Je la retrouve à squatter ma bibliothèque personnelle au Couvent. Il n’y a plus d’interface mais elle lit les livres et prend des notes sur un carnet.

• Megan, pourquoi tu écris des livres ?
• Parce que si je les raconte, ça n’intéresse personne. D’ailleurs, personne n’écoute personne à part à la Messe et encore. Tout le monde devrait écrire pour être entendue. C’est à ça que sert la Bible, quelle que soit son numéro. Sinon, au niveau individuel, chacun peut écrire son monde, sa vérité, sa réalité. Même en couple elle n’est pas forcément partagée. Le couple c’est plus le corps que l’esprit. Et toi Paloma, tu as aussi ce talent d’écriture. Mais tu n’en a pas besoin parce qu’on t’écoute, même quand tu n’as rien à dire on t’entend, tu as cette présence invisible qui nous est visible, tu es l’écran de nos âmes. En plus tu es accomplie, tu as un fils, quelqu’une qui t’aime et que tu aimes et tu es libre et forte.
• Je suis pas si forte, j’ai beaucoup maigri ces derniers temps.
• On t’aime comme tu es. Parce que tu n’attends rien de nous. Et on attend rien de toi. Quoi que. Tiens, voilà une fiche. Ce sont des instructions avec un début de texte. Est ce que tu peux le continuer ?
• Je ne savais pas qu’il y avait ce genre de fiches dans ma bibliothèque. Ce ne sont pas que des saintes écritures alors. D’où ça vient ? De la Terre ?
• Non, j’en ai parsemé toutes les bibliothèques existantes. Mais ce n’est pas hors-sujet. À chaque fois ça traite de spiritualité. Je les utilise aussi à Russell pour détecter les bonnes écrivaines.

Alors je m’installe au bureau, je fais un brouillon, un plan, des punch lines et une conclusion. Je reprends tout au traitement de texte et j’imprime. Encore quelques corrections et j’imprime à nouveau. Je donne la page à Megan et elle la range dans un classeur qu’elle remet dans une étagère.

• Tu ne la lis pas.
• Non, je sais que c’est bon, que c’est même mieux que mon travail. Je préfère me préserver de ton talent. Je la ferai lire à mes élèves avec une autre version écrite par l’intelligence artificielle pour voir si ils se trompent.
• Ah oui, je me rappelle de cet exercice. J’étais particulièrement nulle. Ça vient donc de toi ?
• Non, c’est Auguste qui a mis au point cette technique. Et c’est comme ça aussi que j’ai été repérée et orientée. On n’a pas toutes cette chance de l’être. Tu es passée à travers toutes les mailles des institutions avant d’être découverte par l’Invisible. Adé. Isa. Toi. Vous êtes reliées. À une même Histoire. Peut-être celle que tu viens d’écrire.