Elle est partie tôt ce matin, elle fait son tour au petit-déjeuner des auteurs et à la BULM. Elle m’a préparé le mien sur la table du salon, avec une rose dans un vase. Elle sent bon. Je mange les céréales et les crêpes en buvant un bon jus de fruits. Elle ose me laisser toute seule. Elle me fait confiance. Je me lave, je m’habille et avant de sortir je passe devant son bureau. Il y a une page posée, remplie de texte manuscrit au crayon à papier. Il n’y a pas de titre. Elle raconte sa traversée du Parc Central, sa rencontre avec Aline, sa conversation où elle parle de moi. Le style change. C’est magnifique. Une goutte d’eau tombe sur le papier. Je me touche le visage, c’est une de mes larmes. Je mets mes bottes, mon manteau, mon bonnet et je vais respirer dehors, reprendre mes esprits, sans chercher à analyser ni à comprendre. Je n’en suis plus là. J’ai juste envie de la serrer dans mes bras. Je cours jusqu’au café littéraire. Elle n’y est plus mais la patronne me prend en otage, enlève ma gabardine et m’installe au comptoir devant une alcaloïde bien chaud. Je me sens acceptée ici en tant que moi-même et pas la copine de Little. Alors je reste un moment et je réponds aux questions qu’elle me pose sur l’Ouest.

• Il fait tout le temps beau. On prie. On prend des substances. On baise. Et on lutte contre les forces de l’Invisible. Rien de tout ça ici. Tant mieux. Ça change. Et Little, elle était comment avant ?
• Différente. Timide. Discrète. Mais elle toujours talentueuse, avec la passion en plus. Ça nous a toutes surprises de la voir partir pour le Grand Chelem. Mais elle reste la petite-fille de Lisa, alors… Lisa venait souvent ici avec Alexeï, c’est pour ça qu’il y a du russe écrit partout.

J’arrive calmement à la BULM, je passe mon badge dans la section réservée et je la cherche. Elle est au fond, sur une table, avec plein de livres et de cahiers ouverts. Je la regarde un moment, travailler, s’organiser. Je m’approche doucement, tout près, elle ne me voit pas tellement elle est concentrée.

• Mary.

Elle émerge. Elle sourit.

• Je prépare un cours. Je vais ouvrir un atelier.

Je la prends dans mes bras. Ma sauveuse. Comme je l’aime !

• Tu as copié mon concept de lettre. J’ai vu celle de Aline sur ton bureau. Mais comme on est mariées, tout ce qui est à moi et à toi, comme nos noms.
• Je n’ai pas le droit qu’à la moitié ?
• Non, ça c’est quand on divorcera où je serai encore à moitié à toi.