Aubépine

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Il était une fois de trop. 

Aubépine releva la tête, la main sur la joue. La douleur alimentait une violente colère qu’elle s’obligea à garder sourde. Elle se restreint à soutenir le regard de l’homme devant elle.

  • Ce n’est pas ce que je vous ai demandé Fräulein !

Il huma l’air autour de lui. Dans l’âtre, une marmite mijotait tranquillement. 

  • Quelle odeur appétissante ! déclara-t-il soudain, enjoué. Cela me rappelle que nous avons faim mes hommes et moi.

Son fort accent trahissait ses origines. 

  • Servez-nous à manger ! ordonna-t-il en poussant légèrement Aubépine en direction de la marmite. Allez, allez ! 

Il se dirigea vers la table tout en s’adressant à ses hommes dans sa langue.

Ces barbares étaient arrivés quelques instants plus tôt, investissant brutalement la petite chaumière pour l’assaillir de questions. Aubépine avait alors protesté, ce qui lui avait valu cette gifle dont sa joue irradiait encore.   

Les quatre hommes s’attablèrent, se débarrassant de leur casque à pointe. 

  • Dépêche-toi ! ordonna leur chef. 

Aubépine se ressaisit. 

  • J’en ai pour quelques instants encore, il n’est pas tout à fait terminé. 
  • Fais donc !

Les maudissant, elle se dirigea vers ses étagères à la recherche de quelques herbes bien précises qu’elle alla déposer sur une petite table proche de la cheminée. Elle prit une portion mesurée de chaque, doubla la dose après une rapide réflexion et les jeta dans la marmite. Des bulles émergeaient paresseusement à la surface du ragout. A l’aide d’une louche, elle mélangea lentement le tout marmonnant quelques paroles pour elle seule. Encore quelques minutes, estima-t-elle, et les herbes auront diffusés leur arôme.

Les soldats riaient dans son dos, échangeant dans leur langue. Se retournant, elle fut surprise par tous ces regards sur sa personne. Elle comprit tout de suite que les rires la concernaient. 

L’accent guttural de leur supérieur tonna alors. Tous se turent. 

  • Veuillez excuser mes hommes, se justifia-t-il contrit. La guerre nous rend impolis. 
  • La guerre n’a rien à voir là-dedans, rétorqua-elle du tac au tac, regrettant aussitôt ses paroles.

Le Lieutenant ne répondit rien, se contentant de la regarder sans rien laisser paraitre. Tout le monde la fixait. Ne tenant plus, Aubépine se détourna pour aller chercher quelques assiettes. 

  • Nous sommes partis du mauvais pied semble-t-il. 

Aubépine continuait de s’affairer les mains tremblantes. 

  • J’en ai bien peur, oui ! 

L’homme sourit. 

  • Nous sommes en mission spéciale pour notre Lord Commandant. 
  • Cela n’excuse en rien votre comportement. 
  • Certes. Quoiqu’il en soit, nous sommes à la recherche d’une enfant. Une enfant particulière aux yeux de l’Empire. 

Il fit une pause, laissant Aubépine déposer une assiette devant chacun. Cette dernière essayait de garder son calme, se forçant à respirer lentement afin de chasser la panique qui montait en elle.   

  • Les enfants sont nombreux dans les parages, répondit-elle sur la défensive. Rien que le village plus au nord en compte une dizaine. 
  • Je le sais cela. Et c’est d’ailleurs de là que nous venons. Celui que nous recherchons n’en fait pas partie. Il s’agit d’une fille pour être plus précis. Blonde. Les yeux d’un bleu intense. 

Aubépine servait le ragout qu’aucun des hommes ne toucha malgré l’envi qui se lisait sur certain. 

  • Nous la tenions presque, continua-t-il, mais elle a fui. C’est la raison de notre présence. Sa piste mène ici, chez vous. 

Aubépine faillit lâcher sa cuillère. 

  • Chez moi ?
  • Oui, chez vous. 

Il attrapa sa fourchette et mélangea distraitement son plat, libérant un nuage de chaleur. Ses yeux sondaient Aubépine. Elle se raidit malgré elle, détournant la tête. 

  • Vous ne vous servez pas ? questionna-t-il bienveillant. Allons, prenez une chaise et joignez-vous à nous. Avec toute cette affaire, j’en oublie d’être poli ! Vous êtes ici chez vous après tout, nous n’allons pas vous exclure de votre table. Venez donc Fräulein ! 

Il se leva et s’adressa à l’un de ses hommes qui se leva aussitôt en lançant un regard mauvais à Aubépine. Elle ne comprit que lorsque ce dernier se déplaça vers le tabouret proche de l’entrée. Le Lieutenant prit la chaise libérée et la plaça à côté de la sienne. 

  • Venez ma chère dame. Prenez un plat et joignez-vous à nous. 
  • Je n’ai pas faim, merci. 
  • Je n’aime pas être contredit !

Un frisson parcourut Aubépine devant le regard qui accompagnait cette voix douçâtre. Sa main se porta inconsciemment sur sa joue encore douloureuse. 

  • Oui, bien sûr, bafouilla-t-elle s’avançant vers la table. 

Une fois installée, le Lieutenant s’assit à son tour. Arborant un grand sourire, il enjoignit jovialement tout le monde à manger. Ses hommes ne se firent pas prier. Lui, remplit sa cuillère de jus et le sirota lentement. 

  • Hum, un délice. Le goût est pareil à l’odeur. Exquis. 

Il regardait Aubépine disant cela, lui souriant de manière exagérée. 

Les quelques minutes qui suivirent, il les passa à déguster légumes et viandes de son assiette. Ses hommes avaient terminé leur plat. L’un d’eux étouffa un rot.  

  • Reprenons, lança le Lieutenant si brusquement qu’Aubépine sursauta. Cet enfant s’est dirigé ici. Tout l’y indique. Et votre habitation se trouve sur le chemin qu’il a emprunté. 
  • Personne n’est venu ici, affirma Aubépine agacé. Elle est peut-être passé à côté de chez moi. 

Un coup à la porte interrompit la conversation. L’assemblé se retourna vers l’entrée dont une voix au parler étranger filtra. Le Lieutenant y répondit. Un cinquième soldat entra alors dans la pièce. Ils échangèrent quelques paroles dans leur langue puis les hommes attablés se levèrent et sortirent. Le nouveau venu prit place à table. Le lieutenant se tourna vers Aubépine. 

  • Madame aurait-elle la gentillesse de servir notre nouveau venu ? 

Le sourire qu’il affichait tenait plus de la grimace qu’autre chose. 

  • Oui, bien sûr, bégaya-t-elle. 

Elle s’exécuta rapidement et déposa l’assiette devant l’homme nouvellement attablé. 

  • Savez-vous ce que j’aime encore moins que lorsqu’on me contredit ? 

Aubépine resta silencieuse, répondant par la négative de la tête. 

  • Le mensonge ! Oui ! Je n’aime pas le mensonge surtout s’il m’est destiné. 

Aubépine se rassit crispée. Leurs regards s’affrontèrent dans un combat qu’elle perdit rapidement. Elle détourna le sien à travers la fenêtre où la vue de la forêt la rassura quelque peu.  

De son côté le dernier homme arrivait à la fin de son plat. Le lieutenant n’avait pas atteint la moitié du sien. 

  • Je comprends, dit-elle, souriant poliment. Qui aime qu’on lui mente. 
  • Bien ! Nous voilà d’accord sur ce point. Alors, expliquez-moi donc Fräulein : pourquoi me mentez-vous ? 

Le cœur d’Aubépine battit de plus en plus. Une bouffée de chaleur l’envahi. Son regard se porta sur les plats à table puis sur le Lieutenant.   

  • Pourquoi dites-vous cela ? répondit-t-elle vivement. Je ne connais pas cette fille, je ne l’ai jamais vu. 
  • C’est bien simple. Vous m’avez dit qu’elle n’était pas ici. 

Il planta un bout de viande de sa fourchette et la leva devant lui, détaillant le morceau dans tous les sens. 

  • Or, sa piste montre qu’elle est arrivée ici et n’est pas repartie. 

Il mit la viande en bouche et mâcha longuement avant d’avaler. Tout du long, il observait Aubépine droit dans les yeux. Elle soutenait difficilement ce regard dans lequel brillait une lueur de folie.     

  • Grégor, ici présent, est un pisteur des plus compétents, reprit-il. Lorsque nous avons débuté la conversation, il était à la recherche d’une trace ici et là. Malheureusement pour vous, il n’a rien trouvé. Il est catégorique à ce sujet : l’enfant est ici ! Et je lui fais confiance. 

L’homme en question venait de terminer son plat. Il s’appuya sur le dos de sa chaise, se mettant à l’aise. Le visage en paix il se frotta les yeux prit d’un bâillement. 

  • De ce fait, comment expliquez-vous cette contradiction ? Tout nous indique qu’elle est ici, mais elle n’y est pas ! Où est-elle alors ? 

Il se leva, les deux mains posées sur la table, dominant Aubépine malgré sa petite taille. 

  • Tout porte à croire que vous mentez ! cria-t-il en tapant du poing sur la table. 

Aubépine se leva. 

  • Je vous promets que je ne sais rien. 

Elle voulut s’éloigner mais le lieutenant l’attrapa par le bras et l’obligea à le regarder dans les yeux. Sa main serrait douloureusement sa mâchoire. Elle tenta de se libérer sans y parvenir.  

  • Je répète une dernière fois ma question, murmura-t-il.

Aubépine se débattit, à nouveau maitrisée par le lieutenant. 

  • Où est cet enfant ?

La pression augmenta, arrachant un cri de douleur à Aubépine. Elle secoua la tête arrivant à la dégager un peu. Elle repoussa son adversaire qui la relâcha alors, clignant des yeux et titubant vers l’arrière.

Un grand fracas se fit entendre. Le soldat nommé Grégor s’était affalé sur les couverts, renversant une assiette avant de tomber au sol. 

Le lieutenant résistait. 

  • Le ragout ! comprit-il. Hexe ! 

La fureur lui donna la force de se jeter sur Aubépine, l’attrapant par le cou. Elle se débattit comme elle put, le frappant au visage. La pression augmentait, l’air lui manquait. Elle voulut se dégager de l’étreinte mais fut plaquée contre les étagères. Quelques objets tombèrent au sol. Son dos fut meurtri par le choc. Le visage du lieutenant était rouge de fureur, ses yeux clignaient, il résistait aux effets du poison. 

  • Tu vas mourir, affirma-t-il les yeux exorbités. 

Aubépine sentait ses forces disparaitre. Il lui fallait respirer. Ses mains tâtonnèrent sur l’étagère jusqu’à attraper un pot qu’elle fracassa sur le crâne du Lieutenant. L’étreinte disparut. L’homme tituba vers l’arrière. 

Aubépine respira enfin, soulagée. Elle ramassa un couteau à ses pieds et le pointa vers lui. 

  • Ne vous approchez pas, cria-t-elle la voix rauque. 

Un dernier élan le porta contre elle. Tous deux tombèrent à la renverse. Le poids du lieutenant l’écrasait, elle repoussa le corps en panique. Libérée, elle rampa le plus loin possible. Le Lieutenant était inerte. Du sang s’étendait autour du couteau planté sur son flan.

Aubépine s’appuya contre le mur, calmant sa respiration.  

Le feu dans l’âtre arrivait à son terme, crépitant de temps à autre. Un silence lourd régnait. C’était fini. Pour le moment. 

Aubépine se leva. La tête lui tournait. Elle se dirigea vers la table qu’elle déplaça d’un bon mètre faisant vibrer tout ce qui se trouvait dessus. Un verre tomba rejoignant les débris au sol. Elle s’accroupi et chercha du bout des doigts une latte qu’elle souleva pour révéler un espace en dessous. Elle en enleva plusieurs autres. Au fond de la cachette, une silhouette s’y trouvait. Une tête blonde aux yeux bleus lança un regard inquiet à Aubépine. Elle lui sourit en retour. 

  • Viens. C’est fini maintenant, la rassura-t-elle en lui tendant une main. 

La jeune fille la lui attrapa afin de sortir de la cachette. Elle découvrit alors la scène. 

  • Ils sont morts ? demanda-t-elle inquiète.

Sa petite voix résonna longtemps dans la pièce. Aubépine regardait le corps du Lieutenant et le sang qui imbibait son uniforme. Elle pria pour qu’il s’en sorte. 

  • Non, juste endormis. Et pour un bon moment à mon avis. 

Elle attrapa un sac et rassembla quelques affaires puis se tourna vers l’enfant. 

  • Nous devons fuir maintenant. 

Prenant la main de la fillette, elle l’entraina au-dehors où elles furent accueillies par un soleil éclatant. 

Les corps des trois autres soldats gisaient ici et là. Le plus proche ronflait.

Aubépine fit un tour d’horizon. La forêt s’étendait tout autour. A ses côté l’enfant se serra contre elle ce qui lui donna de la force. Elle respira un grand coup.

  • Allons maintenant, partons.

Elle fit alors un premier pas, puis un second, vers un futur incertain.   

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