qui est réel, au final ?
Elle ouvre les yeux pour éclater en sanglots. On la regarde, c'est affreux, d'un air monstrueux qu'elle connaît trop bien. Les visages de ses camarades sont tournés vers elle. Félice glapit d'horreur. Ils sont mutilés, imprimés d'une seule et même expression. La lycéenne recule et manque de trébucher. Les peaux s'étirent épouvantablement, en un sourire de Cheshire et coulent des yeux qui, exorbités, semblent percer les faces de cire. Félice hurle. Elle sent déjà leur brûlure et leur odeur. Félice hurle encore, à s'arracher la gorge. Dans la grande douleur, elle hurle un nom.
Quand Félice ouvre les yeux, dans un cri, elle est seule sur le gazon. Elle étouffe.
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