Anti-Gel™
Mon sang brûle. Je dois être dans un putain de sauna. Ou en enfer.
Je crois que je préférais encore le froid. Parce que bordel, j’ai l’impression d’être en feu. Encore.
Je parviens à faire bouger mes paupières. J’ai l’impression d’avoir dormi cent ans tant elles sont lourdes.
Un crépitement parvient à mes oreilles. Un feu. Je réussis à l’apercevoir, juste en face de moi. Un pôle rudimentaire, mais visiblement efficace.
Je ne parviens pas à bouger quoi que ce soit. C’était à cause du froid, maintenant j’imagine que c’est la fatigue.
Mais de toute évidence, je ne suis pas mort.
Pas sûr de savoir s’il s’agit d’une bonne nouvelle.
Une page se tourne.
Dans mon dos. J’entends que quelqu’un tourne une page.
Je dois être chez ce clébard de mauvais augure.
Il m’a donc touché.
Foutu pour foutu. J’devrais me jeter dans le poêle.
Je l’entends se lever. Les vibrations de ses pieds écrasant la terre battue me font comprendre qu’il s’approche de moi. C’est alors que je le vois apparaître entre le poêle et moi. Je me sens comme un chien, allongé en PLS devant le feu avec mon maître qui m’observe. La simple idée que les rôles s’inversent me retourne l’estomac qui est aussi vide que mon envie de vivre. Et le fait que je sois en caleçon n’arrange rien.
« Réveillé je vois. Comment tu te sens ? »
J’ouvre la bouche, mais rien n’en sort. Je force et un grognement se fait entendre dans la pièce. C’est moi qui ai fait ça ?
« Tu risques de te sentir mal pendant quelques jours. Je t’ai injecté une dose d’Anti-Gel™ dans les veines. C’était la seule manière de ne pas t’amputer tous tes membres. »
D’en bas, son ventre semble absolument gigantesque. Comme des ours terrestres, les uraniens se gavent l’été pour mieux tenir l’hiver. Mais lui semble avoir quand même un petit peu abusé, surtout en temps de guerre. Un vrai petit cochon. Et les plusieurs pulls tricotés rayés qu’il porte ne l’amincissent pas vraiment. Je vois qu’il a changé d’écharpe et en a mis une autre. Toujours des motifs arrondis, mais cette fois-ci orange et bleus.
Il a vraiment une gueule de gentil. Je comprends qu’on lui ait tricoté une écharpe arrondie, ce con serait incapable de faire du mal à quelqu’un. C’est imprimé sur son visage que la violence ne fait pas partie de son vocabulaire et qu’il préfèrerait s’ouvrir la gorge que d’avoir à frapper un autre être humain.
« Je m’appelle Shuruï au fait. »
Sérieux. Shuruï ? C’est un putain de cliché ce gars.
J’imagine quand il est sorti de la chatte de sa mère, la tête qu’a tirée toute sa famille en voyant ses joues toutes rouges et rondes. "Lui, il sera gentil ! Oh, ça oui !" Eurh, ça m’écœure. Une fausse couche n’aurait pas été plus mal.
Je parviens enfin à faire bouger mes doigts. Non seulement j’arrive à les sentir, mais je les sens plus que d’habitude. Comme si chaque brin de vent et chaque poussière qui touchait ma peau était amplifié. Difficile de savoir si c’est un contrecoup du froid ou si c’est son médicament. En tout cas c’est sûrement cette drogue qui me permet de sentir mon sang bouillant couler dans mes veines. C’est très étrange comme sensation et pas vraiment agréable.
Je parviens à rouler et j’atterris sur le dos. Je réalise à quel point je suis vulnérable. Une putain de tortue retournée. C’est bien la première fois que je me retrouve en position de faiblesse face à quelqu’un. Surtout face à un uranien. Je sens un relent de bile monter directement depuis mon égo qui commence à avoir la gerbe.
J’utilise toutes mes forces pour me relever. Soit la gravité a augmenté, soit j’ai grossi, sois je suis vraiment faible parce que mon corps semble vachement lourd. Mais je croise le regard du porc et je parviens à me relever sur mes jambes dans un équilibre précaire.
Tu te foutrais bien de ma gueule si tu me voyais…
« Fais gaffe, c’est pas une petite dose que je t’ai mis. Tu vas peut-être avoir des tournis et des maux de tête. Mais bon c’est mieux que de finir cul-de-jatte, pas vrai ?
— Ugh. »
Je me sens trop mal pour réellement l’écouter. Le sol se dérobe sous mes jambes et l’uranien me rattrape alors que je m’apprête à tomber. Il m’invite à m’asseoir sur son canapé 2 places, à quelques mètres du poêle et m’aide à l’atteindre.
La pièce est très sommaire. Ce canapé en focuire est usé par le temps et je sens la forme du gros cul de ce galeux imprimé dans la matière rugueuse après de longues années d’attente. Attente de quoi d’ailleurs ? Pas d’écran augmenté, pas d’ajout oculaire, même pas un pauvre casque de seconde réalité. Il doit juste passer ses journées à observer ce vieux poêle à bois en fer et à cuisiner des plats sommaires.
Quelle vie de merde.
Je sens soudainement de la gerbe remonter mon œsophage. Je ferme la bouche et parviens à ne pas dégoupiller ma bille par terre. Même si c’est qu’un uranien et que sa maison vaut dix fois moins que mon robot-aspirateur, je vais pas vomir mes tripes par terre. Il m’a quand même sauvé la vie le bougre.
Je ravale donc ma fierté, puis les restes de mon dernier repas.
« J’apprécie le geste. »
Puis il s’en va par une porte à droite du poêle. Quant à celle à gauche, j’imagine que c’est celle qui mène vers le bar.
Finalement son canapé est plutôt confortable. Plus que le sol tout du moins.
Je le vois qui revient avec une bassine qu’il pose sur mes genoux.
J’hésite à le remercier, mais mon vomi coupe court à la réflexion et remplit le récipient d’un liquide jaunâtre, puant la bière et la viande bon marché.
« J’ai compris, j’vais en chercher une autre. »
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