dimanche 20 novembre – Ainsi soit-il

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Cher Journal,

En voyage, j’aime vivre une aventure digne d'un grand film. Pour mes vacances en Bretagne, je ne suis pas convaincu du scénario…

Acte 1, Scène 1, Prise 1 :

J'arrive de nuit à Saint-Malo prêt à dévorer les plaisirs nocturnes du bord de mer. Mais je suis crevé, je pars direct me pieuter au Airbnb sans voir le centre.

Je me réveille tôt pour profiter du petit matin en ville. Mais surtout à cause des voisins qui gueulent dès sept heures.

Je prends une douche revigorante pour démarrer cette journée blindée d'énergie positive. Mais j’ai oublié mon gel douche, et l'eau, ça ne revigore pas des masses.

Pas de problème, mon petit-déjeuner peut m'apporter les forces nécessaires pour réussir mes objectifs. Mais je n'ai rien à bouffer, vu qu'ici même les épiceries de nuit dorment le soir.

Je repère tous les lieux à visiter pour ne louper aucun recoin de Saint-Malo. Mais on est dimanche, tout est fermé.

Qu’à cela ne tienne, je vais louer un vélo et longer la côte au grand air. Mais on est dimanche, ça aussi, c’est fermé.

J’avais prévenu de la qualité du scénario…

Acte 2, Scène 3, Prise 1 :

Je marche le long de la mer. C'est joli. Mais il ne se passe que dalle. Mon film d'aventure se transforme en long film d'auteur contemplatif diffusé à vingt-trois heures sur Arte. J’observe l’eau : elle ne m’inspire aucun texte, aucune idée, rien, un banal instant vite oublié. Je pisse dans des toilettes publiques : j’y repense toute la journée. Chacun son sens de la poésie.

C’est à cause des graffitis. Dans cette cabine fermée, plein de petits mots vous entourent. À côté d'un numéro de téléphone, un premier message :

« Appelle-moi si tu te sens seul. »

Suivi d’un deuxième :

« J'ai appelé, personne n’a répondu, je me sens encore plus seul… »

Sur le même mur, quelqu'un a marqué :

« Que tous ceux qui pissent ici complètent la suite : 1. »

Personne n'a jamais écrit « 2 » à côté.

Dans le même genre, un joli texte :

« Un graffiti, c’est mettre son nom sur un mur. Moi, c’est Thibault. Et toi ? »

Seule réponse :

« Ta mère. »

À l'opposé, en gros, en rouge :

« GRANDISSEZ PAS C'EST DE LA MERDE ! »

Partout, des textes tristes nous entourent, le trône et moi. Des messages absurdes, des petits bouts de vies désespérés, partagés au premier venu. Va savoir pourquoi, imaginer quelqu'un prendre de son temps pour écrire ces mots remplis de solitudes, ça m'a touché. À croire que tous les gens paumés dans leur vie passent par cette ville. Et ces chiottes.

Avant de sortir, je regarde face à moi. J'en lis un dernier :

« Belle bite. »

Au moins un qui complimente sans se plaindre.

Ce que je retiens du paysage ? Les chiottes… Ce qui en dit long sur mon état mental. Elles ne sont même pas référencées sur les sites :

« 5 lieux à ne pas manquer à Saint-Malo ! Le quatrième va vous étonner ! »

Honteux.

Acte 4, 5, ou 6 de ce film palpitant, Scène va savoir combien, Prise pffff :

Dans un bon scénario, le héros aurait rencontré de nouveaux amis. Dans ce scénario bancal qu'est ma vie, j'ai croisé des gars de mon âge. Ils m'ont dit un truc. J'ai souri bêtement, sans rien prononcer. Et ils sont partis. On aurait pu être pote, mais j'ai préféré la fermer. Pour éviter de sortir un truc bête ? Le silence plutôt que le ridicule ? Comme si ça pouvait être pire que le silence :

« Vous avez vu, dans les chiottes, y a marqué « BELLE BITE » !

- Euh… Pardon, vous êtes ?

- Pas à l’aise en société. Dès qu’il y a des gens que je ne connais pas autour de moi, même des gens que je connais bien d'ailleurs, eh bah je suis instantanément mal à l’aise, et j’ai la capacité de transmettre ce malaise aux autres à une vitesse assez folle !

- Hmm, oui, je vois ça, oui… »

Note à la prod : pensez à virer le dialoguiste.

On enchaîne avec l'instant musical du film, moment charnière pour notre héros. Lui qui s'imaginait profiter des mélodies bretonnes, dénicher des artistes locaux, joueurs de biniou, de bombarde, ou même un autre guitariste en plein doute avec qui se lier d'amitié. La vérité est toute autre : la seule musique qu’il entend, c'est Kendji Girac en rentrant dans le Super U. Et « En rentrant dans le Super U » n'est pas le nom de la chanson.

« Je rentre et je prends un cadi, en cinq minutes je le remplis, avec plein de conneriiiiies ! (riff de guitare) HEY LÀ ! EN RENTRANT DANS LE SUPER UUUUU ! MON ARGENT A DISPARUUUUU ! »

Kendji, si t'as besoin d'auteurs, vient me chercher, n’hésite pas.

Bon. Quelle scène ajouter pour marquer les spectateurs ? Euh… À midi, j'ai mangé un sandwich sur un banc, un chat est venu me voir, surtout venu voir mon sandwich, je l'ai ignoré, j’ai commencé mon sandwich, le chat est monté sur le banc, j'ai continué mon sandwich, le chat s’est allongé et a fait mine de ne plus s'intéresser à ma bouffe, j'ai fini mon sandwich, le chat a compris qu'il n'aurait rien à bouffer, il est parti. Waouh. Moment fort du film. Si Disney veut l'adapter en dessin animé, appelez-moi, je dois d'abord répondre à Kendji, mais ensuite, je suis tout à vous !

Dernière séquence : le héros rentre chez lui, déprimé par sa journée de merde. C’est tout.

Fin.

Échec au box-office. Le réalisateur doit changer de métier. Il essaye la musique. Il échoue aussi. Parce qu'il passe toujours des journées de merde pas intéressantes à raconter. Et qu'il n'a jamais ouvert le carton de sa guitare.

Ce voyage est naze. Mais il n'est pas fini. Il me reste une matinée avant de reprendre le train. Qui sait, peut-être que j'aurais plus de choses à raconter. Pas sûr. Quel suspens…

VOUS VOULEZ EN SAVOIR PLUS SUR CE TRÉPIDANT VOYAGE ? NE LOUPEZ PAS LA SUITE… DU JOURNAL DU TYPE QUI SE RÊVE GUITARISTE, MAIS QUI AU LIEU D'APPRENDRE À JOUER PART SE FAIRE CHIER À SAINT MALO !!!

(Le chat et Kendji Girac seront absents du prochain épisode. Déso.)

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